A propos de Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan 4.5 out of 5 stars
- Muhammed Uzuner
En Turquie, à deux cent kilomètres d’Ankara, dans la région centrale d’Anatolie, plusieurs hommes dont un docteur, un procureur et un policier accompagnent un homme et son frère suspectés d’un meurtre et qui doivent indiquer aux enquêteurs l’endroit de la dépouille. Mais l’enquête piétine… Les suspects, alcoolisés ou endormis au moment des faits, ne se souviennent plus où ils ont enterré le corps…
Autant être franc et ne pas mâcher ses mots : si Il était une fois en Anatolie n’est pas un chef d’œuvre, il s’en approche sensiblement.
L’enquête qui constitue la trame dramatique du 8ème long métrage de Nuri Bilge Ceylan est le prétexte à une étude de caractères très poussée et tchékhovienne. Un triple portrait psychologique au milieu duquel s’inscrit la figure d’un docteur (tiens, tiens…) en proie à des questionnements existentiels.
Un médecin sondeur de l’âme humaine et qui, à mesure qu’il observe les situations et discute avec les protagonistes de l’affaire, semble éprouver de plus en plus de compassion pour le principal suspect.
Que lit-on sur le visage de ce médecin venu pratiquer une autopsie sur un cadavre introuvable ? De l’inquiétude ? Sans doute, car ce docteur (joué par un excellent Muhammed Uzuner) semble bien songeur, qui pose un regard profond sur les êtres.
Le style du polar est un prétexte. Dès le début, il ne fait aucun doute que le principal suspect est bien l’auteur du crime. L’enjeu du film est ailleurs, dans cette plongée lente, précise et minutieuse dans les tréfonds de l’âme humaine à laquelle nous convie Ceylan. Son médecin est un type assez secret et silencieux. Que pense-t-il au final ? Pour le procureur, il ne fait aucun doute que c’est un « sceptique ». Pour le spectateur, la question n’est pas aussi simple à régler.
Le visage impassible du médecin masquerait-il les signes d’une dépression ? Il semble en tout cas de plus en plus douter de tout au fur et à mesure que l’enquête avance. Et qu’est-il venu faire dans ce coin paumé de Turquie, lui qui est issu d’une grande ville ?
Ceylan a un don unique pour mêler les genres et créer des décalages. Son film se situe entre documentaire anthropologique (avec la description du folklore et des traditions d’une campagne turque) et (pseudo)polar ponctué d’humour et de situations cocasses qui contrastent avec la tragédie vécue par une mère et son enfant.
Mais dans les discussions entre le procureur et le médecin, dans les interrogations métaphysiques que porte le film, c’est incontestablement à Tarkovski qu’Il était une fois en Anatolie renvoie.
A Tarkovski et à Stalker avec ces êtres (dont le procureur soucieux mais souriant) en proie à des questionnements profonds et qui semblent errer, un brin perdus comme ces coins où ils discutent. L’épisode de la pomme qui roule dans la rivière est un clin d’œil au réalisateur russe disparu en 1986 et à la dimension organique de ses films.
On se souvient aussi plus récemment de Soldat de papier d’Alexeï German Jr. Si les acteurs jouent tous merveilleusement, la photographie du film n’en est pas moins admirable, tout en clairs-obscurs, renvoyant aux lumières et aux ambiances froides (voire glaçantes) de ses précédents films, Ceylan se risquant même à citer Vermeer, comble du culot et de l’audace !
Sombre mais pas désespérée (optimisme à la fin), cette chronique sur une tragédie humaine en Anatolie n’est vraiment pas loin du chef d’œuvre…
www.youtube.com/watch?v=kYk2kJljBjA
Film turc de Nuri Bilge Ceylan avec Muhammed Uzuner, Yilmaz Erdogan, Taner Birsel (02h37).
Scénario : 4.5 out of 5 stars
Mise en scène : 4.5 out of 5 stars
Acteurs : 4.5 out of 5 stars
Dialogues : 4.5 out of 5 stars