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Dettes : Vers une nouvelle gouvernance des banques ?

Publié le 08 novembre 2011 par Sia Conseil

illustration_rating Lors du symposium des banquiers centraux, la directrice du FMI, C. Lagarde, exhortait encore les banques à une recapitalisation urgente et substantielle. Le capital d’une banque doit pouvoir absorber les éventuelles pertes relatives à son activité. La récente réponse de la zone

Euro à la crise de liquidité actuelle sur les marchés financiers jumelée aux haircuts des banques européennes sur les titres souverains oblige les banques à renforcer leur niveau de fonds propres réglementaires. Comparés aux instruments de capitaux propres, les instruments de dette pouvant répondre, entre autres, à cette obligation, sont souvent innovants et complexes. Dans le cadre de la troisième réforme bâloise, le régulateur propose aux institutions bancaires deux nouveaux instruments de dettes : les bail-in debts et les CoCos (contingent convertible bonds). Cette possibilité a récemment été réaffirmée lors du sommet européen du 26 octobre 2011.

DE NOUVEAUX INSTRUMENTS DE DETTE… 

Pendant la crise, il était impensable de laisser une institution bancaire de taille considérable faire faillite tant les répercussions sur le reste de l’économie pouvaient être importantes. Les Etats se sont ainsi vus contraints de mettre la main à la poche. A posteriori, dans le cadre de la refonte du fonctionnement du secteur financier, le contribuable « assureur », le contribuable « sauveur des banques n’est plus une option. Le réel challenge du régulateur est donc, aujourd’hui, de responsabiliser les actionnaires et les investisseurs, véritables détenteurs des banques.

Les outils érigés à cet effet par Bâle III et sa déclinaison européenne CRD IV permettront aux créditeurs de se retourner uniquement vers les détenteurs de la banque si les pertes s’avéraient suffisamment importantes pour mettre l’institution en défaut de paiement.

Développés sous le vocable de CoCo et bail-in debt, ces instruments de dette ont la particularité d’être convertibles en actions et ainsi de venir compléter automatiquement les capitaux propres dans certaines conditions prédéfinies (dénommées « triggers »).

Seules les dettes seniors, c’est à dire les prêts non garantis et dépourvus d’assurance (à l’instar des créanciers chirographaires) sont éligibles aux CoCo/Bail-in.
Ainsi, ne sont pas éligibles:

  • Les titres de pension (repo), produits de swap et autres opérations sur produits dérivés
  • Les comptes de fournisseurs et créances rattachées et les dettes à court terme
  • Les comptes de retail et de wholesale
  • Les dettes sécurisées (covered bonds, Asset Backed Securities (RMBS, CMBS)
  • Les dettes pour réclamations couvertes par accords généraux de compensation

Contrairement aux CoCos dont les triggers sont définis de façon contractuelle entre la banque et l’investisseur, les triggers des bail-in debts sont déterminés par le régulateur.

… SUSCITANT DES AVIS PARTAGES…

Ces nouveaux instruments présentent un intérêt mitigé pour les différents acteurs du secteur bancaire.

Le régulateur

Le régulateur souhaite avant tout isoler l’économie réelle (et par là, le contribuable) des différents risques portés par les marchés financiers (spéculation, établissements systémiques…). En filigrane de cette nouvelle réglementation, se dessine donc une volonté de plus en plus affirmée de recentrer l’activité des banques sur leurs « core-businesses » (et ainsi, indirectement, de séparer à nouveau le métier de banque d’investissement de celui de banque commerciale, comme l‘imposait le Glass-Steagall Act aux Etats-Unis à la suite de la crise de 1929).

Par ailleurs, le régulateur vise également à renforcer l’autorégulation du marché. En effet, la valeur des dettes CoCo ou bail-in-able dépendra de la capacité de l’institution à prouver sa solvabilité de façon pérenne. Elle induit donc une forte implication des investisseurs dans la gestion de la banque. Le régulateur espère ainsi attirer la vigilance des souscripteurs à ces produits de dette sur la discipline de marché des banques.

Les banques hésitent

En cas de défaillance, la banque qui se sera constituée un niveau conséquent de CoCo/bail-in debts possèdera une source sûre de recapitalisation dès l’identification du montant de pertes.

Ce serait : Pertes identifiées = Dettes (converties en Fonds Propres) minorées du montant des pertes = banque recapitalisée.

