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Les pouvoirs des jeux d'argent & les jeux d'argent et le pouvoir

Publié le 09 novembre 2011 par Alain Dubois

Le pouvoir et les jeux d'argent en FranceLe dernier numéro de la revue Pouvoirs (1) - la revue Française d’études constitutionnelles et politiques dirigée par Olivier Duhamel, Marc Guillaume et Claire Zalc - aurait pu s’intituler , Les pouvoirs des jeux d’argent, les jeux d’argent & le pouvoir, tant il est vrai que la Politique des jeux – produit d’une lente construction historique – comme le précise Simon Georges (2) dans son article, révèle une tentative constante de maitrise étatique qui passe par la prohibition, l’interdiction/autorisation, pour aboutir à différentes formes de régulation/fiscalisation toujours partielle et en construction, la dernière en date datant du 12 mai 2010 et concernant les jeux en ligne. Mais si cette loi, note ce «fonctionnaire» (3), a recomposé la régulation des jeux et permis l’émergence d’un droit commun, elle a procédé à l’encadrement légal d’un secteur - le gambling virtuel - qui s’est essentiellement développé au départ «en marge de l’intervention de l’Etat».

C’est sans doute pour cette raison que Jean-Pierre Alezra – le patron de la Police des jeux - souligne (4) que la révolution des jeux par internet et la mondialisation ludique, favorisent «les dérives criminelles» de l’ensemble du secteur et qu’il convient de ne pas baisser la garde en matière de droit pénal et «d’adapter le dispositif français», qui repose sur un service d’enquête spécialisée, un arsenal législatif, un traitement judiciaire pour lutter contre toutes les formes de fraude et de mainmise du crime organisé dans le domaine du jeu.

Mais par définition, cette «révolution numérique des jeux d’argent» (5), que Christophe Blanchard Dignac (PDG de la Française des jeux) analyse dans le détail et - c’est à souligner - dans un esprit d’ouverture («il n’y a pas dans ce domaine une opposition entre libéraux et interventionnistes…le débat ne fait que s’ouvrir») ne concerne pas uniquement la France. Francis Donnat maitre de requête au Conseil d’Etat, actuellement référendaire à la Cour de Justice de l’UE, détaille avec précision (c’est sans doute l’article le plus didactique) les contradictions de la position Européenne. Il n’y a pas de texte de droit spécifique applicable en matière de jeux d’argent, qui ont été exclus du champ d’application de la directive sur le commerce électronique et aussi de celle relative aux services dans le marché intérieur. F. Donnat montre, avec de nombreux exemples, que faute de droit, c’est la «jurisprudence» de la Cour de justice de l’UE qui a progressivement forgé les règles.

François Trucy (Sénateur) - après avoir analysé - en sociologue - les multiples aspects du gambling, qualifié de «phénomène social majeur» (5), rappelé à l’opposition l’absence de variation significative des politiques des jeux suivant la couleur des partis au pouvoir, narré de manière critique la chronologie de la loi de mai 2010 qui s’est faite dans «l’urgence» décrétée par le gouvernement et le ministre du budget de l’époque (Eric Woerth)- revient sur cet aspect européen du dossier. Après, avoir rappelé la « partie de bras de fer «qui s‘est jouée entre l’Etat Français et l’UE et notamment le commissaire MC Creevy, après avoir reconnu «qu’il n’est aisé pour un gouvernement de dire qu’il légifère sous la contrainte, fut elle européenne» le Sénateur du Var croit pouvoir espérer, que le «petit livre vert» (6) de Michel Barnier soit «le document plus ou moins fondateur d’un début de politique des jeux dans l’UE.»

Retour salutataire en France avec l’article du professeur de droit Jean Louis Harouel (Paris 2 Panthéon Assas) qui montre que la longue histoire du jeu en France – de François 1° au pari en ligne (7) – est en fait l’histoire d’une longue prohibition, que l’Etat a su dépasser après de nombreuses vicissitudes, pour assurer la sécurité des jeux et des joueurs, tout en procurant «d’importantes ressources à la collectivité». Assurément, les principaux acteurs politiques qui viennent d’autoriser les jeux en ligne et débattre dans les deux Assemblées, ne pensaient pas autrement que leurs prédécesseurs. En ce sens, il y a bien une continuité dans la Politique des jeux Française, malgré ses retards incohérences et contradictions, c’est celle de la continuité de l’Etat… Croupier, qui souhaite contrôler/exploiter ce «merveilleux impôt volontaire », ce que personne ne conteste. C’est la double casquette de l’Etat Croupier qui est contestée par certains, le montant de la fiscalité, l’aspect liberticide d’une partie de la réglementation, ensemble qui à terme peut être préjudiciable… à l’Etat lui même.

