Magazine Humeur
Frantz Fanon - Merci Moko21
Frantz Fanon, la colère vive
"Sur le colonialisme, sur les conséquences humaines de la colonisation et du racisme, le livre essentiel est un livre de Fanon : Peau noire, masques blancs. Sur la décolonisation, ses aspects et ses problèmes, le livre essentiel est un livre de Fanon : Les Damnés de la terre. Toujours, partout, la même lucidité, la même force, la même intrépidité dans l'analyse, le même esprit de "scandale démystificateur"." Cet hommage d'Aimé Césaire dit assez la place qu'occupe Frantz Fanon (1925-1961) dans la conscience universelle. Dans le panthéon révolutionnaire qui s'élabore dès le milieu des années 1950, Fanon se situe clairement aux côtés d'Ho Chi Minh, de Che Guevara et des autres grandes figures du monde nouveau. Les Damnés de la terre (Maspero, 1961) ont été, et sont encore, la Bible des mouvements tiers-mondistes.
Mais Frantz Fanon gêne, aujourd'hui comme hier. En décembre 1961, quand la nouvelle de son décès parvint à Paris, la police commença à saisir les exemplaires des Damnés de la terre, qui "menaçaient la sécurité de l'Etat". Les écrits de Fanon scandalisaient la droite et donnaient mauvaise conscience à la gauche, pas toujours très claire sur la question de l'indépendance algérienne. A la Martinique, la -terre où il vit le jour, Fanon dérange également. Certes, une avenue porte son nom à Fort-de-France, mais dans cette colonie, qui a choisi la voie de l'"assimilation", et qui est devenue département français, Fanon suscite le malaise. Lui, il est allé jusqu'au bout du combat de libération nationale, et il a défendu, sur le sol même de l'Algérie, la cause de l'indépendance. A la Martinique, on a plus ou moins renoncé à cette idée, non sans remords parfois. Du coup, face à Fanon, on est embarrassé. On préfère l'oublier. Et en Algérie ? En toute logique, il devrait être là-bas un héros national, lui qui fut un cadre du FLN. Mais le nationalisme algérien se définit comme arabo-islamique, et il est très difficile d'y inclure en bonne place un homme noir, étranger, qui plus est agnostique. Bref, personne ne sait s'il faut voir en Fanon un "Martiniquais", un "Français", un "Algérien", un "Africain", un "Noir" ; personne ne peut, ou ne veut, tout à fait se l'approprier. Serait-il donc lui-même un "damné" ?
Cinquante ans après la mort de Fanon, plusieurs ouvrages paraissent pour évoquer sa mémoire, son héritage, son devenir peut-être - le nôtre aussi ? La biographie importante de l'Américain David Macey (mort le 7 octobre), Frantz Fanon. Une vie, que les éditions La Découverte ont traduite en français livre les résultats d'une recherche riche, fouillée, minutieuse, et laisse passer un souffle épique, qui transporte le lecteur de la Martinique à l'Algérie, en passant par la Tunisie, la France et le Ghana. Du combat contre le nazisme à celui contre le colonialisme, les deux grandes tragédies du XXe siècle. Psychiatre, combattant, théoricien, Fanon y apparaît pour ce qu'il est : un contemporain capital. A La Découverte encore, on publie un autre ouvrage, en tous points remarquable. Frère du précédent, avec une couverture qui arbore le même portrait, ce livre rassemble, sur papier bible quasiment (il fallait au moins cela...), les oeuvres complètes de Frantz Fanon, avec une préface de l'historien Achille Mbembe et une introduction de la philosophe Magali Bessone.
Frantz Fanon - Merci AnticolonialTV
La page de la colonisation ayant été tournée, Fanon, dit-on parfois en France, serait un auteur dépassé. Vraiment ? Quelle lumière crue jette pourtant son oeuvre sur nos débats contemporains ! Sur la question du voile, par exemple, il n'est que de lire L'An V de la révolution algérienne (1959). A mi-chemin entre l'enquête ethnographique, le reportage de guerre et le traité politique, ce livre hallucinant donne à comprendre mieux que tout autre ce que fut l'Algérie de ces "années de braise". Entre autres choses, Fanon met en évidence la "rage" des colons à vouloir dévoiler les Algériennes, des colons mus à la fois par des pulsions érotiques et par des mobiles politiques. En effet, le programme colonialiste entend mobiliser contre les hommes algériens les femmes indigènes, encouragées, sous le couvert de l'émancipation, à s'enrôler en faveur de l'Algérie française. "A chaque kilo de semoule distribué correspond une dose d'indignation contre le voile et la claustration", écrit Fanon. Des campagnes d'occidentalisation de la femme algérienne sont organisées : "Des domestiques menacées de renvoi, de pauvres femmes arrachées de leur foyer, des prostituées sont conduites sur la place publique et symboliquement dévoilées aux cris de "Vive l'Algérie française !"." Et si Fanon tend à minimiser le fait de la domination sexiste subie par les femmes voilées d'hier, concernant celles d'aujourd'hui, comment ne pas voir, dans certaines positions extrêmes sur la laïcité, à l'extrême droite et au-delà, les rémanences d'une domination post-coloniale ?
Sur la question noire aussi, Frantz Fanon, quelle lucidité ! Pendant longtemps en France, on a voulu ignorer le sujet. Après les grandes heures de la "négritude", cela semblait hors de propos. En 2004, je travaillais avec des amis militants sur la question des discriminations, et j'avais proposé qu'on utilise le mot "noir". Sans détour.
Cela avait inquiété au début : la crainte du qu'en-dira-t-on. Mais j'avais cité Fanon, Césaire, et nous avions franchi le Rubicon. C'est ainsi que fut lancé le CRAN, le Conseil représentatif des associations noires. Nous faisions nôtres les analyses de Fanon. Quand il évoque le désir de "lactification" de certaines femmes noires, qui aujourd'hui encore, prennent des produits pour se blanchir la peau, au péril de leur santé, au péril de leur vie. Quand il évoque "le Nègre, esclave de son infériorité, le Blanc esclave de sa supériorité (qui) se comportent tous deux selon une ligne d'orientation névrotique". Quand il évoque, enfin, l'expérience du Noir, être-pour-autrui, expérience assez semblable en somme à celle du juif, comme l'analyse Jean-Paul Sartre. Le professeur de philosophie de Fanon lui dit un jour : "Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille, on parle de vous."
Une pensée toujours mobile
Actualité de Frantz Fanon encore, lorsqu'il évoque les "damnés de la terre", et que nous voyons, ici et là, les "indignés" du monde, du Nord et du Sud, de Wall Street à la Puerta del Sol. Dans son livre Frantz Fanon. De l'anticolonialisme à la critique postcoloniale, le philosophe Matthieu Renault a raison de dire que la réflexion de Fanon est une "théorie voyageuse". Car il s'agit moins pour nous, aujourd'hui, de resituer son origine, son histoire ou sa "vérité", que de suivre les chemins d'une pensée toujours mobile, qui nous invite à des déplacements, plutôt qu'à des dépassements. Une pensée qui, commentée par les philosophes Jean-Paul Sartre, Hannah Arendt, Edward Saïd, Homi Bhabha, Charles Taylor, Judith Butler, et tant d'autres, constitue un carrefour important de notre modernité intellectuelle et politique.
Frantz Fanon - Merci Moko21
Frantz Fanon et les Antilles, indique le titre de l'ouvrage stimulant du sociologue André Lucrèce, qui situe le penseur, à juste titre, dans son contexte caribéen. Oui, mais aujourd'hui, Frantz Fanon est l'auteur d'un Tout-Monde, pour reprendre la formule de Glissant, qui appelle à l'insurrection.
On lit Fanon, on prend son crayon, on commence à souligner les passages mémorables, on vibre, on bout, puis on arrête. C'est tout le livre qu'il faudrait souligner...
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FRANTZ FANON, UNE VIE de David Macey. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christophe Jaquet et Marc Saint-Upéry. La Découverte, 598 p., 28 €.
ŒUVRES de Frantz Fanon. Préface d'Achille Mbembe, La Découverte, 884 p., 27 €.
FRANTZ FANON. DE L'ANTICOLONIALISME À LA CRITIQUE POSTCOLONIALE de Matthieu Renault. Ed. Amsterdam, 224 p., 14 €.
FRANTZ FANON ET LES ANTILLES d'André Lucrèce. Ed. Le Teneur, 166 p., 20 €.
par: Louis-Georges Tin
in: http://www.lemonde.fr/livres/article/2011/11/03
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http://www.frantzfanon.net/
Un site consacré à Frantz FANON
2011, année Frantz Fanon
Frantz Fanon, un classique pour le présent, par Miguel Mellino
Demain (19 mai 2011, Ndt) s’ouvre à Naples une rencontre internationale dédiée aux "Damnés de la terre ». L’actualité dense d'un auteur qui résiste au refoulement de son oeuvre.
Le 6 décembre 1961, Frantz Fanon mourait à l’hôpital de Bethesda dans le Maryland. Né à la Martinique en 1925, psychiatre et philosophe devenu militant organique du Front de libération nationale algérien, Fanon meurt terrassé par la leucémie quelques jours après la publication de son œuvre la plus connue : Les damnés de la terre. Anticolonialiste radical, mort malgré lui dans « le pays des lyncheurs », rien ne convient mieux pour rendre l’état d’esprit qui traverse ce texte que rappeler sa lettre à un ami peu avant sa mort: « Roger, ce que je veux vous dire c’est que la mort elle est toujours avec nous et l’important n’est pas de savoir si l’on peut l’éviter, mais si l’on fait pour les idées qui sont les siennes le maximum. Ce qui me choque ici dans ce lit, au moment où je sens mes forces s’en aller, ce n’est pas de mourir, mais de mourir à Washington de leucémie aiguë, alors que j’aurais pu mourir, il y a trois mois face à l’ennemi, puisque je savais que j’avais cette maladie. Nous ne sommes rien sur cette terre si nous ne sommes d’abord les esclaves d’une cause, de la cause des peuples, la cause de la justice et de la liberté. Et je veux que vous sachiez que même au moment où les médecins avaient désespéré je pensais encore, oh dans le brouillard, je pensais au peuple algérien, aux peuples du Tiers Monde et si j’ai tenu, c’est à cause d’eux »[1]. Comme nous le savons, la cause pour laquelle Fanon lutta eut sa première importante victoire avec la conquête de l'indépendance de l'Algérie presque un an après cette lettre.
C’est à l'occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Fanon et de la publication de Les damnés de la terre qu’aura lieu les 19 et 20 mai à l'Université de Naples « L'orientale », un colloque international : «Frantz Fanon : Leggere I damnati della terra 50 anni dopo » (« Lire Les damnés de la terre 50 ans après »).
Un succès mondial
Les damnés de la terre a été l'un des textes les plus populaires dans les années 1960 et 1970 dans le monde entier. Dans la plupart des pays coloniaux, il devint un des principaux textes de référence pour chaque militant engagé dans les luttes de libération nationale : que ce soit contre d’anciennes puissances colonialistes décidées à garder leur propre domination, ou contre des gouvernements militaires et démocratiques « indigènes », mais considérés comme complices de la politique néocoloniale des États-Unis dans les trois continents du Sud du monde. Même à l'intérieur des États-Unis, le texte de Fanon ne tarda pas à devenir une sorte de manuel de formation révolutionnaire auprès de certains des groupes politiques les plus radicaux de cette période, à savoir sur les campus en révolte comme chez les activistes noirs du Black Power ou parmi les militants du Black Panther Party. Bobby Seale et Huey P. Newton, fondateurs des Black Panthers, considéraient que le texte de Fanon était d’une importance fondamentale pour les luttes antiracistes des communautés afro-américaines. Nous pouvons aussi rappeler que l'introduction du manifeste Black Power. The Politics of libération (de Stokely Carmichael et Charles Hamilton, 1967) se conclut par une référence au texte de Fanon. Tandis que l’immense popularité des Damnés dans les campus mouvementés de l'époque est quelque chose qu’on peut déduire de la haine exprimée par Hannah Arendt (dans son Sur la violence) envers tous ces jeunes blancs et noirs ensorcelés par « les pires excès rhétoriques de Fanon » et par son « exaltation de la violence ».
