La lettre volée
Un virtuose, Joshua Bell, un Stradivarius ,six classiques très difficiles à éxécuter.
43 minutes dans le métro de New York. Plus de 1 000 passants. Seuls 7 s'arrêteront.
L'article du Washington Post (en anglais)
La Lettre Volée est une nouvelle d'Edgar Poe, réinterprétée (j'allais dire remixée) par Lacan. C'est un objet qu'on cherche partout dans une pièce, vainement alors qu'il est en évidence sur la cheminée.
Ce musicien fait salle comble dans le monde entier et passe inaperçu dans une foule dense alors que, à l'instar de cette fameuse lettre, il est en évidence. Va-t-on dire que, pour autant, la foule est inculte, n'a pas l'oreille musicale ? Va-t-on prétendre que l'art est fortement connoté par tout un appareil de mise en scène, de lieux, d'articles de presse, de publicité ? Hors cadre, le talent se fond dans le banal.
Si cette vidéo est intéressante, c'est qu'elle offre plusieurs pistes, plusieurs lectures. Polysémique. Plusieurs veines d'interprétation sur notre perception de l'art, ce qui le constitue en tant que tel. L'art contemporain, avec Duchamp, a poussé la porte, mais le fameux urinoir est exposé dans un musée, un lieu spécifique, ce qui le rend unique dans l'histoire de l'art.Si on ouvre la porte trop grand, l'art disparaît dans la forte lumière du quotidien. C'est la frontière de l'art contemporain cette absence de mise en scène.
Ce musicien, quand il interprète du Bach, si virtuose soit-il, se met en apposition de la coutume, franchit un seuil (je dirais même un seuil auditif). Il n'est donc pas entendu. Il est décontextualisé. Il a ainsi perdu son identité. Sa virtuosité est indécelable, comme cette lettre. A la fois présente et absente comme le tableau de Courbet que Lacan avait caché sous autre. Il existe, mais nul ne le voit.
Dire que la foule est inculte est aussi une piste. alors que chaque individu est cultivé, a des connaissances musicales. La foule ne se rassemble que dans des lieux de culte : musée, salle de concert, événement prévu, performance labellisée artistique. Elle se perd dans le fourmillement d'informations que lui propose la ville et elle ne perçoit justement que ça : des informations et ne lit tout qu'à l'aune de ce spectre.