Yannis Ritsos, frère d’humanité

Publié le 08 novembre 2011 par Les Lettres Françaises

Yannis Ritsos, frère d’humanité

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L’œuvre mosaïque du poète grec Yannis Ritsos ramène la mémoire des hommes à son noyau sensible, reflète de lumineuses images où les élans coïncident avec la chair et l’esprit, la vie et la survie. Écriture imbriquée inconditionnellement à la vie tout entière qui, à la fois, précède, engendre et justifie son art.

En ces temps d’affadissement de la pensée, la voix puissante de Ritsos réussit ce tour de force de nous faire respirer l’air d’une époque où l’on était alors convaincu qu’il ne peut y avoir de liberté individuelle dans une société prisonnière, ni de bonheur personnel au milieu du malheur des peuples.

En 2009, on célébrait le centième anniversaire de sa naissance. Convoquer aujourd’hui le poète, c’est réactiver « une entreprise tenace et méthodique de désaliénation » qui fit du mythe antique tragique l’idéal canevas sur lequel il tissa le drame contemporain.

D’une enfance marquée par de multiples drames – la ruine économique d’une famille noble de propriétaires terriens, la mort précoce de la mère et du frère aîné, l’internement du père –, l’œuvre demeure hantée et vibre dans un équilibre toujours fragile, entre le désespoir personnel et la foi en l’avenir fondée sur l’idéal communiste. Proche dès 1931 du Parti communiste, Yannis Ritsos se mêle à l’action politique. En 1936, le long poème Épitaphe exploite la forme de la poésie populaire traditionnelle

et donne, en une langue simple, un émouvant message de fraternité. À partir d’août 1936, le régime dictatorial de Metaxas contraint Ritsos à la prudence, d’autant plus qu’Épitaphe a été publiquement brûlé. Ses nouvelles inclinations surréalistes ouvrent les portes du rêve où transparaissent l’angoisse, les évocations de souvenirs doux et amers

De récentes publications réalisées, notamment, par l’exemplaire éditeur Ypsilon – tel le Temps pierreux – mettent en lumière ses années de déportation. Le poète paya ainsi son engagement contre la droite fasciste ; la libération de la Grèce, à partir d’octobre 1944, sera suivie de l’occupation britannique puis américaine, précédant la guerre civile. Durant sa détention sur l’île de Makronissos, puis plus tard dans d’autres camps pendant la dictature des colonels, Ritsos écrit continûment. D’août à septembre 1949, à Makronissos, dès 5 heures du matin, chaque jour, il noircit un petit carnet, plie ensuite ses poèmes, les glisse dans une bouteille qu’il enfouit sous terre à l’insu des gardiens. Sous la pression internationale, menée entre autres par Aragon et Neruda, le Grec fut libéré en 1952. Dans une valise à double fond fabriquée par ses camarades, Yannis Ritsos transporta ses écrits.

Son attachement à la « grécité » détentrice de la mémoire historique imprégnera toute son oeuvre future : Romiossini (Grécité, publié seulement en 1954 ; mis en musique par Theodorakis en 1966) est un hymne bouleversant au sol bafoué de la Grèce. De la Sonate du clair de lune (1956) – prix national de la poésie – aux longs monologues inspirés par la mythologie et la tragédie antique, aux derniers poèmes plus synthétiques, ou encore les écrits en prose, l’œuvre foisonnante de Yannis Ritsos réifie la présence des êtres, le poids des choses. Car l’écriture de combat peut aussi parler de témoins muets de la vie quotidienne, d’événements infimes qui font notre existence.

Malgré la tristesse et l’effondrement de ses idéaux, son dernier recueil, Tard, très tard dans la nuit (Éditions Le Temps des cerises, 1995), célèbre la vie et préserve une lueur d’espoir. Dix ans après sa mort, dans une Grèce au bord du gouffre, du marasme économique et des faillites politique et sociale, résonne l’injonction du Retour d’Iphigénie. « Ne pleure pas sur la Grèce, quand on croit qu’elle va fléchir, le couteau contre l’os et la corde au cou. La voici de nouveau qui s’élance, impétueuse et sauvage, pour harponner la bête avec le trident du soleil. »

Veneranda Paladino

Au Festival Strasbourg-Méditerranée : le théâtre Les Foirades réinvestit le Retour d’Iphigénie, le 29 novembre, à 20 h 30, au Théâtre Stroë, à Bouxwiller.
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