En Europe, sa réception a été différente. Le texte eut certainement une notoriété et il y eut des adhésions enthousiastes, comme celles de Sartre et Simone de Beauvoir, de Giovanni Pirelli en Italie et du groupe d'intellectuels et militants rassemblés à Paris autour de la revue Partisans. Mais dans l'ensemble, l'attitude réservée aux Damnés par les gauches et les milieux politiques européens les plus radicaux de l'époque, oscilla entre une acceptation «paternaliste », c'est-à-dire purement sympathique (plus que théorique et politique), le refoulement (conscient) et très souvent aussi la critique frontale. Les raisons de cette rencontre manquée entre la pensée politique radicale dominante dans l’Europe de ces années-là et le tiers-mondisme de Fanon ne sont pas difficiles à découvrir. Très schématiquement, on peut dire que le langage existentialiste, dialectique et humaniste de Fanon, son nationalisme intransigeant (bien que révolutionnaire et atypique), ses idées sur un prolétariat industriel européen, qu’il jugeait intégré dans le projet de domination capitaliste, et son accent constant sur les paysans et sur le sous-prolétariat urbain des pays moins avancés comme uniques sujets potentiellement révolutionnaires étaient des conceptions assez éloignées de ces « strutture del sentire »[2] particulières qui se sont peu à peu affirmés dans les milieux radicaux européens autour de1968.
Mais si c'est cela que nous dit l'histoire, pourquoi organiser à Naples en 2011 un colloque consacré à la relecture des Damnés de la Terre ? Le titre même du colloque nous suggère une première réponse : il y a aujourd’hui chez Fanon comme dans son texte quelque chose d’à la fois énigmatique et terriblement actuel qui continue à nous mobiliser. C'est précisément ce reste en excès pérenne, ce supplément de signification, qui assure la productivité des archives fanoniennes, c’est-à-dire qui nous pousse constamment à lire le présent à travers Fanon et, vice versa, à lire Fanon à travers le présent. Ainsi par exemple : combien d'entre nous n'ont-ils pensé à Fanon et à son « manifeste pour la décolonisation » alors que les bombes de l'OTAN frappaient l'Afghanistan d’abord, l'Irak ensuite et maintenant la Libye ? Combien d'entre nous n’ont-ils jamais pensé à Fanon pendant les insurrections dans les banlieues parisiennes en 2005 ? Combien d'entre nous n’y ont-ils jamais pensé face aux invectives habituelles contre voiles et burqa de la part des gouvernements européens ou bien devant leur célébration continue contre le multiculturalisme, contre ce métissage qui connote désormais de façon irréversible nos espaces métropolitains ? Comment ne pas penser aux Damnés de la terre et à son programme pour la décolonisation de l'Afrique, quand on parle de la situation actuelle de pays comme la Côte d'Ivoire, le Zimbabwe et le Nigeria ? Ou face à ces révoltes qui, aujourd'hui, à quelques kilomètres de l'Italie, sont en train de bouleverser les bases politiques du Maghreb, c’est à dire justement de cette terre dans laquelle Fanon avait investi ses espoirs révolutionnaires ? Pourtant, même si le spectre de Fanon continue à apparaître derrière des événements comme ceux-ci, il n'est jamais facile de saisir nettement ce quelque chose de terriblement actuel qui émane de ses textes et qui les lie si viscéralement à bon nombre des phénomènes que nous avons sous nos yeux.
Ainsi, cinquante ans après la publication de ce texte, Fanon continue à nous interpeller. Son cri désespéré, son indignation, ses choix radicaux face à la persistance de la violence économique et culturelle infligée pendant des siècles à des millions d'hommes et de femmes par le colonialisme et par le racisme, continuent à nous mettre à l'épreuve ; ils nous invitent une fois de plus à traverser ses textes non seulement pour cueillir quelque chose de plus du monde que nous avons devant nous, mais aussi pour nous confronter à ce reste insaisissable qui nous parle de leur incessante actualité. Pour tout cela, pour parvenir à une compréhension politique plus efficace de notre présent, relire Les damnés de la terre peut se révéler aujourd'hui encore un exercice de grande utilité.
Un tout autre monde
La relecture de ce texte cinquante ans après ne suggère donc pas un pur exercice exégétique ou philologique. L'objectif ne peut pas se réduire à comprendre « ce qu'avait vraiment dit Fanon », comme récitait il y a quelques années une collection d'un célèbre éditeur italien. Il est clair dès le départ que les façons de lire Fanon, 50 ans plus tard, seront très différentes ; mais surtout que chacune de ces lectures privilégiera des priorités, ne pourra qu’être l'expression, face à la réalité, d'un positionnement - théorique et politique- particulier. C'est peut-être là justement un des enseignements fondamentaux qu’on peut tirer de Fanon : aucune connaissance n'est jamais désintéressée ; aucun savoir n'est jamais politiquement impartial. Chaque analyse culturelle et politique de la réalité, chaque énoncé, présuppose un positionnement, un choix précis, un camp. Fanon a été très clair sur ce point : les discours abstraits sur l’homme, sur l’humanité -comme ceux typiques de la tradition démocratique libérale occidentale ou de la phénoménologie existentielle européenne de Sartre, Freud et Merleau-Ponty- ne servent à rien si ce que nous avons devant nous n’est pas une condition humaine commune, mais un monde divisé hiérarchiquement, un homme amputé de son humanité, c'est-à-dire une intersubjectivité entravée par la violence coloniale et par l'application séculaire au gouvernement des hommes de savoirs, de lois, de politiques et d’économies racialisées.
Il est clair que le monde de Fanon n'est plus notre monde, mais l’actualité de ses paroles tient au fait que nous sommes encore aux prises avec les effets de ce que, lui, il appela « Europe », c'est-à-dire une combinaison monstrueuse de capitalisme et racisme. Les mouvements de libération nationale ont gagné, mais ils ont aussi perdu. Ou vice versa. Peu importe. Les deux options nous suggèrent la même chose : ce qui nous parle de l'actualité des archives fanoniennes, ce qui garantit sa non-classification par rapport à la mémoire et à l'oubli, est surtout son récit de la lutte pour la décolonisation, son projet postcolonial, dans sa «triple dimension », c’est-à-dire dans sa nature à la fois insurrectionnelle, constitutive et libératrice. Décolonisation signifiait en fait pour Fanon lutter par tous les moyens nécessaires pour soustraire la vie aux forces qui finissent par l'étouffer et l’anéantir.
Fanon nous interpelle encore aujourd'hui parce que: 1) la réalité et l'idée de l'Empire sont encore parmi nous (pensez non seulement à l'Irak, à Afghanistan et à la situation actuelle en Libye, mais aussi aux invectives d'Angela Merkel, de James Cameron, de Nicolas Sarkozy et de Silvio Berlusconi contre la société multiculturelle) ; 2) cette réalité multiforme et racialisée - caractérisée par la coexistence de divers régimes de travail, de diverses temporalités historico-culturelles, de divers hiérarchies et statuts de citoyenneté -qui selon Fanon était typique des colonies- constitue aujourd'hui un élément principal de la composition de classe dans nos espaces métropolitains ; et enfin 3) les processus de valorisation du capitalisme néolibéral contemporain, en combinant « accumulation par expropriation» et « financiarisation », essayent maintenant de s’approprier non seulement les moyens de production mais aussi nos vies. Ainsi, l’homme intégral de Fanon- son projet de décolonisation et de ré-humanisation de l'humanité – redresse la tête dans chaque lutte du présent qui tende à la réappropriation de la vie ; dans chaque bataille du présent qui n’ait pas simplement pour objet une misérable et éphémère compensation corporatiste, matérielle ou identitaire, mais la reconstitution d'un humain commun nouveau, c’est-à-dire qui revendique avec détermination l’autogestion de toutes les ressources (matérielles et intellectuelles) comme bien commun.
Edition de jeudi 19 mai de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20110518/manip2pg/10/manip2pz/303355/
Traduit de l’italien par Comaguer et Marie-Ange Patrizio
Miguel Mellino est enseignant-chercheur à la faculté d'anthropologie de l'université « L'orientale » à Naples ; il a dirigé l’édition italienne des Ecrits politiques de F. Fanon chez DeriveApprodi (Rome, 2007) ; il est l’auteur de « Postorientalismo » et d’un livre-interview de Stuart Hall, édités par Melterni (Rome).
[1] Traduction Comaguer : « schémas d’opinion » ; traduction m-a p. : « configurations du ressenti » ? Le terme est un peu jargonnant …Suggestions d’anthropologues italianistes bienvenues, NdT.
[2] Extrait de la Lettre à Roger Taïeb, au début de son hospitalisation, octobre 1961
http://www.frantzfanoninternational.org/spip.php?article93
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http://www.algerie-dz.com/article907.html
Frantz Fanon : Le psychanalyste du colonialisme (23.07.2004)
Le 20 juillet dernier, Frantz Fanon aurait eu 79 ans, il est mort à 36 ans. Tragique fin prématurée de la remarquable destinée de ce fils adoptif de l’Algérie combattante. L’inlassable avocat des damnés de la terre : Frantz Fanon.
vendredi 23 juillet 2004.
Le fringant jeune homme qui se présente ce matin du 29 novembre 1953 devant M. Boumati, directeur de l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, vient de loin. Nulle pythonisse, aucun oracle n’aurait prédit à Casimir Fanon, fonctionnaire des Douanes, plutôt aisé, de Fort-de-France que l’un de ses six rejetons, plus précisément le troisième des garçons, celui qui se prénomme Frantz allait un jour embrasser la cause algérienne et devenir une figure hors du commun qui marquerait d’une empreinte profonde l’histoire de la décolonisation et la pensée politique du XXe siècle. La vie de Fanon a commencé à se construire dans sa Martinique natale, comme celle de tous les gamins de l’époque qui, comme lui, avaient l’heur de jouir d’un certain confort social, donc à l’abri du besoin dans la sécurité d’un foyer familial douillet et chaleureux, entouré de l’affection des siens, mais loin d’être indifférent au sort peu enviable de ses voisins. Les biographes, qui ont épluché l’enfance et l’adolescence de Frantz Fanon et qui mentionnent que sa mère, Eléonore, était une métisse fille d’une Alsacienne et d’un Antillais, le décrivent comme un enfant volontiers chapardeur et raisonnablement jouette. Néanmoins, ils ne signalent pas dans sa prime jeunesse des faits ou des événements susceptibles d’affirmer qu’il avait subi des agressions, pas même les quolibets ou des manifestations de « racisme ordinaire ». Si les ouvriers des exploitations ployaient encore sous le joug des héritiers des créoles, les békés, ces monarques, de ce qu’il désignera comme « la royauté du sucre », il est utile de rappeler que sous l’action conjuguée des luttes populaires et le combat politique de Victor Schoelcher, parlementaire français (1) du XIXe siècle, l’esclavage avait été aboli mais demeuraient le système, les usages et la terrible misère endémique. Les Antilles françaises étaient historiquement, un défi tragique à la raison, comme l’était, d’ailleurs tout le reste de l’empire. A cet effet il écrira dans El Moudjahid (2) un article intitulé « Aux Antilles, naissance d’une nation ? », qu’il a consacré à la création de la Fédération des Indes occidentales (ex-Antilles britanniques) dans lequel il relève : « Face à la puissance extraordinaire des planteurs blancs, l’abolition de l’esclavage au XIXe siècle se révéla-t-elle inefficace à provoquer l’amélioration réelle de la situation des travailleurs noirs. Ceux-ci durent rester ouvriers agricoles sur les plantations et, encore aujourd’hui, leurs misérables cases voisinent la luxueuse maison du planteur. »
Sa rencontre, encore adolescent, avec Marcel Manville (3), Antillais comme lui, autre figure amie, familière de la révolution algérienne, semble avoir marqué le jeune Frantz, au point d’être soulignée par tous ceux qui ont eu à s’intéresser à son itinéraire. Il devait avoir une quinzaine d’années, c’est-à-dire au début de la Seconde Guerre mondiale. Cette amitié aura pour pivot le poète et professeur de philosophie, Aimé Césaire (4) un des cofondateurs du mouvement de la négritude (5). Evoquant cette période, Manville parlera de « deuxième naissance ». Mais il y avait la guerre et son corollaire : l’aggravation de la misère, l’exacerbation de la ségrégation et de l’intolérance. Fragiles et vulnérables, les populations indigènes seront les premières à pâtir de la situation créée par le conflit. La faim, les disettes, le rationnement, l’équivalent chez nous en Algérie des années du ticket ou du bon d’alimentation. En 1943, il quittera la maison familiale avant de s’engager en 1944 avec son ami Manville comme volontaire alors que la révolte grondait en Martinique contre les pétainistes. C’est de cette époque que date sa première rencontre avec cette terre qui allait devenir la sienne un peu moins de dix années après, l’Algérie. Il est, en effet, affecté dans une école d’officiers à Béjaïa où il aura un avant-goût de la situation dans laquelle pataugent les indigènes. Il gagnera ensuite Oran avant d’embarquer avec les forces françaises libres d’Afrique du Nord vers ce qui était la métropole où il fait toute la campagne depuis Toulon jusqu’en Alsace, pays de sa grand-mère maternelle. Il sera blessé. Cette période d’action sera également celle de la désillusion du jeune idéaliste qui avait quitté, un an auparavant, le confort de son adolescence et les certitudes de la grandeur de son combat.
