Le sentiment que laisse le film est étrange, pris entre un savoir-faire narratif qui le rend plaisant à regarder, et un manque flagrant d’audace qui le rend aussi passionnant qu’un article de 20 minutes. Efficace mais léger en somme. En fait le film souffre d’un mal récurrent et bien connu, celui des films qui préfèrent emprunter les chemins archi balisés de ce qui fonctionne auprès du public plutôt que de trouver une voie propre. Ce n’est pas profondément déshonorant, c’est même certainement pour cela que le public aime le film. Car il l’aime, aucun doute là-dessus, et c’est difficile de lui en vouloir. Moi aussi j’ai apprécié cette histoire d’une jeune journaliste blanche qui essaie d’aider les bonnes noires de Jackson, Mississipi à révéler les conditions de vie qui sont les leurs au sein de la communauté encore très sudiste et ségrégationniste dans cette Amérique période Kennedy.
On l’apprécie parce qu’il ne prend pas de risque, parce qu’il brosse tout le monde dans le sens du poil, parce qu’il allie humour et émotion (apparemment), et parce qu’il s’appuie sur tout un tas de clichés sur les relations humaines qui nous confortent dans l’idée que l’être humain est bon et beau (si si). Finalement, il y a de l’espoir pour tout le monde ici bas. C’est louable, et cela permettra peut-être même au film de Tate Taylor, adapté du best-seller de Kathryn Stockett, de glaner quelques nominations aux Oscars (à commencer par Octavia Spencer pour la statuette de la meilleure actrice dans un second rôle).
Mais la sortie du film est tout de même un peu amère. Non pas par cynisme (« Ralala, qu’est-ce que c’était gnan-gnan quand même !), mais plus par déception de voir un sujet et un cadre potentiellement si forts traités avec l’ambition d’un film Disney. Ah, on me fait signe dans ma cabine que le film est distribué par Disney, donc tout va bien, ceci explique certainement cela. Et puis La couleur des sentiments est aussi l’occasion de voir pour la troisième fois cette année la révélation féminine 2011 du cinéma américain, Jessica Chastain (avant de la revoir en décembre puis en janvier, alléluia !). C’est un plaisir non négligeable après tout.
Mais le plaisir est-il aussi fort devant ces films, comme La couleur des sentiments et Real Steel, qui n’osent à aucun instant faire du hors piste ? Les cinéastes sont-ils heureux, et les spectateurs comblés, de se contenter d’un plaisir immédiat correct aux dépens d’une potentielle prise de conscience ou d’une potentielle jubilation durable. C’est du gentil cinéma. Du cinéma que l’on serait de mauvaise fois de trouver désagréable à regarder, mais du cinéma trop générique pour emballer les sens. Et quand les sens ont pu être mis en éveil ces derniers temps par La guerre est déclarée, La cave des grottes perdues, Drive ou Les aventures de Tintin… difficile de se contenter de gentillesse.