Paul-Yves Nizan né le 7 février 1905 à Tours est tué le 23 mai 1940 à Audruicq (Pas-de-Calais) lors de l'offensive allemande contre Dunkerque. Romancier, essayiste, journaliste, traducteur et philosophe, la publication en 1931 de son premier ouvrage Aden Arabie (qui débute par les phrases devenues célèbres : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. ») lui permet de se faire un nom dans le milieu littéraire et intellectuel. C’est en 1938 que paraît La conspiration qui sera couronnée du prix Interallié.
Roman en trois parties distinctes, qui esquisse le portrait d’une génération de jeunes gens. Cinq étudiants en philosophie dans le Paris des années 1920/1930 fondent une revue révolutionnaire sous l’impulsion de Bernard Rosenthal, leur leader, un jeune homme issu de la bourgeoisie. Exalté, ou du moins animé de cette fougue naïve propre à la jeunesse, Bernard entraîne ses amis, Laforgue, Jurien, Pluvinage et Boyé, dans ce qu’il considère être un acte héroïque, une conspiration visant à voler un plan militaire pour le compte du Parti Communiste. L’idée lancée, la réalisation en sera beaucoup moins grandiose et finira par capoter lamentablement.
La seconde partie expose l’éducation sentimentale de Bernard Rosenthal. Enthousiaste, en réaction contre son milieu, une riche famille bourgeoise des beaux quartiers, il s’est lancé dans la révolution pour le côté cour, pour le côté cœur là aussi, ses sentiments pour sa belle-sœur le poussent à la contraindre à quitter son mari pour venir vivre avec lui, d’amour et d’eau fraîche mais libre. Bien entendu, entre le rêve et la réalité il y a un fossé que Bernard, aveuglé par son romantisme révolutionnaire ne peut voir, contrairement à sa belle qui finit par lui écrire « Votre terrible orgueil vous perd, vous qui ne valez pas plus que tous les autres, qui n’êtes qu’un peu différent. » Seul contre tous, Bernard se suicidera.
Enfin, la dernière partie est une confession de Pluvinage, qui explique son parcours et sa trahison. Ses origines modestes, ses complexes vis-à-vis de ses amis plus fortunés, son engagement au Parti Communisme, dans un geste de reconnaissance sociale, et ce qui l’a amené à dénoncer à la police, un dirigeant du Parti.
Nizan écrit un roman intemporel, chronique d’une génération. Ou comment passer de la jeunesse à l’âge adulte, sans renier ses idéaux d’adolescence. Quadrature du cercle, renouvelée sans cesse quand les beaux sentiments s’affrontent aux dures lois de la réalité. Certains tentent le passage en force comme Bernard Rosenthal et y laissent la vie, d’autres plus nombreux passent en louvoyant au prix de compromis plus ou moins honorables, il en est majoritairement ( ?) qui abandonnent avec le temps, jeunesse et idéaux, comme le serpent sa vieille peau au bord du chemin.
« Pour que les jeunes gens se tiennent tranquilles, les hommes de quarante ans leur racontent que la jeunesse est le temps des surprises, des découvertes et des grandes rencontres, et toutes leurs histoires sur ce qu’ils feraient s’ils avaient leurs jeunes dents, leurs jeunes cheveux, avec leur fameuse expérience de pères, de citoyens et de vaincus. La jeunesse sait mieux qu’elle n’est que le temps de l’ennui, du désordre ; pas un soir à vingt ans où l’on ne s’endorme avec cette colère ambiguë qui naît du vertige des occasions manquées. Comme la conscience qu’on a de son existence est encore douteuse et qu’on fait fond sur des aventures capables de vous prouver qu’on vit, les fins de soirées ne sont pas gaies ; on n’est même pas assez fatigué pour connaître le bonheur de s’abîmer dans le sommeil : ce genre de bonheur vient plus tard. »
Paul Nizan La conspiration Folio