Il est des livres graves, douloureux, ambitieux, qui semblent se rétracter plutôt que s’offrir spontanément quand on les ouvre. C’est ainsi que je ressens la lecture de ce récit, difficile d’accès, au style exigeant, que j’ai failli abandonner à plusieurs reprises mais que je viens de terminer, soulagée d’en avoir fini avec ces personnages toujours insatisfaits et cependant admirative de l’habileté de l’auteure pour relancer l’intérêt de son lecteur au bon moment.
«Notre père (…) ne pouvait œuvrer ni coupé du monde, ni dans le bruit du monde. Il lui fallait occuper un espace central,avec vue aérienne sur nos vies. Chez lui, la toute-puissance de l’écrivain avait curieusement dérapé, et il nous préférait en muet, mais sa rage de produire se nourrissait des fureurs que lui inspiraient nos grattements, soupirs, portes claquées, sons cliquetants ou répétitifs.Une fille occupée de Dominique Conil (Actes Sud, février 2011, 200 p)
Nos yeux étaient encore à la hauteur des poignées de porte, mais nous connaissions dix façons d’assassiner proprement. Les meurtres se répétaient d’un bouquin l’autre, comme dans les contes, avec une part raisonnable de monstres et de malheur dans des forêts urbaines obscures. Voilà tout, c’était moins effrayant que ces chansons qui s’interrompaient sur les blocs Rhodia, blanc vertigineux. Le crime s’achevait, lui, prévisible et circonscrit, en page 182. La mère lisait tout, les courses, les choses à faire, les gens à appeler, les lettres à envoyer, les dates limites de paiement, les livres à lire, les rendez-vous chez le dentiste, les dates de vaccination, les rappels, la vermifugation du chat, elle notait tout, les poches de ses vestes débordaient de papiers froissés et d’enveloppes timbrées. Et puisqu’elle avait noté, elle oubliait.»