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Le gouvernement du lapsus. Leçon sur le style (2)
Par André Gunthert, dimanche 24 février 2008 à 12:00 (8393, Lien permanent vers : Le gouvernement du lapsus. Leçon sur le style (2)
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En images - Politique
Lionel Jospin est considéré comme le producteur le plus régulier de lapsus de la vie politique française. Mais, dans la longue agonie qui commence, Nicolas Sarkozy pourrait bien lui ravir la première place. L'épisode du "pauvre con" du salon de l'Agriculture nous apporte sur un plateau un cas d'école de la dégringolade de la communication sarkozienne.
Nul doute que l'inauguration rituelle de "la plus grande ferme de France" ait été perçue comme un calvaire par l'actuel chef de l'Etat – qui s'y était fait huer lors de son dernier passage, alors qu'il n'était encore que candidat. Chirac ayant fait de ce rendez-vous l'apothéose régulière de son mandat, Sarkozy était sûr que la comparaison allait lui être défavorable. Ca n'a pas manqué: dans les présentations de la mi-journée des JT, les commentateurs soulignaient le “pas de course” présidentiel et la brièveté de la visite.
Mais le pire restait à venir. A 19h33, le site du Parisien.fr mettait en ligne une séquence vidéo de l'arrivée du cortège. Dans le désordre de la cohue, un visiteur dont les opinions politiques sont visiblement à l'opposé, est poussé vers le chef de l'Etat en train de serrer les mains. “Ah non, touche-moi pas! Tu me salis!”, lance impulsivement le quidam. Les deux hommes sont alors à quelques centimètres l'un de l'autre. Sarkozy se détourne vivement en laissant échapper un: “Casse-toi! Casse-toi alors, pauvre con!”, avant de poursuivre son chemin.
Il y a deux semaines, le feuilleton de Michel Mompontet sur France 2, intitulé "Mon oeil", avait consacré une passionnante séquence au phénomène du bain de foule, montrant les difficultés du responsable politique pris au piège de ce tourbillon, luttant pour remonter le courant. Le titre de ce film, "Rushes", indiquait que ce qu'on y voit n'est pas conforme au spectacle officiel, et représente un à-côté qui est habituellement écarté du montage final.
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Comment un professionnel de la communication politique a-t-il pu laisser passer un tel écart de langage, alors qu'il était pile sous l'oeil de la caméra?
Or, l'identité du diffuseur ne doit rien au hasard. Le site du Parisien.fr s'est doté récemment d'une interface de présentation vidéo, hébergée par Kewego. Avant-hier, c'étaient les accusations calomnieuses de Rama Yade, enregistrés lors d'une réunion électorale à Colombes, qui étaient complaisamment mises en avant par la rédaction web du quotidien comme "La vidéo polémique qui «buzze» sur Internet". Nul doute que le dérapage du chef de l'Etat, qui dépasse les 300.000 vues aujourd'hui à 12h et a été recopié à plusieurs dizaines d'exemplaires sur les services de partage de vidéos en ligne (voir illustration ci-dessus), constitue une belle occasion de promouvoir la plate-forme du quotidien.
Mais l'absence d'auto-censure, de la part de rédactions qu'on a connu plus frileuses, est aussi un témoignage de la dégradation accélérée de la représentation présidentielle. Après avoir été longtemps corseté par la prudence et le ménagement, le traitement du personnage présidentiel s'inscrit désormais dans une logique du débondage, parfaitement illustré par le sketch culte d'Anne Roumanoff.
Comme l'apostrophe du Guilvinec, l'injure du salon de l'Agriculture appartient, non à la communication officielle du régime, mais à ses a-côtés, à ce qui a échappé à son contrôle. “Pauvre con!” n'est donc pas un lapsus au sens classique que lui donne la psychanalyse (substituer un autre mot au terme attendu), mais ce qu'on pourrait dénommer un lapsus propagandae – un faux-pas de la communication politique.
Cet épisode apporte quelques précisions utiles à l'étude du "style Sarkozy". En premier lieu, on constate que les éléments qui sont identifiés comme porteurs du style, à l'opposé du storytelling, sont précisément constitués par ces échappées et ces chutes. Ce sont elles qui, mises bout à bout, fournissent leur matériau premier aux vidéos parodiques. Dans l'exemplaire "Parle à mon nain" de Torapamavoa, on retrouve ainsi la plupart de ces lapsus du pouvoir, qu'il a suffi d'aligner en ribambelle.
La fréquence des dérapages présidentiels suggèrent ce que l'injure confirme: Nicolas Sarkozy n'a aucune conscience de l'"effet Dailymotion". Ses efforts de contrôle portent sur la communication traditionnelle et sur l'influence des médias, par la séduction ou l'intimidation. Mais il ne contrôle pas son style, fut-ce devant une caméra, et n'a pas conscience des dégâts produits par les embardées de son comportement en termes d'image. D'où son incompréhension devant la dégringolade des sondages, et son impuissance à en inverser le sens.
Tel un nouveau petit Poucet, le chef de l'Etat continue à laisser derrière lui ces traces qui font l'aliment du buzz. Il y a une certaine ironie à voir aujourd'hui son ancien mentor, Edouard Balladur, recommander au président d'"infléchir son style". Le conseil est avisé. Mais il n'est pas pour autant facile à suivre.