Une comparaison des valeurs et des comportement des mouvements Occupy Wall Street et Tea Party, et leur traitement par les médias.
Par Matt Kibbe (*)
Au début des protestations d’Occupy Wall Street, les revendications semblaient proches de celles du Tea Party. Les slogans « End the Fed » (Mettre fin à la Fed) et « Stop Crony Capitalism » (Arrêtez le capitalisme de copinage) fusaient. Des doléances similaires à celles visibles dans les manifestations des Tea Parties. En apparence seulement. Mais quelque chose ne concordait pas.
La réponse est venue de l’économiste et prix Nobel Vernon Smith, dans un discours lors du séminaire Mises en Italie. Sa lecture de la théorie des sentiments moraux d’Adam Smith se concentrait sur la question suivante : comment les normes sociales peuvent-elles émerger spontanément ?
Les deux Smith, Adam et Vernon, argumentent que les libertés individuelles et le droit de propriété sont les fondements du comportement moral. Les individus, jouissant pleinement de leur vie, de leur liberté et de leur propriété, se jugent et se soucient des jugements des autres individus. Cette responsabilité permet la coopération, la constitution d’une communauté et la prospérité de chacun.
Adam Smith écrivait en 1759 que « Les lois de la justice les plus sacrées, et par conséquent, celles dont la violation semble entraîner la vengeance et la punition, sont les lois qui protègent notre vie et celle de notre voisin », ajoutant « Le voisin est celui qui garde sa propriété et ses biens ». Le Tea Party l’a reformulé : « Ne blessez pas les individus, et ne prenez pas leurs biens ».
Le déficit budgétaire et les intrusions du gouvernement dans la vie des individus entraînent logiquement l’indignation. L’exemple le plus emblématique est la dernière réforme du système de santé, l’Obama Care, qui dicte à chaque Américain quelle assurance de santé il doit se payer et à quels traitements il a accès. Les Tea Parties s’opposent au gouvernement qui force les individus responsables à subventionner l’irresponsabilité des autres, en prenant la propriété et les biens de certains.
Lorsque les activistes des Tea Parties ont pétitionné contre leur gouvernement pour obtenir réparation de tels griefs, ils étaient plus d’un million le 12 septembre 2009. Ils ne se sont pas bagarrés. Ils n’ont pas saccagé les rues. Ils n’ont pas été arrêtés par la police. Ils disaient « excusez-moi », « merci ». Ils ramassaient leurs déchets et remettaient les espaces publics et les propriétés privées dans l’état dans lequel ils les avaient trouvés. Personne ne se plaçait au-dessus des activistes pour leur dire d’agir ainsi. C’était une question de respect et de conviction : les membres du Tea Party croient qu’il ne faut pas blesser les autres individus, ni porter atteinte à leur propriété.
Le contraste est saisissant avec le mouvement Occupy Wall Street.
Pourtant en nombre beaucoup plus faible que les Tea Parties, les manifestants d’OWS mènent une véritable lutte pour tenter de maintenir les règles de base de la civilité ou même pour créer une unité dans leur message de protestation. Durant les protestations à Zuccotti Park à Manhattan, il y a eu de nombreux vols, des dégradations de biens (publics et privés), et des arrestations souvent provoqués par des manifestants qui veulent entrer en conflit avec la police. De vrais individus – et non des membres du soi-disant 1% – sont blessés tandis que leurs petites entreprises et leurs biens sont détruits.
Et les choses sont bien pires en Europe. À Rome, une semaine après le séminaire Mises, une protestation des extrémistes de gauche a rapidement dégénéré en émeute, avec des manifestants qui brisaient les vitrines et incendiaient les voitures. L’Associated Press rapporte que les manifestants, « vêtus de noir et le visage couvert », « ont jeté des pierres, des bouteilles et des engins incendiaires dans les banques ». La police de Rome a dû revêtir la tenue anti-émeute. Certains manifestants avaient des barres de fer, d’autres des marteaux. Ils ont démolis des distributeurs automatiques, mis le feu aux poubelles et agressé plusieurs équipes de journalistes de Sky Italia.
Pourquoi un tel déferlement de violence ?
La colère de nombreux protestataires aux États-Unis contre le capitalisme de copinage et le chômage élevé, symboles de l’administration Obama, a une certaine légitimité. De même, beaucoup de jeunes de la zone euro ne trouvent pas d’emploi et sont confrontés à la véritable tempête qui s’est emparée des économies, écrasées par des dettes souveraines alimentées par des États providence indéboulonnables et paralysées par des syndicats du secteur public élevant des barrières à l’entrée des marchés du travail. Mais de leur côté, les membres des Tea Parties qui se sont soulevés pour ces mêmes problèmes ont employé une attitude non violente, qui reflète les valeurs du mouvement.
