XI
Comme je passais préoccupé
de rien au monde
sinon de la postérité
dont je jouis sur la route en
vertu de la loi –
je vis
un homme d’un certain âge qui
sourit puis tourna la tête
du côté d’une maison au nord –
une femme en bleu
qui riait et
se penchait en avant pour mieux
voir le visage à demi
détourné de l’homme
et un garçon de huit ans qui
regardait briller là-bas sur
le ventre de l’homme
une chaîne de montre –
L’importance suprême
de ce spectacle anonyme
m’amena à filer devant eux
sans un mot –
Pourquoi me soucier d’où j’allais ?
puisque j’allais glisser sur les
quatre roues de ma voiture
le long de cette route humide
jusqu’au moment où je vis
une jambe
de fille par-dessus le
garde-fou d’un balcon
L’écriture n’aura de réalité qu’à condition de laisser d’abord travailler l’imagination, comme il est expliqué en partie dans ce qui précède – Il ne s’agit pas d’entreprendre, à ce moment-là, une estimation des valeurs du mot qu’on utilise suivant des critères présupposés, mais d’écrire ce qui se passe alors à ce moment-là –
D’aller au bout de ses capacités à rendre compte de cet instant où la conscience est élargie grâce à la meilleure compréhension qu’offre l’imagination, d’exercer son talent à enregistrer cette force en action, enfin de la reconnaître, dans toute l’importance de ses proportions –
C’est la présence d’une
Il ne s’agit pas d’ « adapter » l’expérience mais de l’unifier
C’est-à-dire que l’imagination est une force réelle comparable à l’électricité ou à la vapeur, et non pas un jouet, c’est une puissance dont on se sert depuis toujours pour augmenter l’intelligence de – cela est, inutile d’avoir recours au mysticisme – En fait c’est ça qui m’a dissimulé ce que je cherchais à savoir –
La valeur de ce que l’imagination apporte à l’écrivain réside dans son aptitude à faire des mots. Elle possède le pouvoir unique de donner à des formes créées une réalité, une existence véritable
Écrire ne revient pas à chercher un peu partout dans l’aventure quotidienne des comparaisons appropriées et des pensées, des images qui soient jolies. J’en ai malheureusement fait moi-même l’expérience. Ce n’est pas consciemment donner un compte-rendu « tout frais et ressemblant » des événements du jour – Ce genre de chose n’est pas bénin s’agissant de développer un talent quel qu’il soit, cela paralyse, fait de l’artiste un – Cela détruit, fait de la nature un simple accessoire pour la théorie particulière qu’il applique, cela l’empêche de voir le monde qui est le sien, -
Avec de l’imagination l’écrivain se sentirait dispensé d’observer les choses dans le seul but de les mettre par écrit ensuite. Il serait là pour apprécier, pour goûter, pour convier le monde libre, pas un monde qu’il transporterait comme un sac de provisions, craignant toujours de laisser échapper quelque chose ou qu’un autre ait plus que lui.
William Carlos Williams Le printemps et le reste (1923), trad. Valérie Rouzeau, Unes, 2000 (pp. 52-53)
[Jean-Pascal Dubost]