Dans son remarquable portrait de Frantz Fanon, Alice Cherki (6) reprend les termes d’une lettre adressée à sa famille dans laquelle il observe : « Un an que j’ai laissé Fort-de-France. Pourquoi ? Pour défendre un idéal obsolète (...). Je doute de tout, même de moi. Si je ne retournais pas, si vous appreniez un jour ma mort face à l’ennemi, consolez-vous, mais ne dites jamais : il est mort pour la belle cause (...) ; car cette fausse idéologie bouclier des laïciens et des politiciens imbéciles, ne doit plus nous illuminer. Je me suis trompé ! Rien ici ne justifie cette subite décision de me faire le défenseur des intérêts du fermier quand lui-même s’en fout. » Les jours qui allaient suivre la victoire des Alliés sur le nazisme allaient conforter le jeune Fanon, récipiendaire de décorations, de même que son ami Manville, dans ses nouvelles convictions et ancrer pour toujours ce sentiment amer que quelles que soient sa vaillance, son intrépidité, sa hardiesse, il sera toujours le second du Blanc.
On évalue aisément la mesure de sa déception quand on songe qu’il répondait, juste avant qu’il ne s’engageât, à ses professeurs, sceptiques qui soutenaient que cette guerre est une guerre de Blancs : « Chaque fois que la dignité et la liberté de l’homme sont en question, nous sommes concernés, Blancs, Noirs ou Jaunes, et chaque fois qu’elles seront menacées en quelque lieu que ce soit, je m’engagerai sans retour. » Mais cette douloureuse meurtrissure mentale n’altérera jamais ses sentiments antinazis ou antifascistes. Il a vingt ans, lorsque s’achève la guerre et qu’il rejoint, après une traversée pénible, sa ville natale dans un rafiot aménagé en négrier, pour « les héros » qui reviennent de la guerre. Il aura tout le loisir de ruminer, mais de contenir courageusement, avec longanimité, sa colère contre tous ces gestes discriminatoires, ces regards méprisants sinon condescendants et pis encore, l’indifférence à sa personne humaine, au combat qu’il vient de livrer contre le racisme et l’injustice.
Le sourire des jeunes filles qui ornaient les artères de la ville portuaire de Toulon qu’il venait de quitter n’était pour eux les Antillais ou les autres, Africains du Nord et du Sud-Sahara. Il reprendra le cœur lourd, sans rien laisser transparaître, sinon dans ses écrits quelques années plus tard, le chemin des études. Ses biographes notent que c’est à cette époque qu’il se pique d’écriture au contact de son professeur Aimé Césaire qui influencera ses premiers textes, particulièrement Peau noire et masques blancs. Il fera également, durant cette période, ses premiers pas en politique puisqu’il milite pour la candidature de Césaire au Parlement. En 1946, le bac en poche, il se rendra en France, plus précisément à Lyon où il s’inscrit en fac de médecine et en fac de lettres pour un diplôme de philosophie, c’est là qu’il rencontrera celle qui allait devenir son épouse : Josie, également étudiante en lettres.
Sa vie d’étudiant sera marquée, rapportent ses biographes, par une formidable boulimie intellectuelle. Insatiable, éclectique, il ingurgite tout ce qu’il rencontre et s’essaie à tous les genres littéraires y compris le théâtre et le journalisme où il excellera dans El Moudjahid quelques années plus tard. Ses études de médecine l’amènent à s’intéresser à la psychiatrie. Il obtient un diplôme de médecine légale et de pathologie tropicale avant de se spécialiser en psychiatrie tout en passant une licence de psychologie. Après avoir été interne à Saint Alban en Lozère (France), dans le service du docteur Tosquelles, émigré espagnol, républicain, antifranquiste, pionnier d’une nouvelle psychothérapie qui va considérablement influer sur Frantz Fanon, il présente le concours du médicat des hôpitaux psychiatriques. Josie son épouse indique qu’il souhaitait être « nommé en priorité chez lui en Martinique ou à défaut au Sénégal. Il écrira dans ce sens à Léopold Sédar Senghor. Mais il a également postulé pour l’Algérie. » Une de ses premières études, qui sera publiée par la revue Esprit en 1952, sera consacrée au « Syndrome nord-africain ». Alice Cherki, psychiatre et psychanalyste, explique que « cet article n’est pas une description clinique d’une maladie qui serait spécifiquement nord-africaine, comme le voudrait l’esprit de l’époque.
Mais une extraordinaire interrogation sur le rejet et la chosification d’un autre baptisé "bicot", "bougnoule", "raton", "melon". Il met en évidence l’attitude raciste et rejetante du corps médical français devant un patient nord-africain qui se présente avec sa douleur »... 1952, c’est également l’année de Peau noire et masques blancs, son premier livre. « Nous n’étions pas encore mariés, témoigne Josie Fanon. « Nous étions étudiants... il dictait. C’est-à-dire qu’il me dictait. Il marchait de long en large, comme un orateur qui improvise ce qui explique le rythme de son style, le souffle qui traverse de part en part tout ce qu’il a écrit. » C’était quelques mois avant son affectation et son arrivée à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville.
Notes :
- 1- Homme politique français (1804-1893). Député de la Guadeloupe et de la Martinique. Il contribua à faire adopter le décret sur l’abolition de l’esclavage dans les colonies en 1848.
- 2 - Voir El Moudjahid n° 16 du 15 janvier 1958.
- 3 - Avocat, militant de la première heure de la cause algérienne. Ami d’enfance de Frantz Fanon. En décembre 1998, alors qu’il plaidait pour les victimes du 17 octobre 1961, il s’est écroulé en plein tribunal dans l’indifférence de la presse nationale.
- 4 - Poète, philosophe, dramaturge et homme politique antillais (La Martinique 1913). Ce révolté, descendant d’esclaves est un des plus remarquables poètes de son temps. Auteur notamment de Cahier d’un retour au pays natal (1939), Soleil cou coupé (1948), Cadastre (1961) Une saison au Congo (1965) et d’une adaptation de la Tempête de Shakespeare dans laquelle il s’exclame : « Je pousserai d’une telle raideur le grand cri nègre que les assises du monde en seront ébranlées. »
- 5 - Mouvement culturel qui s’est développé dans les années 1950 et 1960. Parmi ses défenseurs, on rencontre entre autres, Léopold Sédar Senghor, de l’académie française, ancien président du Sénégal. Ce mouvement a été fortement critiqué lors du symposium qui s’est tenu lors du premier Festival culturel panafricain d’Alger en juillet 1969. Wolé Soyinka écrivain nigérian, prix Nobel de littérature disait à ce propos que « le tigre ne se soucie pas de sa tigritude, il saute sur sa proie ».
- 6 - Psychiatre et psychanalyste, née à Alger. Militante de la cause nationale. Amie de longue date de Frantz Fanon avec lequel elle a travaillé, tant à Blida que plus tard à Tunis.
Bibliographie
- Pour la Révolution africaine (écrits politiques). Frantz Fanon. Ed. Maspéro. Paris 1964.
- Les Damnés de la terre. Frantz Fanon. Ed. Maspéro. Paris 1961
- Frantz Fanon : Portrait. Alice Cherki. Ed. Le Seuil. Paris 2000.
- Collection d’El Moudjahid 1956-1962.
- Hebdomadaire Révolution Africaine : spécial Frantz Fanon. Décembre 1987.
- Colloque international sur Fanon. Riadh El Feth. Alger-décembre
Josie, épouse et complice
Ceux qui l’ont connue gardent d’elle l’image de la journaliste professionnelle qu’elle fut. Au fond d’elle-même comme en un jardin secret envahi par l’arborescence des jours, elle conservait intact dans le canope de sa mémoire le souvenir de l’ami, l’amant, l’époux que fut Frantz.
Parfois avec quelques-uns, anciens amis, connaissances du temps de la guerre, complice, elle évoquait à demi-mot un moment de joie, le nom d’un compagnon disparu. Josie était le témoin de Fanon, l’étudiant en médecine au début des années 1950, qui lui dictait en marchant « de long en large comme un orateur improvise » les chapitres de son premier livre Peau noire et masques blancs. Elle était la compagne qui l’a suivi quand il a été affecté comme médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville. La militante enfin qui s’est engagée, avec lui, sans hésitation aucune dans le combat pour la liberté, pour l’Algérie. Tout comme lui, Josie repose aujourd’hui sur cette terre, au cimetière d’El Kettar après sa tragique disparition. On comprendra que nous ne pouvions pas parler de lui sans dire des mots d’elle. Dans les lignes qui suivent, l’épouse, de coutume si peu prolixe sur son intimité familiale, livre quelques propos humbles, timides sur Frantz, son mari.En règle générale, je n’aime pas parler de ma vie privée et à plus forte raison de ma vie avec mon mari. C’est vraiment la première fois que j’aborderai ce sujet. On pense souvent à tort que les hommes qui par leur œuvre ou par leur action sont devenus célèbres se comportent dans la vie quotidienne différemment des autres mortels.
Je l’ai connu en 1949. J’avais 18 ans. Il en avait 23. Nous nous sommes mariés en 1952. Nous avons eu un enfant en 1955. Comme vous le savez, il est mort en 1961. Dans la vie quotidienne c’était un homme comme les autres. C’était un époux et un père très attentionné. Il a toujours fait en sorte que sa vie familiale reste un domaine privilégié et que ses activités professionnelles ou militantes n’empiètent pas sur ce domaine. Mon fils a eu une petite enfance très heureuse, ce qui est une garantie d’équilibre psychologique pour l’avenir. Je pourrai dire d’autres choses. Ce n’était pas un personnage austère. C’était quelqu’un qui aimait la vie sous toutes ses formes. Il aimait rire, il aimait la musique, il aimait danser. Il ne faut pas oublier qu’il était d’origine antillaise. Il avait le culte de l’amitié et des Algériens comme Omar et Boualem Oussedik, le commandant Azzedine et beaucoup d’autres pourraient vous parler de l’amitié qui les unissait à mon mari. D’une façon générale, bien sûr, je ne veux pas dire que ce n’était pas quelqu’un d’exceptionnel, mais pour moi, avec le recul du temps évidemment, il représente tout simplement ce que tout homme pris au sens large, tout homme ou toute femme, pouvait être. Tout le monde ne peut être psychiatre ou écrivain. Chacun dans le domaine qui est le sien peut sur le plan humain, sur le plan professionnel, un artisan par exemple, pousser jusqu’à des limites infinies les possibilités qu’il porte en lui ».
Extraits d’un entretien paru dans Révolution africaine. n° 1241 du 11 décembre 1987
Portrait-type d’un damné de la terre
Ce document est extrait d’un rapport établi par le docteur Frantz Fanon sur un patient arrêté et incarcéré pour outrage à la pudeur. Il renseigne sur le praticien et sur la détresse inhumaine d’un damné de la terre. Il parle de lui-même, son éloquence n’a besoin de nul commentaire.
Je soussigné, Fanon Frantz, médecin des hôpitaux psychiatriques, médecin-chef de service à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, commis par M. Bavoillot Roger, juge près le tribunal civil de Blida, à la date du ... octobre 1955, afin de procéder à l’examen mental de M. B. Ben Eddine Ben Ahmed, inculpé d’outrages publics à la pudeur, détenu à la maison d’arrêt de Blida...
