Deux ans après Le bal des actrices, Maïwenn revient sur les écrans avec une
oeuvre extrêmement secouante. Justement auréolé du Prix du Jury lors du dernier Festival de Cannes, Polisse suit le quotidien des membres de la B.P.M. (Brigade de Protection des Mineurs)
de Paris. Entre gardes à vue, interrogatoires de parents incestueux, maltraitances à enfants et enlèvement de nourrissons, ces policiers confrontés chaque jour à une horreur inommable tâchent de
ne pas perdre pied et de conserver tant bien que mal un semblant de vie personnelle équilibrée. A l'issue de la projection du film, c'est un euphémisme d'affirmer que l'on sort de la
salle la gorge nouée, les yeux humides et la conscience à la fois honteuse d'appartenir à une espèce capable d'engendrer des monstres échappant à toute définition, mais également fière
de compter en son sein des êtres protecteurs dont la difficulté de la tâche n'a d'égale que la force de caractère indispensable à sa réalisation.Maïwenn, afin de traiter son sujet, a judicieusement choisi le biais de la fiction. Car nul documentaire (par définition "mis en scène", donc tout sauf
authentique) ne saurait mieux saisir la réalité qu'une oeuvre dramaturgique. La réalité étant par essence insaisissable, la fiction s'impose de facto, permettant, à travers un
scénario, de toucher au plus près de la réalité des choses (Raymond Depardon contituant l'exception qui confirme la règle). Ainsi, dès la première image, le film nous attrape par le col pour ne
plus nous lâcher deux heures durant. Comédiens criants de vérité, situations déchirantes (la scène du jeune garçon emmené à la brigade par sa mère pour être placé en foyer), énergie suintant de
la toile de l'écran, Polisse secoue en permanence, scotchant régulièrement le spectateur à son fauteuil, le laissant tantôt tétanisé (le mort-né), tantôt révolté (le père incestueux
protégé par ses relations), mais jamais insensible.Parallèlement, Maïwenn réussit l'exploit d'injecter de l'humour dans plusieurs séquences a priori totalement inapropriées. Outre la soupape de sécurité que
constitue le rire pour ces policiers, c'est également un ballon d'oxygène offert par la réalisatrice au spectateur entre deux scènes émotionnellement éprouvantes. La séquence de la fellation
pour un portable vaut à elle seule son pesant de cacahuètes, comme certaines lignes de dialogue, traitées sur un ton humoristique bienvenu ("aujourdhui, à 14 ans, on baise, on suce, on n'est
plus au temps de Louix XIV" assène ainsi une jeunne fille à deux policières médusées).Impossible par ailleurs de parler de Polisse sans évoquer ses comédiens. D'une implication totale, d'une puissance de jeu phénoménale, ils explosent
littéralement la pellicule, incarnant leurs personnages avec une véracité et une authenticité véritablement troublantes, brouillant allègrement la frontière entre l'être et le paraître, le
comédien et son rôle, le jeu et l'oubli de soi. Si Marina Foïs et Karin Viard trouvent clairement dans le film le meilleur rôle de leurs carrières, Joey Starr représente l'énorme surprise du
long-métrage. Policier submergé par les émotions provoquées par son boulot, il déborde d'amour pour les enfants qu'il protège, et s'investit au-delà de tout pour recouvrir de son aile protectrice
les très jeunes victimes qui défilent dans son bureau. La scène dans laquelle il craque émotionnellement en rassurant un petit arraché à sa mère reste inoubliable.Dans une saison cinématographique extrêmement riche en films de qualité (Drive, Le Skylab, Les aventures de Tintin, entre autres, sont là pour en
témoigner), Polisse occupe une place de choix, vraisemblablement la meilleure. M'attendant à découvrir un film certes réussi, je ne me serais jamais douté de l'état dans lequel je
quitterai la salle. Fébrile, triste, heureux. Avec la persuasion que ce qui donne au monde son équilibre, ce sont bel et bien les enfants.