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Twenty-Mile est un trou perdu du Wyoming, en 1898, au moment de la ruée vers l’or. C’est un lieu ignoré de tous, en haut d’une montagne, entre la mine et le bourg voisin. Les quinze habitants ne vivent que dans l’attente des mineurs qui viennent s’y saouler en fin de semaine.
Comme dans tout bon western qui se respecte, on retrouve le bordel, le tenancier, son serviteur et ses trois prostituées, l’hôtelier, plus sélect et sa jolie jeune fille pure et vierge dont il faut absolument protéger la vertu, le pasteur, débauché, ivrogne et donneur de leçons.
L’histoire commence quand arrivent les étrangers, le bon d’abord, le jeune Matthew, venu on ne sait d’où, beau parleur, mythomane, qui se fait passer pour Ringo Kid, son héros. Entrent en scène ensuite les trois bandits, d’horribles tueurs échappés de la prison voisine qui prennent les habitants en otage.
Heureusement là ne réside pas l’intérêt de ce roman: je ne l’aurais pas aimé et certainement je me serais arrêtée avant la fin mais l’art de Trevanian est de s’amuser avec son lecteur auquel il fait des clins d’œil entre initiés et habitués des bons vieux westerns du cinéma. On s’intéresse au sort de ces personnages, laissés en rade et ballotés dans un pays en pleine construction/déconstruction. On s’en amuse aussi.
Par-dessus tout cependant c’est le style et la maîtrise du récit que j’ai admiré chez cet auteur secret et mystérieux qui joue avec les codes du genre et les narrateurs successifs. Entre la prison des premières pages et la visite au cimetière, un siècle après, les archives et les journaux intimes se sont accumulés.
Le premier collecteur d’histoires est un charpentier, Niels Petersen qui, vers ses quatre-vingt-dix ans , remit son manuscrit à celui qui déclare avoir consulté toutes sortes d’autres archives pour écrire ce livre et qui a prolongé le récit de l’incident jusqu’à la disparition, bien des années après, de tous les protagonistes de cette aventure.
Voici d’ailleurs ce qu’il dit lui-même de la construction de son ouvrage.
«Lorsque j’eus fini de lire le manuscrit des mémoires de M. Pedersen sur Twenty-Mile, je le remerciai et, après une dernière tasse de café, je repris ma route vers l’ouest, mettant ce que j’appelai déjà « l’histoire de Twenty-Mile » sur le brûleur du fond, où elle allait mijoter beaucoup plus longtemps que je ne le pensais.
Mais je repassais de temps à autre dans le Wyoming pour siroter le bourbon de M.Pedersen et écouter ses histoires, histoires que j’étofferais ensuite en allant faire quelques recherches au département « patrimoine vivant » des archives de la Société d’histoire de Cheyenne, où je trouvais des mémoires de mécaniciens de train, employés de banque, mineurs, gardiens de prison, journalistes du Far West… et de toutes sortes de gens, mémoires souvent rédigés par des veuves désireuses de donner un sens à la vie de leur mari disparu.
(…)
Les années passèrent, où je consacrais mon temps et ma tête à d’autres ouvrages; puis, il y a peu, il me vint à l’esprit que le centenaire des événements de Twenty-Mile approchait, et je me dis que le temps était venu d’écrire mon seul livre dans le genre du western en en revisitant les archétypes conventionnels : le « kid », le joueur de poker tuberculeux, les filles du saloon au cœur d’or,le petit commerçant philosophe, le prédicateur de l’Ouest sauvage, la jolie jeune première d’une ville bientôt fantôme, le nouveau venu mystérieux et amer, le hors-la-loi qui se déchaîne sur la ville tel un fléau biblique.»
Incident à Twenty-Mile de Trevanian (Gallmeister, 2011, 350 p.) Traduit de l’américain par Jacques MailhosMerci à l’éditeur et auNews Books de Ys pour le partenariat. (Livre reçu le 19/10/11)