B. est âgé de 45 ans. Il est célibataire, ne s’est jamais marié, il n’a jamais eu d’enfant. Il n’a jamais fréquenté l’école. Son père est décédé. Il était crieur public à Affrevile(1). En 1918 au cours d’une rixe il a été tué par erreur. Sa mère est morte d’une affection indéterminée. B. n’a pas de frère. Il semble, bien que les précisions manquent, qu’il ait deux sœurs :
la première R. mariée aurait un enfant.
la deuxième, moins âgée que lui, serait mariée et aurait un enfant.
Jusqu’en 1934, B. avait été ouvrier agricole. A 20 ans, il s’engage au 1er RTA(2). Il va à Fez au Maroc, où il reste deux ans. A 23 ans, il s’engage à Koléa au 9e RTA En 1938, il est renvoyé à Miliana où il reste démobilisé pendant trois mois. Il rengage en 1938 au 13e RTA à Metz. Il participe à la guerre 1939-1940. Il reste prisonnier pendant un an au Stalag PI(3). Puis, à partir d’un moment qu’il est difficile de faire préciser, il s’évade et est rapatrié sur l’Afrique du Nord. Mis en permission il rengage au 1er zouave(4). A l’Armistice, il est démobilisé. B. a donc passé de nombreuses années dans l’armée, puisque si nous faisons le décompte, il apparaît qu’il y est resté 12 ans. Il est vrai qu’il faut tenir compte de plusieurs années passées à la prison militaire. Depuis sa démobilisation en 1945, B. ne travaille pas, il dort n’importe où et vit de la mendicité. B. a un aspect déjà sénile... (Suit l’examen psychiatrique proprement dit). Et Frantz Fanon de conclure : B. n’est pas violent. Il n’est pas dangereux pour la sécurité des personnes mais il est évident que le processus démentiel, dont il est question, évoluant, on ne peut guère prévoir les réactions possibles de l’inculpé dans l’avenir. Mais surtout, il nous semble opportun d’entreprendre une thérapeutique chez ce malade encore jeune, c’est pourquoi nous conseillons l’internement.
Blida, le 13 décembre 1955
Signé : Dr F. Fanon.
Les notes sont de la rédaction.
1- Aujourd’hui Aïn Defla.
2- Régiment de tirailleurs algériens.
3- Camp allemand où étaient internés les prisonniers de guerre non officiers durant le second conflit mondial.
4- Corps d’infanterie légère composé d’Algériens. Fantassin français d’un corps distinct des tirailleurs algériens.
Par Boukhalfa Amazit, El Watan
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Wikipedia
Frantz Fanon
Frantz Omar Fanon, né le 20 juillet 1925 à Fort-de-France et mort le 6 décembre 1961 à Bethesda, est un psychiatre et essayiste martiniquais et algérien.
Il est l'un des fondateurs du courant de pensée tiers-mondiste. Penseur très engagé, il a cherché à analyser les conséquences psychologiques de la colonisation à la fois sur le colon et sur le colonisé. Dans ses livres les plus connus, il analyse le processus de décolonisation sous les angles sociologique, philosophique et psychiatrique mais il a également écrit des articles importants dans sa discipline : la psychiatrie.
Biographie
Période française
Frantz Fanon, né à Fort-de-France en Martinique, est le cinquième enfant d'une famille mulâtre comptant huit personnes. Il reçoit son éducation au Lycée Victor-Schoelcher de Fort-de-France où Aimé Césaire enseigne à l'époque.
En 1943, il rejoint les Forces françaises libres puis s'engage dans l'armée régulière après le ralliement des Antilles françaises au général de Gaulle. Combattant avec l'armée française du général De Lattre de Tassigny, il est blessé dans les Vosges. Parti se battre pour un idéal, il est confronté à « la discrimination ethnique, à des nationalismes au petit pied »1. Après son retour en Martinique, où il passe le baccalauréat, il revient en France métropolitaine et poursuit ensuite des études en médecine, tout en suivant des leçons de philosophie et de psychologie à l'Université de Lyon, notamment celles de Maurice Merleau-Ponty.
De son expérience de noir minoritaire au sein de la société française, il rédige Peau noire, masques blancs, dénonciation du racisme et de la « colonisation linguistique » dont il est l'une des victimes en Martinique. Mais ce livre est mal perçu à sa publication en 1952. Frantz Fanon évoquera à de multiples reprises le racisme dont il se sent victime dans les milieux intellectuels parisiens, affirmant ainsi « le sud américain est pour le nègre un doux pays à côté des cafés de Saint-Germain »2.
Période algérienne
En 1953, il devient médecin-chef d'une division de l'hôpital psychiatrique de Blida-Joinville en Algérie et y introduit des méthodes modernes de « sociothérapie » ou « psychothérapie institutionnelle », qu'il adapte à la culture des patients musulmans algériens ; ce travail sera explicité dans la thèse de son élève Jacques Azoulay. Il entreprend ensuite, avec ses internes, une exploration des mythes et rites traditionnels de la culture algérienne. Sa volonté de désaliénation et décolonisation du milieu psychiatrique algérien lui vaut l'hostilité d'une partie de ses collègues[réf. nécessaire].
Dès le début de la guerre d'Algérie, en 1954, il s'engage auprès de la résistance nationaliste et noue des contacts avec certains officiers de l'Armée de libération nationale ainsi qu'avec la direction politique du FLN, Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda en particulier. Il remet au gouverneur Robert Lacoste sa démission de médecin-chef de l'hôpital de Blida-Joinville en novembre 1956 puis est expulsé d'Algérie en janvier 1957.
Il rejoint le FLN à Tunis, où il collabore à l'organe central de presse du FLN, El Moudjahid. En 1959, il fait partie de la délégation algérienne au congrès panafricain d'Accra ; il publie la même année L'An V de la révolution algérienne publié par François Maspero. En mars 1960, il est nommé ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne au Ghana. Il échappe durant cette période à plusieurs attentats au Maroc et en Italie. Il entame à la même époque l'étude du Coran, sans pour autant se convertir (la mort ne lui en laissera pas le temps)3.
Se sachant atteint d'une leucémie, il se retire à Washington pour écrire son dernier ouvrage Les Damnés de la Terre. Il meurt le 6 décembre 1961 à l'âge de 36 ans, quelques mois avant l'indépendance algérienne ; sa dépouille est inhumée au cimetière des « Chouhadas » (cimetière des martyrs de la guerre) près de la frontière algéro-tunisienne, dans la commune d'Aïn Kerma (wilaya d'El-Tarf).
Il laisse derrière lui son épouse, Marie-Josèphe Dublé, dite Josie (morte le 13 juillet 1989 et inhumée au cimetière d'El Kettar au cœur d'Alger), et deux enfants : Olivier né en 1955 et Mireille qui épousera Bernard Mendès-France (fils de Pierre Mendès France).
En hommage à son travail en psychiatrie et à son sacrifice pour la cause algérienne, l'hôpital de Blida-Joinville où il a travaillé porte désormais son nom.
Œuvre littéraire
Frantz Fanon est devenu un maître à penser pour de nombreux intellectuels du tiers-monde. Son livre le plus connu est Les Damnés de la terre, manifeste pour la lutte anticoloniale et l'émancipation du tiers-monde. Cet ouvrage et, peut-être plus encore, la préface écrite par Jean-Paul Sartre, ont été perçus rétrospectivement comme fondateurs de la critique tiers-mondiste4 Il a inspiré des mouvements de libération en Afrique ou encore le Black Panther Party aux États-Unis.
Aujourd'hui encore, Frantz Fanon est revisité par de nombreux auteurs5 ; le courant des critiques post-coloniales a notamment initié une relecture de l'auteur martiniquais. Edward Saïd, dans Culture et impérialisme, a très souvent repris les écrits de Fanon. D'autres auteurs contemporains se sont intéressés à son œuvre, comme Stuart Hall, Homi Bhabha et Judith Butler, et en particulier à Peau noire, masques blancs. Des représentants de la scène dite du "rap de fils d'immigrés" tels Casey ou La Rumeur, dont les textes sont centrés sur la dénonciation de la colonisation, font référence à Fanon et à son œuvre, parfois ouvertement comme dans le titre "Nature Morte" de La Rumeur6. On peut ainsi voir sur la pochette du street-cd Nord Sud Est Ouest du rappeur Ekoué une réédition du livre Les Damnés de la Terre.
Son livre Peau noire, masques blancs contient une critique de l'ouvrage Psychologie de la colonisation7 d'Octave Mannoni. Frantz Fanon qui adopte une attitude d'observateur extérieur au système colonial n'admet pas l'analyse psychologique de Mannoni. En particulier l'élaboration du "complexe de Prospero" du colonisateur lui parait "non fondée"8. Les philosophes multiculturalistes (Charles Taylor, Will Kymlicka) ont plusieurs fois affirmé dans leur article s'inspirer des travaux de Fanon, précurseur du multiculturalisme.
Claude Lanzmann dans son livre Le Lièvre de Patagonie raconte sur de nombreuses pages sa rencontre avec Fanon et comment celle-ci a été la plus marquante de sa vie. C'est lui qui le présentera ensuite à Sartre.
Bibliographie
• Abdelkader BENARAB, Frantz Fanon, l'homme de rupture, Paris, Alfabarre,2010
• Abdelkader BENARAB, Hommage à Frantz Fanon,in L'Expression,14/12/2008
• Abdelkader BENARAB, Frantz Fanon, in Le Quotidien d'Oran, 29/12/2008
• André Lucrèce, "Frantz Fanon et les Antilles - L'empreinte d'une pensée", Éditions Le teneur, Suresnes, septembre 2011 (ISBN : 9782918141174) [1]
• Bouvier, Pierre, Aimé Césaire et Frantz Fanon. Portraits de (dé)colonisés, Paris, Les Belles Lettres, coll. "Histoire de Profil", 2010.
• Bouvier, Pierre, Fanon, éd. Universitaires, Paris, 1971
• Alice Cherki, Frantz Fanon : portrait, Seuil, 2000
• Caute David, Fanon, éd. Collins, Londres, 1970, traduit par G. Duran), éd. Seghers, Paris, 1970
• Christiane Chaulet Achour (coordination),Frantz Fanon et l’Algérie: Mon Fanon à moi, Numéro spécial de la revue Algérie Littérature/Action N°152-156, octobre-novembre 2011
• Christiane Chaulet-Achour, Frantz Fanon, l'importun, éd. Chèvrefeuille étoilée, Montpellier, 2004
• Joby Fanon, De la Martinique à l'Algérie et à l'Afrique, éd. L'Harmattan, Paris, 2004
• Peter Geismar, Fanon, éd. Dial Press, New York, 1971
• David Macey, Frantz Fanon, éd. Granta Books, Londres
• Florent Schoumacher, Frantz Fanon et le renouveau de la question marxiste de la libération nationale, Dissidences BLEMR, n°9, Nancy, octobre 2001
• David Macey, Frantz Fanon. Une vie, La Découverte, 2011.
L'œuvre de Fanon a considérablement influencé des problématiques liées à la notion de l'identité développées dans l'art contemporain, comme en témoignent entre autres le film de l'artiste londonien Isaac Julien.
Références
1. Alice Cherki, Frantz Fanon : portrait, Seuil, 2000, p. 27
2. Cité par David Macey, op. cit., p. 131
3. David Macey, p. 167
4. Le livre de Pascal Bruckner, Le Sanglot de l'homme blanc, paru en 1983, a inauguré une vague d'attaques contre la critique tiers-mondiste liées au contexte général de révolution néo-conservatrice qui s'ouvrait alors.
5. Frantz Fanon aujourd'hui, le souffle Fanon [archive]
6. Paroles de la chanson "Nature Morte"- Forums 2KMUSIC [archive]
7. Psychologie de la colonisation, Seuil, 1950, réédité sous le titre Prospero et Caliban, Editions Universitaires, 1984, et Le racisme revisité, Denoël, 1997.
