Sa progression se poursuit contre vents et marées.
On ne s’en lasse pas : pendant que le transport aérien tout entier prolonge son jeu de lamentations, énumère ses raisons d’inquiétude, se bat pour garder la tête hors de l’eau, Ryanair poursuit son irrésistible ascension. Et cela en se permettant le luxe, chemin faisant, de retoucher discrètement son modèle économique, osant ce que personne d’autre n’a fait dans le passé : mettre provisoirement au sol plusieurs dizaines d’avions au moment de la basse saison hivernale pour maintenir un rapport correct entre l’offre et la demande. Etonnant !
Ce n’est pas tout. Pour la première moitié de son année fiscale 2011/2012, la compagnie irlandaise annonce un bénéfice après taxes de 543,5 millions d’euros, en hausse de 20°%. Le nombre de passagers, 44,7 millions, a augmenté de 12%, points de repère qui n’appellent pas de grands discours, la croissance rentable se poursuivant.
On remarque, après examen attentif des comptes qui viennent d’être rendus publics, que la manière de procéder est simple. Michael O’Leary, constamment en représentation, le verbe haut et le propos populiste, claironne que Ryanair, elle, n’impose pas de surcharge carburant à ses clients, contrairement à ses concurrents, et cela quel que soit le prix de l’or noir. Mais il n’y a ni recette miracle, ni astuce.
La réalité, très terre à terre, tient en peu de mots et la ficelle est tellement grosse qu’elle en devient invisible : Ryanair augmente ses tarifs, à doses qui ne sont même pas tout à fait homéopathiques. En effet, le prix moyen du coupon est passé à 50 euros, 13% de plus qu’il y a un an. Dans le même temps, des efforts considérables sont déployés pour accroître les recettes annexes, et cela avec de bons résultats. En effet, la recette totale par passager est désormais de 61 euros, une progression de 11%.
De mois en mois, un autre exploit retient l’attention, le fait que Ryanair évite toute tendance au plus minime des embourgeoisements. Tout au contraire, avec une flotte qui comptera bientôt 300 Boeing 737-800, elle bénéficie de solides économies d’échelle en même temps qu’elle préserve sa structure simplissime et n’a d’autre réseau de vente que son site Internet. D’où un coût moyen par passager, hors carburant, de 23 euros à peine. Comparaison non vérifiable, les financiers de Ryanair, s’adressant aux analystes, estiment que le chiffre équivalent est de 62 euros chez EasyJet. Ceci pourrait suffire à expliquer cela.
Autre vraie-fausse révélation, Ryanair n’évoque plus l’éventualité de ralentir, voire d’arrêter sa croissance. Bien au contraire, il est à nouveau question d’une très grosse commande d’avions supplémentaires, là encore en cassant les codes, un protocole d’accord ayant été signé avec le constructeur chinois Comac portant sur l’achat éventuel de 200 C919. Aucun détail n’est divulgué mais cette intention, à prendre avec toute la prudence qui s’impose, n’est pas nouvelle. En effet, elle avait déjà été évoquée au salon de l’aéronautique du Bourget, en juin dernier.
Il ne s’agit pas nécessairement d’une gesticulation commerciale, d’une tentative d’obtenir de Boeing une contre-proposition équivalente. Le prix unitaire du C919 n’est pas connu, il n’était apparemment pas encore fixé au printemps dernier quand nous avons interrogé (non sans difficultés) l’avionneur chinois. Mais on peut imaginer qu’une telle commande de Ryanair, qui pourrait justifier de sérieuses concessions, lui permettrait d’amorcer la pompe sur le marché occidental. Le pari serait moins fou qu’il n’y paraît à première vue, le biréacteur s’appuyant largement sur les mêmes fournisseurs qu’Airbus et Boeing, à commencer par la motorisation confiée à CFMI, filiale commune de General Electric et Snecma.
Entre-temps, Ryanair se pavane, évoque ses 75 millions de passagers par an, 47 «bases» et un art consommé de claquer la porte là où ses exigences ne sont pas satisfaites, pour ensuite revenir par la fenêtre. Le «cas» de Marseille constitue une illustration parfaite de cette manière de faire : la base provençale a été supprimée, aucun avion aux couleurs de Ryanair ne passe la nuit sur le tarmac provençal mais les ambitions commerciales n’ont finalement pas varié d’un iota. Des ambitions qui, là comme ailleurs, apparaissent tout bonnement incommensurables.
Pierre Sparaco - AeroMorning