Au théâtre ce soir. Plus exactement, ce matin. Dans une unique représentation, le maestro Fillon nous livre son plus beau numéro, celui qui provoque des frissons au sein de la droite Cyrillus et s’attire des louanges pleines de trémolos chez les amateurs de sérieux : la rigueur. Aaah, la rigueur. Pas un rôle de composition, loin de là. Il attendait son heure, Fillon, durant les premiers jours du règne sarkozyste – alors plus fastes – sachant bien qu’il ne serait à la mode que les jours de pluie, maussades, quand la bise serait venue. Elle est là. Et qui d’autre que le « premier sinistre », pour reprendre une plaisanterie éprouvée qui lui va comme un gant (noir), pour venir l’incanter devant le ban et l’arrière ban des journalistes, préparés psychologiquement par le matraquage médiatique autour du budget le plus rude « depuis 1945 » – comprenez un budget de guerre ?
François Fillon est plus qu’un acteur. Il est l’homme-métaphore, l’homme-métonymie, celui qui coïncide parfaitement avec le sujet du jour. On imagine mal une Morano gouaillarde, un Bertrand VRPesque ou une Bachelot joviale venir administrer les derniers sacrements à l’Etat-providence. Who you conna call ? Qui d’autre que le Growthbuster en chef, le traqueur de fantômes de dépenses publiques, le croquemort de Matignon ? D’une élocution précise, rigoureuse, il détaille l’anatomie du grand cadavre à la renverse des finances publiques, chaque phrase se terminant en un quasi rictus douloureux. Il vient mordre l’orteil de la dette, pour constater que déjà la rigidité cadavérique – rigor mortis – envahit le cadavre de la France, et que celui-ci est prêt pour l’embaumement par éléments de langage. C’est la crise. Il va falloir faire des sacrifices. Ce sera difficile. Mais surtout, surtout, ne touchez pas au corps, ne le bougez pas, oh non ! L’immobilité et le recroquevillement sur soi-même – sur une deuxième présidence Sarkozy – sont les meilleurs garants de l’intégrité du presque défunt. Vous n’iriez quand même pas confier ce mourant fragile, localement, à une Rachida Dati surexcitée, et nationalement, à cette gauche dont la naïveté le dispute à l’inconscience et à l’irresponsabilité ? « Primo saignare, deinde purgare, postea clysterium donare ». Intensifions la saignée, à coups d’augmentations d’impôts et de TVA et de déremboursements, la situation du malade ne pourra que s’améliorer !
C’est une farce sinistre. Mais une farce d’abord, une farce électorale. Car, chacun l’aura compris, l’annonce du plan de rigueur ne s’adresse pas d’abord aux agences de notation et aux partenaires extérieurs, mais aux Français et à la gauche. Elle participe d’un plan soigneusement déroulé autour du G20, consistante à noircir le plus possible la situation pour mettre le plus possible en porte-à-faux les prétendues cigales socialistes, avec leurs réformes alternatives et leur coûteuse priorité à l’éducation. Un plan qui vise à écraser le débat de 2012 sous la peur, la peur de la dette, du déclassement, de la faillite façon Zorba. Un plan qui veut transformer la présidentielle en concours d’austérité et de « ce n’est pas possible ». En opérant un double maquillage, une double thanatopraxie : d’abord en faisant croire que la rigueur est un concept en soi, qu’il n’y a pas différents plans de rigueur possible (comme une rigueur appliquée d’abord, au hasard, à la finance et aux gros revenus), ensuite en réécrivant l’histoire récente de notre pays, pour pousser sous le tapis de la crise les erreurs et les folies déficitaires de la droite, à commencer par le paquet fiscal.
Une farce. D’autant que dès que les journalistes quittent la chambre funéraire, le cadavre émerge de sous son drap pour bondir hors du cercueil taille triple A, et entamer une joyeuse danse macabre. Que vient-on nous parler de rigueur et d’efforts partagés, quand on annonce gravement le gel du salaire présidentiel … augmenté de 172 % en 2007 ? Et quand le même Sarkozy s’est octroyé durant le G20 une suite à 37 000 euros la nuit, contre 2000 pour celle de David Cameron, le premier ministre britannique ?
Alors Fillon redouble de sérieux et de gros froncements de sourcils broussailleux. Pour donner le change. Et exige que l’on pratique l’autopsie des finances et du train de vie des collectivités territoriales, comme par hasard à gauche. Vivement que le cadavre se rebiffe et saute à la gorge du croquemort, comme dans un vieux film de la Hammer. En mai prochain si tout se passe bien.
Romain Pigenel