Immobilier : chérie, j’ai rétréci notre avenir
Pendant que la finance continue de faire des zig-zags créatifs et que le gouvernement s’emploie à accroître ses spasmes, la vie des Français, elle, trotte dans la mauvaise direction : le peuple s’appauvrit. Et de nos jours, il devient fort difficile de trouver un refuge pour son épargne, impitoyablement grignotée par l’Etat. Heureusement, il reste l’immobilier. À moins que … ?
Régulièrement, il est bon de s’interroger sur la situation de l’immobilier en France.
Après tout, si tant de nos compatriotes ont choisi d’investir dans la pierre, c’est qu’ils ont de bonnes raisons, à commencer par le fait, bien connu, que la majorité ne peut pas se tromper, voyons. Ceci posé, un peu d’analyse critique ne fait pas de mal, et on peut trouver de temps en temps quelques éléments de réflexions sur internet (à commencer par ici, bien sûr).
A première vue donc, les raisons de devenir propriétaire ne manquent pas. Un achat immobilier constitue, pour l’écrasante majorité des gens, un patrimoine destiné soit à être transmis, soit à être revendu plus tard, avec éventuellement une bonne plus-value. Il y a bien évidemment aussi l’argument affectif (un petit chez soi valant mieux qu’un grand chez les autres), mais il n’est que ça, affectif (à quel prix est-on prêt à vivre dans un tout tout petit chez soi lorsqu’on peut avoir un grand chez les autres confortables et plus adapté à sa situation ?).
J’écarte rapidement l’argument « un loyer, c’est de l’argent jeté par les fenêtres », qui constitue une réponse émotionnelle et non rationnelle ; comme on va le voir plus loin, les loyers étant actuellement inférieurs aux traites dans une majorité des cas, le calcul est un peu plus compliqué qu’il n’y paraît.
Seulement voilà, à ces évidentes remarques, il faut ajouter la conjoncture actuelle assez particulière : comme en témoignent de nombreux articles de presse, il est actuellement de plus en plus difficile de devenir propriétaire. Or, actuellement, l’achat immobilier n’est pas obligatoirement une bonne affaire.
Déjà, de jeunes propriétaires goûtent à la joie douteuse du surendettement suite à une décision malheureuse : non, acheter un bien immobilier ne protège de rien et comme tout investissement, il peut être suivi de mauvaise fortune.
Evidemment, ce ne sont pas certains articles caricaturaux tout acquis aux lobbies immobiliers qui expliqueront les risques que comporte cette opération.
Par exemple, on parle sans arrêt d’un manque chronique de logements disponibles (dans le précédent article comme dans d’autres) ; il faudrait, d’après les enragés de la construction à tout va, produire 500.000 (voire plus) nouveaux logements par an pour arriver à éponger la demande. Soit. L’INSEE, cependant, dénombre plusieurs millions de logements vacants dans le même temps (et en augmentation constante depuis 10 ans). Ne voyez-vous pas là comme un petit souci ?
Et lorsqu’on regarde les prix, leur évolution dans les dernières années, on sent bien un problème structurel. Avec un joli graphique, on s’en rend mieux compte.
Il est bien connu que les arbres, comme les cours de bourse et l’immobilier, montent toujours jusqu’au ciel, sans limite. En réalité, on comprend qu’il y aura soit une baisse sensible (Peut-être maintenant ? Peut-être plus tard …), soit un improbable ajustement des salaires, soit un rattrapage par l’inflation.
Mais de façon plus fondamentale, actuellement n’est pas exactement la bonne période pour acheter. Prenons un exemple concret, moyen, pour s’en convaincre.
Si l’on utilise les statistiques de PAP par exemple, pour un 2 pièces 60 m², pour Nantes, on trouve en moyenne 841€ de loyer, et un achat correspondant à 2.519€ le m², soit 151.000€; pour Toulouse, on s’en sortira à 830€ de loyer, avec à l’achat (à 2.554€ le m²), 153.000€. Prenons donc un loyer moyen de 835€ et un achat moyen de 152.000€.
Lors de l’achat, ne l’oublions pas, on doit payer autour de 7% de frais de notaire, et l’agent immobilier prend au moins 4 à 5% de la valeur du bien, ce qui porte à 11% de la valeur totale de l’achat l’argent qui est dépensé directement dans l’opération juste pour avoir le droit d’acquérir le bien, et à 168720€ le montant total d’acquisition.
Imaginons que notre acquéreur achète en 2011 pour 10 ans ; c’est optimiste parce que la moyenne d’occupation est de sept ans, mais passons. Plaçons nous aussi dans l’hypothèse moyenne où il apporte 20% du montant du bien en numéraire (30.400€). Au meilleur taux actuel du marché (3.76%, assurance incluse), la mensualité s’établit donc à 1402€. Au bout des dix ans, l’emprunt aura coûté 30.017€ d’intérêts. On devra en outre payer 10 ans de taxe foncière, autour de 700 euros par an (minimum), soit 7000 euros supplémentaires. Le coût total de l’opération s’élève donc à 120*1402+7000 = 175.240€.
Le locataire, sur la même période, aura versé 10*12*835 = 100.200€. Chaque mois, le locataire aura payé 567€ de moins que notre propriétaire équivalent, soit 68.040€ emmagasinés. Pour être parfaitement honnête, si le propriétaire a amené 30.400 en numéraire, on peut supposer que le locataire part avec le même avantage. Il a donc, en poche, au moins 98440 à la fin des dix ans. En étant extrêmement prudent, le locataire peut placer les sommes épargnées tous les mois, et obtenir au moins 20% de rendement sur celles-ci (soit au moins 10.000 euros supplémentaires, ce qui est, en 10 ans, une performance franchement médiocre). Au total, notre locataire dispose à la fin de la décennie, de 108.440€.
Le propriétaire, quant à lui, dispose d’un bien, intégralement payé, qui lui a coûté 175.000€ à l’achat dix ans avant. Il n’a plus d’épargne. Ce qui veut donc dire que, pour que notre propriétaire ne soit pas perdant par rapport à la location, le bien acheté doit s’apprécier d’au moins 131.000 euros dans cette même période (108.000 + (175.000-152.000)), soit une augmentation de plus de 8% par an.
C’est un pari couillu, surtout si l’on se rappelle que pendant ces 10 ans, on ne doit surtout pas avoir besoin de changer de localisation géographique (emploi oblige), et si l’on tient compte du précédent graphique. En 2000, ce pari pouvait encore s’envisager. En 2011, vu la hausse déjà réalisée, une nouvelle augmentation de 8% par an pendant 10 ans devra beaucoup à une inflation galopante dont on se demande comment elle pourra entraîner les salaires, alors que toute la zone euro s’appauvrit à vitesse grand V.
La conclusion est sans appel : la période actuelle est extrêmement risquée pour l’accession à la propriété ; une opération immobilière rentable n’est envisageable que dans des cas relativement hors des sentiers battus, qui existent mais ne sont pas, bien sûr, si nombreux. Evidemment, l’aspect purement émotionnel, le plaisir dégagé par l’accession à la propriété, cela n’a pas de prix, et peut expliquer qu’on franchisse le pas tout de même.
Mais il ne faudra pas s’étonner ensuite de passer ses vacances plutôt en bricolage dans son éventuel jardin ou dans les séances diapos chez le voisin, locataire, qui lui aura pu partir. C’est un choix.
—-
Sur le web