8. "Peau noire, masques blancs" p.87 (édition de 1975)
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Il y a aussi ce site Facebook:
http://www.facebook.com/pages/2011-ann%C3%A9e-Frantz-Fanon/119740731429229
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Et:
http://www.franceinter.fr/emission-lheure-ultramarine-martinique-autour-de-frantz-fanon-avec-jacques-coursil
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Frantz Fanon, la colère vive
"Sur le colonialisme, sur les conséquences humaines de la colonisation et du racisme, le livre essentiel est un livre de Fanon : Peau noire, masques blancs. Sur la décolonisation, ses aspects et ses problèmes, le livre essentiel est un livre de Fanon : Les Damnés de la terre. Toujours, partout, la même lucidité, la même force, la même intrépidité dans l'analyse, le même esprit de "scandale démystificateur"." Cet hommage d'Aimé Césaire dit assez la place qu'occupe Frantz Fanon (1925-1961) dans la conscience universelle. Dans le panthéon révolutionnaire qui s'élabore dès le milieu des années 1950, Fanon se situe clairement aux côtés d'Ho Chi Minh, de Che Guevara et des autres grandes figures du monde nouveau. Les Damnés de la terre (Maspero, 1961) ont été, et sont encore, la Bible des mouvements tiers-mondistes.
Mais Frantz Fanon gêne, aujourd'hui comme hier. En décembre 1961, quand la nouvelle de son décès parvint à Paris, la police commença à saisir les exemplaires des Damnés de la terre, qui "menaçaient la sécurité de l'Etat". Les écrits de Fanon scandalisaient la droite et donnaient mauvaise conscience à la gauche, pas toujours très claire sur la question de l'indépendance algérienne. A la Martinique, la -terre où il vit le jour, Fanon dérange également. Certes, une avenue porte son nom à Fort-de-France, mais dans cette colonie, qui a choisi la voie de l'"assimilation", et qui est devenue département français, Fanon suscite le malaise. Lui, il est allé jusqu'au bout du combat de libération nationale, et il a défendu, sur le sol même de l'Algérie, la cause de l'indépendance. A la Martinique, on a plus ou moins renoncé à cette idée, non sans remords parfois. Du coup, face à Fanon, on est embarrassé. On préfère l'oublier. Et en Algérie ? En toute logique, il devrait être là-bas un héros national, lui qui fut un cadre du FLN. Mais le nationalisme algérien se définit comme arabo-islamique, et il est très difficile d'y inclure en bonne place un homme noir, étranger, qui plus est agnostique. Bref, personne ne sait s'il faut voir en Fanon un "Martiniquais", un "Français", un "Algérien", un "Africain", un "Noir" ; personne ne peut, ou ne veut, tout à fait se l'approprier. Serait-il donc lui-même un "damné" ?
Cinquante ans après la mort de Fanon, plusieurs ouvrages paraissent pour évoquer sa mémoire, son héritage, son devenir peut-être - le nôtre aussi ? La biographie importante de l'Américain David Macey (mort le 7 octobre), Frantz Fanon. Une vie, que les éditions La Découverte ont traduite en français livre les résultats d'une recherche riche, fouillée, minutieuse, et laisse passer un souffle épique, qui transporte le lecteur de la Martinique à l'Algérie, en passant par la Tunisie, la France et le Ghana. Du combat contre le nazisme à celui contre le colonialisme, les deux grandes tragédies du XXe siècle. Psychiatre, combattant, théoricien, Fanon y apparaît pour ce qu'il est : un contemporain capital. A La Découverte encore, on publie un autre ouvrage, en tous points remarquable. Frère du précédent, avec une couverture qui arbore le même portrait, ce livre rassemble, sur papier bible quasiment (il fallait au moins cela...), les oeuvres complètes de Frantz Fanon, avec une préface de l'historien Achille Mbembe et une introduction de la philosophe Magali Bessone.
Frantz Fanon - Merci AnticolonialTV
La page de la colonisation ayant été tournée, Fanon, dit-on parfois en France, serait un auteur dépassé. Vraiment ? Quelle lumière crue jette pourtant son oeuvre sur nos débats contemporains ! Sur la question du voile, par exemple, il n'est que de lire L'An V de la révolution algérienne (1959). A mi-chemin entre l'enquête ethnographique, le reportage de guerre et le traité politique, ce livre hallucinant donne à comprendre mieux que tout autre ce que fut l'Algérie de ces "années de braise". Entre autres choses, Fanon met en évidence la "rage" des colons à vouloir dévoiler les Algériennes, des colons mus à la fois par des pulsions érotiques et par des mobiles politiques. En effet, le programme colonialiste entend mobiliser contre les hommes algériens les femmes indigènes, encouragées, sous le couvert de l'émancipation, à s'enrôler en faveur de l'Algérie française. "A chaque kilo de semoule distribué correspond une dose d'indignation contre le voile et la claustration", écrit Fanon. Des campagnes d'occidentalisation de la femme algérienne sont organisées : "Des domestiques menacées de renvoi, de pauvres femmes arrachées de leur foyer, des prostituées sont conduites sur la place publique et symboliquement dévoilées aux cris de "Vive l'Algérie française !"." Et si Fanon tend à minimiser le fait de la domination sexiste subie par les femmes voilées d'hier, concernant celles d'aujourd'hui, comment ne pas voir, dans certaines positions extrêmes sur la laïcité, à l'extrême droite et au-delà, les rémanences d'une domination post-coloniale ?
Sur la question noire aussi, Frantz Fanon, quelle lucidité ! Pendant longtemps en France, on a voulu ignorer le sujet. Après les grandes heures de la "négritude", cela semblait hors de propos. En 2004, je travaillais avec des amis militants sur la question des discriminations, et j'avais proposé qu'on utilise le mot "noir". Sans détour.
Cela avait inquiété au début : la crainte du qu'en-dira-t-on. Mais j'avais cité Fanon, Césaire, et nous avions franchi le Rubicon. C'est ainsi que fut lancé le CRAN, le Conseil représentatif des associations noires. Nous faisions nôtres les analyses de Fanon. Quand il évoque le désir de "lactification" de certaines femmes noires, qui aujourd'hui encore, prennent des produits pour se blanchir la peau, au péril de leur santé, au péril de leur vie. Quand il évoque "le Nègre, esclave de son infériorité, le Blanc esclave de sa supériorité (qui) se comportent tous deux selon une ligne d'orientation névrotique". Quand il évoque, enfin, l'expérience du Noir, être-pour-autrui, expérience assez semblable en somme à celle du juif, comme l'analyse Jean-Paul Sartre. Le professeur de philosophie de Fanon lui dit un jour : "Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille, on parle de vous."
Une pensée toujours mobile
Actualité de Frantz Fanon encore, lorsqu'il évoque les "damnés de la terre", et que nous voyons, ici et là, les "indignés" du monde, du Nord et du Sud, de Wall Street à la Puerta del Sol. Dans son livre Frantz Fanon. De l'anticolonialisme à la critique postcoloniale, le philosophe Matthieu Renault a raison de dire que la réflexion de Fanon est une "théorie voyageuse". Car il s'agit moins pour nous, aujourd'hui, de resituer son origine, son histoire ou sa "vérité", que de suivre les chemins d'une pensée toujours mobile, qui nous invite à des déplacements, plutôt qu'à des dépassements. Une pensée qui, commentée par les philosophes Jean-Paul Sartre, Hannah Arendt, Edward Saïd, Homi Bhabha, Charles Taylor, Judith Butler, et tant d'autres, constitue un carrefour important de notre modernité intellectuelle et politique.
Frantz Fanon - Merci Moko21
Frantz Fanon et les Antilles, indique le titre de l'ouvrage stimulant du sociologue André Lucrèce, qui situe le penseur, à juste titre, dans son contexte caribéen. Oui, mais aujourd'hui, Frantz Fanon est l'auteur d'un Tout-Monde, pour reprendre la formule de Glissant, qui appelle à l'insurrection.
On lit Fanon, on prend son crayon, on commence à souligner les passages mémorables, on vibre, on bout, puis on arrête. C'est tout le livre qu'il faudrait souligner...
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FRANTZ FANON, UNE VIE de David Macey. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christophe Jaquet et Marc Saint-Upéry. La Découverte, 598 p., 28 €.
ŒUVRES de Frantz Fanon. Préface d'Achille Mbembe, La Découverte, 884 p., 27 €.
FRANTZ FANON. DE L'ANTICOLONIALISME À LA CRITIQUE POSTCOLONIALE de Matthieu Renault. Ed. Amsterdam, 224 p., 14 €.
FRANTZ FANON ET LES ANTILLES d'André Lucrèce. Ed. Le Teneur, 166 p., 20 €.
par: Louis-Georges Tin
in: http://www.lemonde.fr/livres/article/2011/11/03
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http://www.frantzfanon.net/
Un site consacré à Frantz FANON
2011, année Frantz Fanon
Frantz Fanon, un classique pour le présent, par Miguel Mellino
Demain (19 mai 2011, Ndt) s’ouvre à Naples une rencontre internationale dédiée aux "Damnés de la terre ». L’actualité dense d'un auteur qui résiste au refoulement de son oeuvre.
Le 6 décembre 1961, Frantz Fanon mourait à l’hôpital de Bethesda dans le Maryland. Né à la Martinique en 1925, psychiatre et philosophe devenu militant organique du Front de libération nationale algérien, Fanon meurt terrassé par la leucémie quelques jours après la publication de son œuvre la plus connue : Les damnés de la terre. Anticolonialiste radical, mort malgré lui dans « le pays des lyncheurs », rien ne convient mieux pour rendre l’état d’esprit qui traverse ce texte que rappeler sa lettre à un ami peu avant sa mort: « Roger, ce que je veux vous dire c’est que la mort elle est toujours avec nous et l’important n’est pas de savoir si l’on peut l’éviter, mais si l’on fait pour les idées qui sont les siennes le maximum. Ce qui me choque ici dans ce lit, au moment où je sens mes forces s’en aller, ce n’est pas de mourir, mais de mourir à Washington de leucémie aiguë, alors que j’aurais pu mourir, il y a trois mois face à l’ennemi, puisque je savais que j’avais cette maladie. Nous ne sommes rien sur cette terre si nous ne sommes d’abord les esclaves d’une cause, de la cause des peuples, la cause de la justice et de la liberté. Et je veux que vous sachiez que même au moment où les médecins avaient désespéré je pensais encore, oh dans le brouillard, je pensais au peuple algérien, aux peuples du Tiers Monde et si j’ai tenu, c’est à cause d’eux »[1]. Comme nous le savons, la cause pour laquelle Fanon lutta eut sa première importante victoire avec la conquête de l'indépendance de l'Algérie presque un an après cette lettre.
C’est à l'occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Fanon et de la publication de Les damnés de la terre qu’aura lieu les 19 et 20 mai à l'Université de Naples « L'orientale », un colloque international : «Frantz Fanon : Leggere I damnati della terra 50 anni dopo » (« Lire Les damnés de la terre 50 ans après »).
Un succès mondial
Les damnés de la terre a été l'un des textes les plus populaires dans les années 1960 et 1970 dans le monde entier. Dans la plupart des pays coloniaux, il devint un des principaux textes de référence pour chaque militant engagé dans les luttes de libération nationale : que ce soit contre d’anciennes puissances colonialistes décidées à garder leur propre domination, ou contre des gouvernements militaires et démocratiques « indigènes », mais considérés comme complices de la politique néocoloniale des États-Unis dans les trois continents du Sud du monde. Même à l'intérieur des États-Unis, le texte de Fanon ne tarda pas à devenir une sorte de manuel de formation révolutionnaire auprès de certains des groupes politiques les plus radicaux de cette période, à savoir sur les campus en révolte comme chez les activistes noirs du Black Power ou parmi les militants du Black Panther Party. Bobby Seale et Huey P. Newton, fondateurs des Black Panthers, considéraient que le texte de Fanon était d’une importance fondamentale pour les luttes antiracistes des communautés afro-américaines. Nous pouvons aussi rappeler que l'introduction du manifeste Black Power. The Politics of libération (de Stokely Carmichael et Charles Hamilton, 1967) se conclut par une référence au texte de Fanon. Tandis que l’immense popularité des Damnés dans les campus mouvementés de l'époque est quelque chose qu’on peut déduire de la haine exprimée par Hannah Arendt (dans son Sur la violence) envers tous ces jeunes blancs et noirs ensorcelés par « les pires excès rhétoriques de Fanon » et par son « exaltation de la violence ».