Lorsque vous cherchez à définir les valeurs d’Occupy Wall Street, vous découvrez uniquement un mélange disparate de demandes concurrentes et désorganisées. Beaucoup sont contre le capitalisme en tant que tel et la création de richesse en général. Ils veulent « redistribuer » les parts du gâteau, sans jamais chercher à augmenter sa taille. Et même si ce genre de revendications était légitime, comment pourriez-vous réaffecter la richesse de certains au profit des autres? Ce problème, le plus difficile à résoudre, se joue dans la vie réelle de Zuccotti Park, où une assemblée générale alloue les ressources rares entre les factions de manifestants. Symptomatique est la demande d’un groupe de percussionnistes de recevoir 8000$ pour l’achat de nouveaux instruments de musique. « Nous avons travaillé pour vous! Appréciez ce travail à sa juste valeur! » a réclamé un percussionniste avec colère, selon le Huffington Post. Lorsque la demande a échoué, des obscénités ont fusé et cela a dégénéré en bagarre.
Si vous avez lu « La Grève » d’Ayn Rand (Atlas Shrugged en version originale), vous ne pouvez vous empêcher de penser au sort de la Twentieth Century Motor Company, où la règle « à chacun selon sa contribution » est remplacée par « à chacun selon son besoin ». Et la sanction est sans appel : les résultats désastreux laissent une communauté entière – les 99% – sans emploi, démunis et en colère.
Malgré tout cela, aux États-Unis, le mouvement Occupy Wall Street a été célébré par beaucoup de médias et par le parti démocrate comme un contre-mouvement légitime aux Tea Parties. De nombreuses accusations infondées de violence attribuées aux Tea Parties semblent en réalité se produire quotidiennement dans les manifestations d’Occupy Wall Street. Pourtant, elles sont ignorées, par déférence pour la soi-disant supériorité morale de ce nouveau mouvement. Van Jones, un ancien conseiller environnemental du Président Obama affirme que les défauts d’Occupy Wall Street doivent être oubliées (vous savez, la violence, le manque de respect, ce genre de choses), car « ils ont la clarté morale ». Même le Président Obama a déclaré que « les protestataires donnent de la voix à une large frustration sur la façon dont le système financier fonctionne ».
Peut-être que la dissonance cognitive est une bonne stratégie politicienne pour la gauche américaine. Peut-être que le roi du capitalisme de copinage et du chômage américain gagnera sa réélection en codifiant le « too big to fail » dans la loi ? Les démocrates du congrès peuvent-il embrasser sans conséquence les demandes radicales, l’antisémitisme rampant, la violence et les actes de destruction de biens du mouvement Occupy Wall Street, après avoir taxé d’extrémistes les nombreux citoyens américains s’étant retrouvés sous la bannière des Tea Parties ?
Le désir brûlant de la gauche américaine de créer un Tea Party de gauche obscurcit leur jugement. Même Van Jones a concédé à contrecœur que les Tea Parties ont mieux fonctionné que les organisations communautaires les plus sophistiquées de la gauche. « C’est ironique », a-t-il dit en Juillet. « Ils s’affirment comme des individualistes intransigeants, mais ils agissent collectivement. » Lui et ses collègues ne semblent pas comprendre que les communautés ne peuvent pas exister sans le respect de la liberté individuelle. Ils ne peuvent pas imaginer comment des millions de personnes dans tout le pays, avec leurs ressemblances et leurs différences, peuvent coopérer volontairement et se coordonner, créer quelque chose de beaucoup plus grand et plus précieux que ce qu’aurait pu faire un individu seul.
Dans le monde de la gauche occidentale, quelqu’un doit être en charge d’une bureaucratie bienveillante qui sait mieux que chaque individu ce qui est bon pour lui. Ils ne peuvent pas s’empêcher de construire des structures hiérarchiques sans fin, des assemblées générales sans âme, peut-être parce qu’ils ne comprennent rien à la liberté.
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(*) Matt Kibbe est le président du Think Tank FreedomWorks, membre de l’Austrian Economics Center à Vienne et co-auteur « Give Us Liberty : A Tea Party Manifesto » (HarperCollins, 2010)
Article originellement publié dans le Wall Street Journal le 03.00.2011. Traduction: David pour Contrepoints.