Dimanche s’ouvre le salon qui monte.
C’est une situation empreinte de contradictions : nombre de grandes compagnies aériennes, Air France en tête, éprouvent les plus grandes difficultés à redresser leurs comptes et, dans le même temps, les grands avionneurs engrangent des commandes à un rythme rarement constaté dans le passé. Soit que le transport aérien regarde au-delà de ses problèmes immédiats, soit qu’il préfère vivre dangereusement.
Le salon de Dubaï qui ouvre ses portes dimanche va nous rappeler éloquemment que s’installe une aviation commerciale à deux vitesses qui tente de faire cohabiter deux courants quasiment incompatibles, sorte de guerre des anciens et des modernes. D’un côté, le canal historique, occupé par des compagnies dites traditionnelles, de l’autre celles qui portent les couleurs de régions «nouvelles», à commencer par le Golfe. Avec, bien sûr, électrons libres en forte progression, les low cost qui gênent les «legacy carriers» bien plus que ces derniers ne veulent le reconnaître, précipitant leurs réseaux court-courriers dans d’inextricables difficultés.
Replacé dans ce contexte, le salon de Dubaï prend une importance particulière. A coup sûr, des commandes nouvelles vont y être dévoilées et il y a fort à parier qu’elles soient le fait de compagnies de la région. Emirates, Etihad, Qatar et quelques autres donnent le ton, en même temps que leurs consoeurs asiatiques. Dubaï n’est plus un salon de l’aéronautique «régional», appellation légèrement péjorative qui tendait à le maintenir dans une seconde zone, mais bien un symbole de montée en puissance. Cette année, une cinquantaine de pays y seront présents.
Cette même région, au sens géopolitique du terme, affiche par ailleurs une importance considérable au plan militaire. D’où la présentation de matériels illustrant les efforts déployés par de grands industriels européens et américains pour tenter d’obtenir de nouvelles commandes, là où les budgets de la défense ne sont pas en berne. Ainsi, le convertible Bell-Boeing V-22 Osprey sera l’une des vedettes du salon, tout auréolé de son bon comportement opérationnel en Afghanistan et en Libye.
C’est pourtant l’actualité civile qui va s’arroger la vedette. Embraer pourrait saisir l’occasion pour confirmer une rumeur qui circule depuis quelques jours dans le microcosme, à savoir sa décision de renoncer à lancer un 130/140 places susceptible de concurrencer le C.Series de Bombardier. Si cette hypothèse devait être confirmée, ce ne serait sans doute pas une bonne nouvelle pour l’avionneur québécois. Certes, il n’aurait pas à s’opposer à un concurrent gênant mais l’analyse attentive du marché menée à bien par les Brésiliens indiquerait que le marché accessible à un biréacteur court-courrier de cette capacité serait très limité. D’ailleurs, le C.Series ne se vend pas – ou peu – à un moment où les «nouveaux» appareils d’Airbus et Boeing battent des records commerciaux.
Airbus a placé près de 1.400 avions depuis le début de l’année, trois fois plus que l’année dernière à la même date, et est susceptible d’annoncer de nouveaux contrats dès dimanche ou lundi. L’A320 NEO y est pour beaucoup et suscite un problème rare : comment accroître suffisamment vite la cadence de production ? La même question se pose, de toute manière, chez Boeing qui a maintenant vendu 600 exemplaires du 737 MAX. Enfin, sur le créneau des biturbopropulseurs, on constate l’envolée des commandes d’ATR.
Les 55.000 visiteurs attendus à Dubaï, dont 20% venus d’autres parties du monde, ne découvriront pas pour autant de nombreuses nouveautés, tout au plus le petit bimoteur chinois MA 600 et le 787, toujours objet d’une grande curiosité. Mais personne ne visite un salon de l’aéronautique pour y découvrir de nouveaux avions. Cette époque est bel et bien révolue.
Pierre Sparaco - AeroMorning