En Europe, sa réception a été différente. Le texte eut certainement une notoriété et il y eut des adhésions enthousiastes, comme celles de Sartre et Simone de Beauvoir, de Giovanni Pirelli en Italie et du groupe d'intellectuels et militants rassemblés à Paris autour de la revue Partisans. Mais dans l'ensemble, l'attitude réservée aux Damnés par les gauches et les milieux politiques européens les plus radicaux de l'époque, oscilla entre une acceptation «paternaliste », c'est-à-dire purement sympathique (plus que théorique et politique), le refoulement (conscient) et très souvent aussi la critique frontale. Les raisons de cette rencontre manquée entre la pensée politique radicale dominante dans l’Europe de ces années-là et le tiers-mondisme de Fanon ne sont pas difficiles à découvrir. Très schématiquement, on peut dire que le langage existentialiste, dialectique et humaniste de Fanon, son nationalisme intransigeant (bien que révolutionnaire et atypique), ses idées sur un prolétariat industriel européen, qu’il jugeait intégré dans le projet de domination capitaliste, et son accent constant sur les paysans et sur le sous-prolétariat urbain des pays moins avancés comme uniques sujets potentiellement révolutionnaires étaient des conceptions assez éloignées de ces « strutture del sentire »[2] particulières qui se sont peu à peu affirmés dans les milieux radicaux européens autour de1968.
Mais si c'est cela que nous dit l'histoire, pourquoi organiser à Naples en 2011 un colloque consacré à la relecture des Damnés de la Terre ? Le titre même du colloque nous suggère une première réponse : il y a aujourd’hui chez Fanon comme dans son texte quelque chose d’à la fois énigmatique et terriblement actuel qui continue à nous mobiliser. C'est précisément ce reste en excès pérenne, ce supplément de signification, qui assure la productivité des archives fanoniennes, c’est-à-dire qui nous pousse constamment à lire le présent à travers Fanon et, vice versa, à lire Fanon à travers le présent. Ainsi par exemple : combien d'entre nous n'ont-ils pensé à Fanon et à son « manifeste pour la décolonisation » alors que les bombes de l'OTAN frappaient l'Afghanistan d’abord, l'Irak ensuite et maintenant la Libye ? Combien d'entre nous n’ont-ils jamais pensé à Fanon pendant les insurrections dans les banlieues parisiennes en 2005 ? Combien d'entre nous n’y ont-ils jamais pensé face aux invectives habituelles contre voiles et burqa de la part des gouvernements européens ou bien devant leur célébration continue contre le multiculturalisme, contre ce métissage qui connote désormais de façon irréversible nos espaces métropolitains ? Comment ne pas penser aux Damnés de la terre et à son programme pour la décolonisation de l'Afrique, quand on parle de la situation actuelle de pays comme la Côte d'Ivoire, le Zimbabwe et le Nigeria ? Ou face à ces révoltes qui, aujourd'hui, à quelques kilomètres de l'Italie, sont en train de bouleverser les bases politiques du Maghreb, c’est à dire justement de cette terre dans laquelle Fanon avait investi ses espoirs révolutionnaires ? Pourtant, même si le spectre de Fanon continue à apparaître derrière des événements comme ceux-ci, il n'est jamais facile de saisir nettement ce quelque chose de terriblement actuel qui émane de ses textes et qui les lie si viscéralement à bon nombre des phénomènes que nous avons sous nos yeux.
Ainsi, cinquante ans après la publication de ce texte, Fanon continue à nous interpeller. Son cri désespéré, son indignation, ses choix radicaux face à la persistance de la violence économique et culturelle infligée pendant des siècles à des millions d'hommes et de femmes par le colonialisme et par le racisme, continuent à nous mettre à l'épreuve ; ils nous invitent une fois de plus à traverser ses textes non seulement pour cueillir quelque chose de plus du monde que nous avons devant nous, mais aussi pour nous confronter à ce reste insaisissable qui nous parle de leur incessante actualité. Pour tout cela, pour parvenir à une compréhension politique plus efficace de notre présent, relire Les damnés de la terre peut se révéler aujourd'hui encore un exercice de grande utilité.
Un tout autre monde
La relecture de ce texte cinquante ans après ne suggère donc pas un pur exercice exégétique ou philologique. L'objectif ne peut pas se réduire à comprendre « ce qu'avait vraiment dit Fanon », comme récitait il y a quelques années une collection d'un célèbre éditeur italien. Il est clair dès le départ que les façons de lire Fanon, 50 ans plus tard, seront très différentes ; mais surtout que chacune de ces lectures privilégiera des priorités, ne pourra qu’être l'expression, face à la réalité, d'un positionnement - théorique et politique- particulier. C'est peut-être là justement un des enseignements fondamentaux qu’on peut tirer de Fanon : aucune connaissance n'est jamais désintéressée ; aucun savoir n'est jamais politiquement impartial. Chaque analyse culturelle et politique de la réalité, chaque énoncé, présuppose un positionnement, un choix précis, un camp. Fanon a été très clair sur ce point : les discours abstraits sur l’homme, sur l’humanité -comme ceux typiques de la tradition démocratique libérale occidentale ou de la phénoménologie existentielle européenne de Sartre, Freud et Merleau-Ponty- ne servent à rien si ce que nous avons devant nous n’est pas une condition humaine commune, mais un monde divisé hiérarchiquement, un homme amputé de son humanité, c'est-à-dire une intersubjectivité entravée par la violence coloniale et par l'application séculaire au gouvernement des hommes de savoirs, de lois, de politiques et d’économies racialisées.
Il est clair que le monde de Fanon n'est plus notre monde, mais l’actualité de ses paroles tient au fait que nous sommes encore aux prises avec les effets de ce que, lui, il appela « Europe », c'est-à-dire une combinaison monstrueuse de capitalisme et racisme. Les mouvements de libération nationale ont gagné, mais ils ont aussi perdu. Ou vice versa. Peu importe. Les deux options nous suggèrent la même chose : ce qui nous parle de l'actualité des archives fanoniennes, ce qui garantit sa non-classification par rapport à la mémoire et à l'oubli, est surtout son récit de la lutte pour la décolonisation, son projet postcolonial, dans sa «triple dimension », c’est-à-dire dans sa nature à la fois insurrectionnelle, constitutive et libératrice. Décolonisation signifiait en fait pour Fanon lutter par tous les moyens nécessaires pour soustraire la vie aux forces qui finissent par l'étouffer et l’anéantir.
Fanon nous interpelle encore aujourd'hui parce que: 1) la réalité et l'idée de l'Empire sont encore parmi nous (pensez non seulement à l'Irak, à Afghanistan et à la situation actuelle en Libye, mais aussi aux invectives d'Angela Merkel, de James Cameron, de Nicolas Sarkozy et de Silvio Berlusconi contre la société multiculturelle) ; 2) cette réalité multiforme et racialisée - caractérisée par la coexistence de divers régimes de travail, de diverses temporalités historico-culturelles, de divers hiérarchies et statuts de citoyenneté -qui selon Fanon était typique des colonies- constitue aujourd'hui un élément principal de la composition de classe dans nos espaces métropolitains ; et enfin 3) les processus de valorisation du capitalisme néolibéral contemporain, en combinant « accumulation par expropriation» et « financiarisation », essayent maintenant de s’approprier non seulement les moyens de production mais aussi nos vies. Ainsi, l’homme intégral de Fanon- son projet de décolonisation et de ré-humanisation de l'humanité – redresse la tête dans chaque lutte du présent qui tende à la réappropriation de la vie ; dans chaque bataille du présent qui n’ait pas simplement pour objet une misérable et éphémère compensation corporatiste, matérielle ou identitaire, mais la reconstitution d'un humain commun nouveau, c’est-à-dire qui revendique avec détermination l’autogestion de toutes les ressources (matérielles et intellectuelles) comme bien commun.
Edition de jeudi 19 mai de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20110518/manip2pg/10/manip2pz/303355/
Traduit de l’italien par Comaguer et Marie-Ange Patrizio
Miguel Mellino est enseignant-chercheur à la faculté d'anthropologie de l'université « L'orientale » à Naples ; il a dirigé l’édition italienne des Ecrits politiques de F. Fanon chez DeriveApprodi (Rome, 2007) ; il est l’auteur de « Postorientalismo » et d’un livre-interview de Stuart Hall, édités par Melterni (Rome).
[1] Traduction Comaguer : « schémas d’opinion » ; traduction m-a p. : « configurations du ressenti » ? Le terme est un peu jargonnant …Suggestions d’anthropologues italianistes bienvenues, NdT.
[2] Extrait de la Lettre à Roger Taïeb, au début de son hospitalisation, octobre 1961
http://www.frantzfanoninternational.org/spip.php?article93
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http://www.algerie-dz.com/article907.html
Frantz Fanon : Le psychanalyste du colonialisme (23.07.2004)
Le 20 juillet dernier, Frantz Fanon aurait eu 79 ans, il est mort à 36 ans. Tragique fin prématurée de la remarquable destinée de ce fils adoptif de l’Algérie combattante. L’inlassable avocat des damnés de la terre : Frantz Fanon.
vendredi 23 juillet 2004.
Le fringant jeune homme qui se présente ce matin du 29 novembre 1953 devant M. Boumati, directeur de l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, vient de loin. Nulle pythonisse, aucun oracle n’aurait prédit à Casimir Fanon, fonctionnaire des Douanes, plutôt aisé, de Fort-de-France que l’un de ses six rejetons, plus précisément le troisième des garçons, celui qui se prénomme Frantz allait un jour embrasser la cause algérienne et devenir une figure hors du commun qui marquerait d’une empreinte profonde l’histoire de la décolonisation et la pensée politique du XXe siècle. La vie de Fanon a commencé à se construire dans sa Martinique natale, comme celle de tous les gamins de l’époque qui, comme lui, avaient l’heur de jouir d’un certain confort social, donc à l’abri du besoin dans la sécurité d’un foyer familial douillet et chaleureux, entouré de l’affection des siens, mais loin d’être indifférent au sort peu enviable de ses voisins. Les biographes, qui ont épluché l’enfance et l’adolescence de Frantz Fanon et qui mentionnent que sa mère, Eléonore, était une métisse fille d’une Alsacienne et d’un Antillais, le décrivent comme un enfant volontiers chapardeur et raisonnablement jouette. Néanmoins, ils ne signalent pas dans sa prime jeunesse des faits ou des événements susceptibles d’affirmer qu’il avait subi des agressions, pas même les quolibets ou des manifestations de « racisme ordinaire ». Si les ouvriers des exploitations ployaient encore sous le joug des héritiers des créoles, les békés, ces monarques, de ce qu’il désignera comme « la royauté du sucre », il est utile de rappeler que sous l’action conjuguée des luttes populaires et le combat politique de Victor Schoelcher, parlementaire français (1) du XIXe siècle, l’esclavage avait été aboli mais demeuraient le système, les usages et la terrible misère endémique. Les Antilles françaises étaient historiquement, un défi tragique à la raison, comme l’était, d’ailleurs tout le reste de l’empire. A cet effet il écrira dans El Moudjahid (2) un article intitulé « Aux Antilles, naissance d’une nation ? », qu’il a consacré à la création de la Fédération des Indes occidentales (ex-Antilles britanniques) dans lequel il relève : « Face à la puissance extraordinaire des planteurs blancs, l’abolition de l’esclavage au XIXe siècle se révéla-t-elle inefficace à provoquer l’amélioration réelle de la situation des travailleurs noirs. Ceux-ci durent rester ouvriers agricoles sur les plantations et, encore aujourd’hui, leurs misérables cases voisinent la luxueuse maison du planteur. »
Sa rencontre, encore adolescent, avec Marcel Manville (3), Antillais comme lui, autre figure amie, familière de la révolution algérienne, semble avoir marqué le jeune Frantz, au point d’être soulignée par tous ceux qui ont eu à s’intéresser à son itinéraire. Il devait avoir une quinzaine d’années, c’est-à-dire au début de la Seconde Guerre mondiale. Cette amitié aura pour pivot le poète et professeur de philosophie, Aimé Césaire (4) un des cofondateurs du mouvement de la négritude (5). Evoquant cette période, Manville parlera de « deuxième naissance ». Mais il y avait la guerre et son corollaire : l’aggravation de la misère, l’exacerbation de la ségrégation et de l’intolérance. Fragiles et vulnérables, les populations indigènes seront les premières à pâtir de la situation créée par le conflit. La faim, les disettes, le rationnement, l’équivalent chez nous en Algérie des années du ticket ou du bon d’alimentation. En 1943, il quittera la maison familiale avant de s’engager en 1944 avec son ami Manville comme volontaire alors que la révolte grondait en Martinique contre les pétainistes. C’est de cette époque que date sa première rencontre avec cette terre qui allait devenir la sienne un peu moins de dix années après, l’Algérie. Il est, en effet, affecté dans une école d’officiers à Béjaïa où il aura un avant-goût de la situation dans laquelle pataugent les indigènes. Il gagnera ensuite Oran avant d’embarquer avec les forces françaises libres d’Afrique du Nord vers ce qui était la métropole où il fait toute la campagne depuis Toulon jusqu’en Alsace, pays de sa grand-mère maternelle. Il sera blessé. Cette période d’action sera également celle de la désillusion du jeune idéaliste qui avait quitté, un an auparavant, le confort de son adolescence et les certitudes de la grandeur de son combat.
