NO83 [Comment expliquer des tableaux à un lièvre mort]

Publié le 11 novembre 2011 par Belette

Au fait, Beuys avait-il de l’humour ?

Le 26 novembre 1965, Joseph Beuys inaugure sa première exposition dans une galerie de Düsseldorf par une performance : pendant trois heures, il montre ses tableaux à un lièvre mort. La troupe estonienne NO83 s’empare de cet événement pour en faire le fil rouge d’un spectacle qui en réalité n’a pas de centre. Une troupe de comédiens se réunit et tente de démêler ce qu’est pour eux le théâtre : un lieu d’accueil pour la folie ? l’expérimentation ? l’improvisation ? Pour repousser les limites ? faire de la résistance ? Pour qui ? Pourquoi ? De temps à autre, la ministre de la Culture entre sur scène pour examiner le travail et faire des discours : la culture en Estonie est aussi sinistrée qu’ailleurs, à cause de la crise — invisible, toujours. Alors on chante son pays, on danse ses (fausses) coutumes, on revêt ses habits. Pendant qu’un lièvre vous regarde.

© Ene-Liis Semper

En riant, on pense aux amis des Chiens de Navarre, qui eux aussi se réunissent sans savoir tellement pourquoi. À la différence que NO83 ne prend pas le prétexte d’un non-théâtre pour survivre, mais tâtonne avec nous, essaie des dispositifs, improvise… Celle qui jouait l’ours sous le regard hilare de ses partenaires se transforme plus tard en directrice d’improvisation : Amérique ! Sperme ! Synthétiseur ! Machine à laver ! Et aussitôt, trois des comédiens s’emploient à incarner en moins d’une minute ces objets. En baillant, on pense à l’étirement du temps d’un Marthaler, qui, contrairement à NO83, joue sur l’hypnose musicale. Ici, la lenteur est cassée par le rire et des errances folles : un chien enragé, une ministre dépassée, des sportifs de haut niveau… Impossible de garder le cap de l’espace et du temps, puisque l’on ne sait pas où l’on va. D’ailleurs, les fréquents morceaux de musique de Steve Reich et John Adams sont presque systématiquement interrompus brutalement par quelqu’un qui éteint la sono. Le décor est fermé, puis ouvert (les murs se transforment en passages), puis fermé, puis parti : on emballe les accessoires (canapé, chaises, étagère, planches de bois, objets) dans un immense drap blanc ficelé, et on le soulève dans les airs avec une poulie. Le bateau peut s’envoler.

Et, toujours, les lièvres. Ils passent, regardent et puis s’en vont. Sans comprendre. Finalement, est-il réellement nécessaire de comprendre ? NO83 nous invite à embarquer à bord du bateau du non-savoir, qui est peut-être aussi, paradoxalement, celui de la connaissance.

De & mise en scène par Tiit Ojasoo et Ene-Liis Semper
Production Théâtre NO99, Tallin, Estonie