La couverture des actifs douteux par les CoCo/Bail-in debts évitera ainsi un renflouement des fonds propres via une émission d’actions au moment de la défaillance. Elle s’avèrera donc, somme toute faite, moins couteuse et plus rapide que les moyens classiques de recapitalisation (quelle que soit la liquidité du marché).

Par ailleurs, l’avantage majeur des dettes CoCo/bail-in-able est le maintien du montant total de bilan (cf. schéma ci-dessous). Elles assurent ainsi la continuité d’exploitation avec les différents partenaires de l’établissement (pas de mise en liquidation, aucune intervention du contribuable, pour un faible coût sociétal).
Enfin, leur comptabilisation est autorisée dans le Tier 2 des banques émettrices (CRD IV).

Cependant, l’éventuelle participation des dettes seniors au sauvetage des banques implique une augmentation du risque porté par ces produits. La résultante logique est une augmentation du coût des dettes seniors et par ricochet, l’augmentation même du coût de refinancement des souscripteurs aux produits de dette CoCo/bail-in-able. Toute chose étant égale par ailleurs, les prix de marché des dettes classiques et des covered bonds augmenteront du fait de la migration des créanciers seniors vers ces produits devenus plus sûrs.

Les banques seront donc contraintes de réaliser des arbitrages dans la structuration de leur dette afin d’équilibrer son coût et son éligibilité aux ratios réglementaires.

Les autres acteurs du marché appréhendent

L’introduction des CoCos et des bail-in debts dans le bilan des banques ne sera pas sans effets sur le reste du marché. Par exemple, le portefeuille des assureurs, fourni en majorité d’obligations émises par les banques, devra être revu. En effet, un assureur ne pourrait légalement devenir actionnaire d’un établissement bancaire. Il aura donc de fait l’interdiction de souscrire à des produits CoCo/bail-in-able.

… ET REDEFINISSANT LES LOIS DE GOUVERNANCE ?

A l’échelle de la banque

Un flou juridique persiste encore autour de ces produits : l’exercice des CoCo/bail-in debts autorise une restructuration et la dilution de l’actionnariat sans convocation d’Assemblée Générale. Les « anciens » actionnaires devraient-ils redouter cette opération ? Comment sera régie cette dilution de l’actionnariat ?
Ce point est d’autant plus épineux pour les banques mutualistes ou coopératives : le déclenchement du trigger pourrait-il permettre à des bailleurs de fonds, hedge funds, et autres capitaux risqueurs d’entrer dans le capital de tels établissements, bien que cela aille à l’encontre de leur statut ?

Le schéma ci-dessous met en exergue les principales modifications de la structure de bilan suite à la réalisation d’un CoCo/bail-in debt :

Dettes : Vers une nouvelle gouvernance des banques ?

Le total du bilan reste inchangé, même si la qualité des acteurs est transformée.

 A l’échelle des pays

Contrairement aux CoCos pour lesquels les triggers sont déterminés contractuellement, les triggers des bail-in-debt sont définis par l’autorité compétente de chaque Etat. Cette définition pré-suppose l’élaboration d’une organisation efficiente permettant une détermination des triggers réaliste, transparente et indépendante de toute velléité politique.

Par ailleurs, il est fort probable que le niveau des triggers définis par le régulateur entre dans la composante du rendement exigé par les souscripteurs aux dettes seniors. Cela étant, la stratégie d’implantation des banques pourrait être fonction de l’Etat au trigger le moins contraignant.

Outils novateurs, vivement recommandés aux Sifi[1], les produits de dette CoCo/bail-in-able rencontrent déjà un certain succès : Crédit Suisse et Lloyds ont tous deux déjà procédé à une émission de bail-in debt en début d’année. Ils pourraient rapidement être rejoints par d’autres institutions en cette période de forte instabilité sur les places financières. Toutefois, il semble évident qu’il reste encore de nombreuses zones d’ombre devant être adressées par le régulateur. En premier lieu, la structure de l’actionnariat post-trigger. Dans sa volonté de réduire le risque systémique, le régulateur étudie d’ailleurs d’autres pistes, telles que la suppression de la spéculation pour compte propre ou la séparation des banques d’affaires et commerciales. Cependant, n’est-il pas utopiste de croire à la disparition de l’effet de Moral Hazard[2] et au sauvetage des banques sans l’intervention de l’Etat ?

Sia Conseil


[1]Systemically important financial institution.
[2]Théorie économique développée par Paul Krugman, justifiant le manque de prudence des banques « too big to fail » parce qu’elles pensent que les Etats ne les laisseront jamais faire faillite.


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