Dans son remarquable portrait de Frantz Fanon, Alice Cherki (6) reprend les termes d’une lettre adressée à sa famille dans laquelle il observe : « Un an que j’ai laissé Fort-de-France. Pourquoi ? Pour défendre un idéal obsolète (...). Je doute de tout, même de moi. Si je ne retournais pas, si vous appreniez un jour ma mort face à l’ennemi, consolez-vous, mais ne dites jamais : il est mort pour la belle cause (...) ; car cette fausse idéologie bouclier des laïciens et des politiciens imbéciles, ne doit plus nous illuminer. Je me suis trompé ! Rien ici ne justifie cette subite décision de me faire le défenseur des intérêts du fermier quand lui-même s’en fout. » Les jours qui allaient suivre la victoire des Alliés sur le nazisme allaient conforter le jeune Fanon, récipiendaire de décorations, de même que son ami Manville, dans ses nouvelles convictions et ancrer pour toujours ce sentiment amer que quelles que soient sa vaillance, son intrépidité, sa hardiesse, il sera toujours le second du Blanc.
On évalue aisément la mesure de sa déception quand on songe qu’il répondait, juste avant qu’il ne s’engageât, à ses professeurs, sceptiques qui soutenaient que cette guerre est une guerre de Blancs : « Chaque fois que la dignité et la liberté de l’homme sont en question, nous sommes concernés, Blancs, Noirs ou Jaunes, et chaque fois qu’elles seront menacées en quelque lieu que ce soit, je m’engagerai sans retour. » Mais cette douloureuse meurtrissure mentale n’altérera jamais ses sentiments antinazis ou antifascistes. Il a vingt ans, lorsque s’achève la guerre et qu’il rejoint, après une traversée pénible, sa ville natale dans un rafiot aménagé en négrier, pour « les héros » qui reviennent de la guerre. Il aura tout le loisir de ruminer, mais de contenir courageusement, avec longanimité, sa colère contre tous ces gestes discriminatoires, ces regards méprisants sinon condescendants et pis encore, l’indifférence à sa personne humaine, au combat qu’il vient de livrer contre le racisme et l’injustice.
Le sourire des jeunes filles qui ornaient les artères de la ville portuaire de Toulon qu’il venait de quitter n’était pour eux les Antillais ou les autres, Africains du Nord et du Sud-Sahara. Il reprendra le cœur lourd, sans rien laisser transparaître, sinon dans ses écrits quelques années plus tard, le chemin des études. Ses biographes notent que c’est à cette époque qu’il se pique d’écriture au contact de son professeur Aimé Césaire qui influencera ses premiers textes, particulièrement Peau noire et masques blancs. Il fera également, durant cette période, ses premiers pas en politique puisqu’il milite pour la candidature de Césaire au Parlement. En 1946, le bac en poche, il se rendra en France, plus précisément à Lyon où il s’inscrit en fac de médecine et en fac de lettres pour un diplôme de philosophie, c’est là qu’il rencontrera celle qui allait devenir son épouse : Josie, également étudiante en lettres.
Sa vie d’étudiant sera marquée, rapportent ses biographes, par une formidable boulimie intellectuelle. Insatiable, éclectique, il ingurgite tout ce qu’il rencontre et s’essaie à tous les genres littéraires y compris le théâtre et le journalisme où il excellera dans El Moudjahid quelques années plus tard. Ses études de médecine l’amènent à s’intéresser à la psychiatrie. Il obtient un diplôme de médecine légale et de pathologie tropicale avant de se spécialiser en psychiatrie tout en passant une licence de psychologie. Après avoir été interne à Saint Alban en Lozère (France), dans le service du docteur Tosquelles, émigré espagnol, républicain, antifranquiste, pionnier d’une nouvelle psychothérapie qui va considérablement influer sur Frantz Fanon, il présente le concours du médicat des hôpitaux psychiatriques. Josie son épouse indique qu’il souhaitait être « nommé en priorité chez lui en Martinique ou à défaut au Sénégal. Il écrira dans ce sens à Léopold Sédar Senghor. Mais il a également postulé pour l’Algérie. » Une de ses premières études, qui sera publiée par la revue Esprit en 1952, sera consacrée au « Syndrome nord-africain ». Alice Cherki, psychiatre et psychanalyste, explique que « cet article n’est pas une description clinique d’une maladie qui serait spécifiquement nord-africaine, comme le voudrait l’esprit de l’époque.
Mais une extraordinaire interrogation sur le rejet et la chosification d’un autre baptisé "bicot", "bougnoule", "raton", "melon". Il met en évidence l’attitude raciste et rejetante du corps médical français devant un patient nord-africain qui se présente avec sa douleur »... 1952, c’est également l’année de Peau noire et masques blancs, son premier livre. « Nous n’étions pas encore mariés, témoigne Josie Fanon. « Nous étions étudiants... il dictait. C’est-à-dire qu’il me dictait. Il marchait de long en large, comme un orateur qui improvise ce qui explique le rythme de son style, le souffle qui traverse de part en part tout ce qu’il a écrit. » C’était quelques mois avant son affectation et son arrivée à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville.
Notes :
- 1- Homme politique français (1804-1893). Député de la Guadeloupe et de la Martinique. Il contribua à faire adopter le décret sur l’abolition de l’esclavage dans les colonies en 1848.
- 2 - Voir El Moudjahid n° 16 du 15 janvier 1958.
- 3 - Avocat, militant de la première heure de la cause algérienne. Ami d’enfance de Frantz Fanon. En décembre 1998, alors qu’il plaidait pour les victimes du 17 octobre 1961, il s’est écroulé en plein tribunal dans l’indifférence de la presse nationale.
- 4 - Poète, philosophe, dramaturge et homme politique antillais (La Martinique 1913). Ce révolté, descendant d’esclaves est un des plus remarquables poètes de son temps. Auteur notamment de Cahier d’un retour au pays natal (1939), Soleil cou coupé (1948), Cadastre (1961) Une saison au Congo (1965) et d’une adaptation de la Tempête de Shakespeare dans laquelle il s’exclame : « Je pousserai d’une telle raideur le grand cri nègre que les assises du monde en seront ébranlées. »
- 5 - Mouvement culturel qui s’est développé dans les années 1950 et 1960. Parmi ses défenseurs, on rencontre entre autres, Léopold Sédar Senghor, de l’académie française, ancien président du Sénégal. Ce mouvement a été fortement critiqué lors du symposium qui s’est tenu lors du premier Festival culturel panafricain d’Alger en juillet 1969. Wolé Soyinka écrivain nigérian, prix Nobel de littérature disait à ce propos que « le tigre ne se soucie pas de sa tigritude, il saute sur sa proie ».
- 6 - Psychiatre et psychanalyste, née à Alger. Militante de la cause nationale. Amie de longue date de Frantz Fanon avec lequel elle a travaillé, tant à Blida que plus tard à Tunis.
Bibliographie
- Pour la Révolution africaine (écrits politiques). Frantz Fanon. Ed. Maspéro. Paris 1964.
- Les Damnés de la terre. Frantz Fanon. Ed. Maspéro. Paris 1961
- Frantz Fanon : Portrait. Alice Cherki. Ed. Le Seuil. Paris 2000.
- Collection d’El Moudjahid 1956-1962.
- Hebdomadaire Révolution Africaine : spécial Frantz Fanon. Décembre 1987.
- Colloque international sur Fanon. Riadh El Feth. Alger-décembre
Josie, épouse et complice
Ceux qui l’ont connue gardent d’elle l’image de la journaliste professionnelle qu’elle fut. Au fond d’elle-même comme en un jardin secret envahi par l’arborescence des jours, elle conservait intact dans le canope de sa mémoire le souvenir de l’ami, l’amant, l’époux que fut Frantz.
Parfois avec quelques-uns, anciens amis, connaissances du temps de la guerre, complice, elle évoquait à demi-mot un moment de joie, le nom d’un compagnon disparu. Josie était le témoin de Fanon, l’étudiant en médecine au début des années 1950, qui lui dictait en marchant « de long en large comme un orateur improvise » les chapitres de son premier livre Peau noire et masques blancs. Elle était la compagne qui l’a suivi quand il a été affecté comme médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville. La militante enfin qui s’est engagée, avec lui, sans hésitation aucune dans le combat pour la liberté, pour l’Algérie. Tout comme lui, Josie repose aujourd’hui sur cette terre, au cimetière d’El Kettar après sa tragique disparition. On comprendra que nous ne pouvions pas parler de lui sans dire des mots d’elle. Dans les lignes qui suivent, l’épouse, de coutume si peu prolixe sur son intimité familiale, livre quelques propos humbles, timides sur Frantz, son mari.En règle générale, je n’aime pas parler de ma vie privée et à plus forte raison de ma vie avec mon mari. C’est vraiment la première fois que j’aborderai ce sujet. On pense souvent à tort que les hommes qui par leur œuvre ou par leur action sont devenus célèbres se comportent dans la vie quotidienne différemment des autres mortels.
Je l’ai connu en 1949. J’avais 18 ans. Il en avait 23. Nous nous sommes mariés en 1952. Nous avons eu un enfant en 1955. Comme vous le savez, il est mort en 1961. Dans la vie quotidienne c’était un homme comme les autres. C’était un époux et un père très attentionné. Il a toujours fait en sorte que sa vie familiale reste un domaine privilégié et que ses activités professionnelles ou militantes n’empiètent pas sur ce domaine. Mon fils a eu une petite enfance très heureuse, ce qui est une garantie d’équilibre psychologique pour l’avenir. Je pourrai dire d’autres choses. Ce n’était pas un personnage austère. C’était quelqu’un qui aimait la vie sous toutes ses formes. Il aimait rire, il aimait la musique, il aimait danser. Il ne faut pas oublier qu’il était d’origine antillaise. Il avait le culte de l’amitié et des Algériens comme Omar et Boualem Oussedik, le commandant Azzedine et beaucoup d’autres pourraient vous parler de l’amitié qui les unissait à mon mari. D’une façon générale, bien sûr, je ne veux pas dire que ce n’était pas quelqu’un d’exceptionnel, mais pour moi, avec le recul du temps évidemment, il représente tout simplement ce que tout homme pris au sens large, tout homme ou toute femme, pouvait être. Tout le monde ne peut être psychiatre ou écrivain. Chacun dans le domaine qui est le sien peut sur le plan humain, sur le plan professionnel, un artisan par exemple, pousser jusqu’à des limites infinies les possibilités qu’il porte en lui ».
Extraits d’un entretien paru dans Révolution africaine. n° 1241 du 11 décembre 1987
Portrait-type d’un damné de la terre
Ce document est extrait d’un rapport établi par le docteur Frantz Fanon sur un patient arrêté et incarcéré pour outrage à la pudeur. Il renseigne sur le praticien et sur la détresse inhumaine d’un damné de la terre. Il parle de lui-même, son éloquence n’a besoin de nul commentaire.
Je soussigné, Fanon Frantz, médecin des hôpitaux psychiatriques, médecin-chef de service à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, commis par M. Bavoillot Roger, juge près le tribunal civil de Blida, à la date du ... octobre 1955, afin de procéder à l’examen mental de M. B. Ben Eddine Ben Ahmed, inculpé d’outrages publics à la pudeur, détenu à la maison d’arrêt de Blida...
