Printemps arabe:Quelles réformes pour les pays arabes ?
L’absence des libertés démocratiques dans cette région peut s’expliquer par le paradigme khaldounien, selon lequel la prise du pouvoir politique ne s’accomplit pas sans le recours à la force et la légitimation du sacré.
Le séminaire sur les origines et les perspectives du printemps arabe, organisé dimanche et lundi à Montréal dans le cadre de la 12e édition du Festival du monde arabe (FMA), a remis au centre des débats la problématique de la démocratie dans les pays de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. L’absence des libertés démocratiques dans cette région peut s'expliquer par le paradigme khaldounien, selon lequel la prise du pouvoir politique ne s’accomplit pas sans le recours à la force et la légitimation du sacré.
C’est cette structure conceptuelle, qui remonte aux temps anciens de l'empire romain et Saint-Donat, qui est aujourd'hui à l’origine du déficit démocratique dans les pays arabes. Toutefois, ce déficit en matière de liberté n’a été possible qu’avec le soutien apporté par l’Occident aux dictatures qui commencent à s’effondrer grâce au vent de liberté qui souffle sur le Sud. C’est cet aspect qu’a abordé Nouh Harmouzi, chercheur à l'université d'Ibn-Tufaïl, qui qualifie les régimes politiques de cette région de “répressifs, corrompus, sclérosés, empêchant tout changement pacifique”. “Les sociétés arabes sont gouvernées, soit par des monarchies, des régimes à parti unique, des régimes militaires, des dictatures personnelles, soit une combinaison de tout cela, le plus souvent aux mains d'une famille, d’un clan, d'une tribu et, dans la majorité des cas, hautement dépendantes du soutien de l'étranger”, fera remarquer le conférencier.
L’universitaire Aziz Mechouat s'est intéressé, lui, au malaise identitaire qui a accompagné les révoltes arabes. Il a ainsi abordé les dogmes idéologiques qui ont dominé le discours identitaire depuis les indépendances pour démontrer que le Printemps arabe est le résultat de l'échec de trois idéologies : le nationalisme, le panarabisme et l’islamisme. Pour l'intervenant, la réislamisation des sociétés arabes a abouti à une impasse.
C'est quoi l’alternative ? D'abord un préalable : sortir de l'économie rentière. Comment ? Le Marocain Hichem Moussaoui, enseignant en sciences économiques, avance une sortie de crise qui se veut pragmatique ; celle-ci passe par “l’instauration d'un État de droit et la mise en place de conditions institutionnelles permettant des privatisations réussies, l'élaboration de lois de transparence budgétaire, notamment lorsqu'il s'agit de revenus pétroliers”.
L'orateur n'a pas manqué de faire un constat amer du caractère rentier des économies arabes. “Si la rente peut être une aubaine quand elle est engrangée par un pays démocratique, dans les pays arabes, force est de constater qu'elle a été captée par l'élite au pouvoir”, regrette-t-il. Pour sa part, l'économiste Emmanuel Martin a suggéré de saisir les liens de causalité entre répression politique et régression économique. “La corruption ne peut que saper les conditions institutionnelles du développement économique”, soutient M. Martin, qui reconnaît que le passage à la démocratie est une transition délicate.
À ce propos, la réflexion constitutionnelle devrait permettre, selon lui, de poser les bases du fonctionnement de la future démocratie qui a besoin d'un État fort respectueux des libertés et encadré par de solides contre-pouvoirs. Mais comment y parvenir ? “Il faut revenir à l’idée de constitution pour en saisir la dimension essentielle : non pas un simple outil d'organisation du pouvoir qui se transforme en justification du pouvoir, mais un outil de limitation du pouvoir (arbitraire)”, a-t-il argumenté. Autrement dit, avoir les institutions fondamentales pour asseoir la démocratie sur ces terres qui ont inspiré Ibn Khaldoun.
Y. A.