Mais cette longue histoire des jeux en France a laissé des traces «décousues» dans le droit privé, «très imprégné des anciennes conceptions morales», nous dit Pierre Yves Gautier dans un excellent article (8) Ce professeur (Paris 2 Panthéon Assas, auteur de Contrat Spéciaux, Defrenois 2011, dont un titre est consacré au jeu et pari) souligne qu’il serait urgent de recodifier le régime légal du contrat de jeu, coincé entre le «vieux code civil», conservateur du droit commun de la France sur ce chapitre et qui reste inchangé, alors que le droit spécial de plus en plus libéral s’épanouit en marge.

Curieusement, c’est à Guy Carcassonne, membre du comité de rédaction de la revue Pouvoirs - et qui à notre connaissance n’est pas un spécialiste du jeu - que nous devons l’article le plus enlevé de ce dossier consacré au gambling. Monsieur Carcassonne nous parle de jouissance, de plaisir, de risques, de temporalités existentielles car il a compris que le jeu recèle «quelques mystères»(9) et ne correspond pas simplement à l’acte d’un acteur rationnel. Citation: «Plus de passé, plus d’avenir car seul existe l’instant présent et, si le sort est favorable, ce présent est celui d’une grâce.»

Il emporte également notre adhésion quand il souhaite «reconsidérer les idées reçues» sur les joueurs, par exemple celle que tout joueur est un «ludopathe en puissance». La charge contre la doxa du jeu pathologie maladie est cinglante, sévère, justifiée. Ils se reconnaitront. Nous aurons moins l’impression de prêcher dans le désert désormais. Citation: «La troisième idée reçue est celle selon laquelle le joueur cherche d’abord à perdre. Quoi que très répandue - on ne lui connaît pas d’autres sources qu’une psychanalyse à la hache. Qu’elle vienne de praticiens tout a fait étrangers au jeu et n’y comprenant rien ou qui, joueurs eux-mêmes, peinent à l’assumer, ou encore d’analystes qui n’ont été confrontés qu’à de vrais malades ou qui se craignent tels - elle est tout simplement absurde.»

Ce professeur de droit public (Paris X Nanterre), qui a pris par ailleurs une position politique courageuse en 2009 sur «tout ce qui dissimule le visage», conclut avec maestria : «Non les joueurs ne sont pas les damnés de la terre, et il serait peut être temps de finir par l’admettre.»

© JP Martignoni , Lyon, France, novembre 2011, 191

Notes

  1. Pouvoirs n° 139, Revue française d’études constitutionnelles et politiques, Les jeux d’argent, novembre 2011, 164 pages, Editions du Seuil
  2. Simon George , le droit public des jeux émergence et mutations d’une forme originale de maitrise étatique, ibid. 77-89
  3. Simon George est un pseudonyme utilisé par un fonctionnaire, docteur en droit public et spécialiste du droit du jeu, précise la publication
  4. JP Alezra & Véronique Degermann, Le droit pénal du jeu, ibid. , 103-118
  5. Christophe Blanchard Dignac, le révolution numérique des jeux d’argent, ibid. 25-38
  6. Livre vert sur les jeux d’argent et de hasard en ligne dans le marché intérieur, présenté par Michel Barnier (Commission européenne, Bruxelles, 24.3.2011, 39 pages)
  7. Jean Louis Harouel, de François 1° au pari en ligne, histoire du jeu en France, ibid. 5-14
  8. Pierre Yves Gautier, passions et raison du droit en matière de jeux d’argent, ibid. 91-101
  9. Guy Carcassonne, de quelques mystères du jeu, ibid15-23
  10. JP Martignoni-Hutin, une sociologie du gambling contemporain, ibid. 51-63

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