B. est âgé de 45 ans. Il est célibataire, ne s’est jamais marié, il n’a jamais eu d’enfant. Il n’a jamais fréquenté l’école. Son père est décédé. Il était crieur public à Affrevile(1). En 1918 au cours d’une rixe il a été tué par erreur. Sa mère est morte d’une affection indéterminée. B. n’a pas de frère. Il semble, bien que les précisions manquent, qu’il ait deux sœurs :
la première R. mariée aurait un enfant.
la deuxième, moins âgée que lui, serait mariée et aurait un enfant.
Jusqu’en 1934, B. avait été ouvrier agricole. A 20 ans, il s’engage au 1er RTA(2). Il va à Fez au Maroc, où il reste deux ans. A 23 ans, il s’engage à Koléa au 9e RTA En 1938, il est renvoyé à Miliana où il reste démobilisé pendant trois mois. Il rengage en 1938 au 13e RTA à Metz. Il participe à la guerre 1939-1940. Il reste prisonnier pendant un an au Stalag PI(3). Puis, à partir d’un moment qu’il est difficile de faire préciser, il s’évade et est rapatrié sur l’Afrique du Nord. Mis en permission il rengage au 1er zouave(4). A l’Armistice, il est démobilisé. B. a donc passé de nombreuses années dans l’armée, puisque si nous faisons le décompte, il apparaît qu’il y est resté 12 ans. Il est vrai qu’il faut tenir compte de plusieurs années passées à la prison militaire. Depuis sa démobilisation en 1945, B. ne travaille pas, il dort n’importe où et vit de la mendicité. B. a un aspect déjà sénile... (Suit l’examen psychiatrique proprement dit). Et Frantz Fanon de conclure : B. n’est pas violent. Il n’est pas dangereux pour la sécurité des personnes mais il est évident que le processus démentiel, dont il est question, évoluant, on ne peut guère prévoir les réactions possibles de l’inculpé dans l’avenir. Mais surtout, il nous semble opportun d’entreprendre une thérapeutique chez ce malade encore jeune, c’est pourquoi nous conseillons l’internement.
Blida, le 13 décembre 1955
Signé : Dr F. Fanon.
Les notes sont de la rédaction.
1- Aujourd’hui Aïn Defla.
2- Régiment de tirailleurs algériens.
3- Camp allemand où étaient internés les prisonniers de guerre non officiers durant le second conflit mondial.
4- Corps d’infanterie légère composé d’Algériens. Fantassin français d’un corps distinct des tirailleurs algériens.
Par Boukhalfa Amazit, El Watan
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Wikipedia
Frantz Fanon
Frantz Omar Fanon, né le 20 juillet 1925 à Fort-de-France et mort le 6 décembre 1961 à Bethesda, est un psychiatre et essayiste martiniquais et algérien.
Il est l'un des fondateurs du courant de pensée tiers-mondiste. Penseur très engagé, il a cherché à analyser les conséquences psychologiques de la colonisation à la fois sur le colon et sur le colonisé. Dans ses livres les plus connus, il analyse le processus de décolonisation sous les angles sociologique, philosophique et psychiatrique mais il a également écrit des articles importants dans sa discipline : la psychiatrie.
Biographie
Période française
Frantz Fanon, né à Fort-de-France en Martinique, est le cinquième enfant d'une famille mulâtre comptant huit personnes. Il reçoit son éducation au Lycée Victor-Schoelcher de Fort-de-France où Aimé Césaire enseigne à l'époque.
En 1943, il rejoint les Forces françaises libres puis s'engage dans l'armée régulière après le ralliement des Antilles françaises au général de Gaulle. Combattant avec l'armée française du général De Lattre de Tassigny, il est blessé dans les Vosges. Parti se battre pour un idéal, il est confronté à « la discrimination ethnique, à des nationalismes au petit pied »1. Après son retour en Martinique, où il passe le baccalauréat, il revient en France métropolitaine et poursuit ensuite des études en médecine, tout en suivant des leçons de philosophie et de psychologie à l'Université de Lyon, notamment celles de Maurice Merleau-Ponty.
De son expérience de noir minoritaire au sein de la société française, il rédige Peau noire, masques blancs, dénonciation du racisme et de la « colonisation linguistique » dont il est l'une des victimes en Martinique. Mais ce livre est mal perçu à sa publication en 1952. Frantz Fanon évoquera à de multiples reprises le racisme dont il se sent victime dans les milieux intellectuels parisiens, affirmant ainsi « le sud américain est pour le nègre un doux pays à côté des cafés de Saint-Germain »2.
Période algérienne
En 1953, il devient médecin-chef d'une division de l'hôpital psychiatrique de Blida-Joinville en Algérie et y introduit des méthodes modernes de « sociothérapie » ou « psychothérapie institutionnelle », qu'il adapte à la culture des patients musulmans algériens ; ce travail sera explicité dans la thèse de son élève Jacques Azoulay. Il entreprend ensuite, avec ses internes, une exploration des mythes et rites traditionnels de la culture algérienne. Sa volonté de désaliénation et décolonisation du milieu psychiatrique algérien lui vaut l'hostilité d'une partie de ses collègues[réf. nécessaire].
Dès le début de la guerre d'Algérie, en 1954, il s'engage auprès de la résistance nationaliste et noue des contacts avec certains officiers de l'Armée de libération nationale ainsi qu'avec la direction politique du FLN, Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda en particulier. Il remet au gouverneur Robert Lacoste sa démission de médecin-chef de l'hôpital de Blida-Joinville en novembre 1956 puis est expulsé d'Algérie en janvier 1957.
Il rejoint le FLN à Tunis, où il collabore à l'organe central de presse du FLN, El Moudjahid. En 1959, il fait partie de la délégation algérienne au congrès panafricain d'Accra ; il publie la même année L'An V de la révolution algérienne publié par François Maspero. En mars 1960, il est nommé ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne au Ghana. Il échappe durant cette période à plusieurs attentats au Maroc et en Italie. Il entame à la même époque l'étude du Coran, sans pour autant se convertir (la mort ne lui en laissera pas le temps)3.
Se sachant atteint d'une leucémie, il se retire à Washington pour écrire son dernier ouvrage Les Damnés de la Terre. Il meurt le 6 décembre 1961 à l'âge de 36 ans, quelques mois avant l'indépendance algérienne ; sa dépouille est inhumée au cimetière des « Chouhadas » (cimetière des martyrs de la guerre) près de la frontière algéro-tunisienne, dans la commune d'Aïn Kerma (wilaya d'El-Tarf).
Il laisse derrière lui son épouse, Marie-Josèphe Dublé, dite Josie (morte le 13 juillet 1989 et inhumée au cimetière d'El Kettar au cœur d'Alger), et deux enfants : Olivier né en 1955 et Mireille qui épousera Bernard Mendès-France (fils de Pierre Mendès France).
En hommage à son travail en psychiatrie et à son sacrifice pour la cause algérienne, l'hôpital de Blida-Joinville où il a travaillé porte désormais son nom.
Œuvre littéraire
Frantz Fanon est devenu un maître à penser pour de nombreux intellectuels du tiers-monde. Son livre le plus connu est Les Damnés de la terre, manifeste pour la lutte anticoloniale et l'émancipation du tiers-monde. Cet ouvrage et, peut-être plus encore, la préface écrite par Jean-Paul Sartre, ont été perçus rétrospectivement comme fondateurs de la critique tiers-mondiste4 Il a inspiré des mouvements de libération en Afrique ou encore le Black Panther Party aux États-Unis.
Aujourd'hui encore, Frantz Fanon est revisité par de nombreux auteurs5 ; le courant des critiques post-coloniales a notamment initié une relecture de l'auteur martiniquais. Edward Saïd, dans Culture et impérialisme, a très souvent repris les écrits de Fanon. D'autres auteurs contemporains se sont intéressés à son œuvre, comme Stuart Hall, Homi Bhabha et Judith Butler, et en particulier à Peau noire, masques blancs. Des représentants de la scène dite du "rap de fils d'immigrés" tels Casey ou La Rumeur, dont les textes sont centrés sur la dénonciation de la colonisation, font référence à Fanon et à son œuvre, parfois ouvertement comme dans le titre "Nature Morte" de La Rumeur6. On peut ainsi voir sur la pochette du street-cd Nord Sud Est Ouest du rappeur Ekoué une réédition du livre Les Damnés de la Terre.
Son livre Peau noire, masques blancs contient une critique de l'ouvrage Psychologie de la colonisation7 d'Octave Mannoni. Frantz Fanon qui adopte une attitude d'observateur extérieur au système colonial n'admet pas l'analyse psychologique de Mannoni. En particulier l'élaboration du "complexe de Prospero" du colonisateur lui parait "non fondée"8. Les philosophes multiculturalistes (Charles Taylor, Will Kymlicka) ont plusieurs fois affirmé dans leur article s'inspirer des travaux de Fanon, précurseur du multiculturalisme.
Claude Lanzmann dans son livre Le Lièvre de Patagonie raconte sur de nombreuses pages sa rencontre avec Fanon et comment celle-ci a été la plus marquante de sa vie. C'est lui qui le présentera ensuite à Sartre.
Bibliographie
• Abdelkader BENARAB, Frantz Fanon, l'homme de rupture, Paris, Alfabarre,2010
• Abdelkader BENARAB, Hommage à Frantz Fanon,in L'Expression,14/12/2008
• Abdelkader BENARAB, Frantz Fanon, in Le Quotidien d'Oran, 29/12/2008
• André Lucrèce, "Frantz Fanon et les Antilles - L'empreinte d'une pensée", Éditions Le teneur, Suresnes, septembre 2011 (ISBN : 9782918141174) [1]
• Bouvier, Pierre, Aimé Césaire et Frantz Fanon. Portraits de (dé)colonisés, Paris, Les Belles Lettres, coll. "Histoire de Profil", 2010.
• Bouvier, Pierre, Fanon, éd. Universitaires, Paris, 1971
• Alice Cherki, Frantz Fanon : portrait, Seuil, 2000
• Caute David, Fanon, éd. Collins, Londres, 1970, traduit par G. Duran), éd. Seghers, Paris, 1970
• Christiane Chaulet Achour (coordination),Frantz Fanon et l’Algérie: Mon Fanon à moi, Numéro spécial de la revue Algérie Littérature/Action N°152-156, octobre-novembre 2011
• Christiane Chaulet-Achour, Frantz Fanon, l'importun, éd. Chèvrefeuille étoilée, Montpellier, 2004
• Joby Fanon, De la Martinique à l'Algérie et à l'Afrique, éd. L'Harmattan, Paris, 2004
• Peter Geismar, Fanon, éd. Dial Press, New York, 1971
• David Macey, Frantz Fanon, éd. Granta Books, Londres
• Florent Schoumacher, Frantz Fanon et le renouveau de la question marxiste de la libération nationale, Dissidences BLEMR, n°9, Nancy, octobre 2001
• David Macey, Frantz Fanon. Une vie, La Découverte, 2011.
L'œuvre de Fanon a considérablement influencé des problématiques liées à la notion de l'identité développées dans l'art contemporain, comme en témoignent entre autres le film de l'artiste londonien Isaac Julien.
Références
1. Alice Cherki, Frantz Fanon : portrait, Seuil, 2000, p. 27
2. Cité par David Macey, op. cit., p. 131
3. David Macey, p. 167
4. Le livre de Pascal Bruckner, Le Sanglot de l'homme blanc, paru en 1983, a inauguré une vague d'attaques contre la critique tiers-mondiste liées au contexte général de révolution néo-conservatrice qui s'ouvrait alors.
5. Frantz Fanon aujourd'hui, le souffle Fanon [archive]
6. Paroles de la chanson "Nature Morte"- Forums 2KMUSIC [archive]
7. Psychologie de la colonisation, Seuil, 1950, réédité sous le titre Prospero et Caliban, Editions Universitaires, 1984, et Le racisme revisité, Denoël, 1997.
8. "Peau noire, masques blancs" p.87 (édition de 1975)
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Il y a aussi ce site Facebook:
http://www.facebook.com/pages/2011-ann%C3%A9e-Frantz-Fanon/119740731429229
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Et:
http://www.franceinter.fr/emission-lheure-ultramarine-martinique-autour-de-frantz-fanon-avec-jacques-coursil
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