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Toute l’horrifique vérité sur Marseille

Publié le 10 novembre 2011 par Nicolas Esse @nicolasesse

Toute l’horrifique vérité sur Marseille


Il fait moche. Il fait gris. C’est le moment d’aller à Marseille.

Prenons Marcel Pagnol.
Ses livres grésillent du champ des cigales que le soleil brûlant calcine en commençant par les pattes. La cigale a la patte fine. Le matin elle se réveille. Elle fait un brin de toilette. Elle lisse ses longs cheveux dorés. Elle s’étire jusqu’au bout des doigts. La cigale est paresseuse et c’est là son moindre défaut, alors que la fourmi est industrieuse, pauvre cloche.

Midi sonne et la cigale est encore en bigoudis.

L’après-midi avance. Sur l’étal, Fanny fait frire ses coquillages au feu vif du soleil qui embrase les pierres jaunes du Vieux-Port. La cigale apparaît sur le seuil du cabanon. Mini-jupe avec vue sur la mer. Choucroute peroxydée et talons de quinze centimètres. Elle fait un pas sur les dalles incandescentes et se dit que pour un mois de novembre, la bise peut toujours attendre. Au Bar de la Marine, César a noué sur son crâne les quatre coins d’un mouchoir propre. On n’est jamais trop prudent. Un peu plus au Nord, le Papet fait la sieste pendant qu’Ugolin mate Manon en immersion dans un lac en ébullition.
Décembre arrive. Le bitume surchauffé fait fondre les talons. La cigale porte une micro jupe ventilée et des tongs en fibre de carbone. Sur le Vieux-Port, fond le Bar de la Marine et les glaçons s’évaporent avant même d’avoir touché la surface du Pernod racheté par Ricard en 1975. Marseille, le Sud et le soleil qui éclate les cailloux. Marseille, le mythe de l’été de plomb qui transperce décembre. Une belle rigolade, une belle galéjade, une grosse inventade pour mieux caillasser les voitures des vrais Parisiens qui viennent s’échouer sur la Canebière.

Comment croire un Marseillais ? À plus forte raison, comment croire une Marseillaise, surtout lorsqu’elle est Parisienne ?

Gens du Nord, de l’Ouest et de l’Est, Périgourdins et Berrichons, Suisses, Belges et habitants du Grand Nord. Touristes hagards et abreuvés de propagande cigalière. Attention fiction ! Cinéma ! Propagande industrielle !
En vérité, il pleut à Marseille.
Il pleut. En rideau. En bourrasque. Par pleines lessiveuses. Sans discontinuer. Il pleut à la verticale. À l’horizontale. Il pleut des hallebardes. Et lorsque la pluie s’arrête, alors, la pluie recommence. Le touriste humide jusque dans son intimité jure mais un peu tard qu’on ne l’y reprendra plus. Il traverse la route à la nage, son parapluie éventré à la main. Il prend l’eau de toutes parts, pendant qu’Escartefigue fend le cœur de César, les pieds bien au chaud devant la cheminée qu’on a pris soin de couper au montage. Lorsque la manille est finie, tournée de chocolat chaud au Bar de la Marine. Transportées par les flots, les autos viennent s’échouer sur la rambarde du Vieux-Port. Monsieur Brun peut enfin assister à un autre naufrage que le sien.
De retour de Marseille, avec de l’eau plein mes valises, j’ai décidé de briser la loi du silence malgré les menaces d’une exilée parisienne* maquée avec tous les propagandistes du soleil éternel posé sur César, Marius et Fanny. Je dirai donc la vérité, fût-ce au péril de ma jeune existence. Touristes de tous les pays, ne croyez pas ce que vous racontent le cinéma et la littérature.

À Marseille, le soleil n’existe pas.

* Jeune femme de ma connaissance qui a fui la Ville-Lumière et écrit ce texte très beau sur à peu près le même sujet.



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