Alors que les pays européens éprouvent des difficultés à endiguer la crise de la zone euro, les États de l’Union se jettent la pierre, laissant craindre à certains observateurs un sursaut nationaliste.
Par Sarah LEDUC (texte)En vingt-quatre heures, le scénario d’une consultation populaire en Grèce – qui aurait pu être dévastatrice pour la zone euro – a été abandonné. Mais ce laps de temps aura suffi pour accentuer les tensions entre les États. L’hégémonie franco-allemande dans la gestion de cette crise est mal perçue par nombre de partenaires européens. En dépit des leçons de l’Histoire, les opinions publiques se sont retournées les unes contre les autres. Au « Mouvement Européen – France« , la plus ancienne association europhile créée en 1949 et dont le Premier ministre britannique Winston Churchill fut président, Jean-Luc Sauron, vice-président, s’inquiète de la « tribalisation de l’Europe ». Ce professeur de droit public, à l’université Paris-Dauphine, plaide pour une construction européenne dans une perspective fédérale. Interview.
Jean-Luc Sauron, vice-président de Mouvement européen- France |
France 24 : L’hégémonie du couple franco-allemand dans la gestion de la crise a créé des crispations chez leurs partenaires . Ce duo de tête, qui s’est imposé à la barre, menace-t-il l’équilibre européen ?
Jean-Luc Sauron : Je ne pense pas qu’il faille parler d’hégémonie franco-allemande. Il y a toujours eu deux pilotes dans l’avion et on ne pilote pas à 17 ou 27 pilotes. Dans notre système, qui n’est pas fédéral, il faut qu’il y ait certaines personnes pour prendre des décisions. L’axe franco-allemand, qui représente plus de 50 % du PIB européen, est légitime en cela. Par ailleurs, la France joue un rôle régulateur fort car elle fait le lien entre un Nord strict et vertueux et un Sud plus dispendieux et en difficulté. Elle est un élément de cohérence et de cohésion européenne. L’Allemagne est plus proche des pays vertueux. Aussi, il y a une complémentarité franco-allemande car une rigueur excessive déséquilibrerait la zone euro. Il n’y a pas d’hégémonie mais une synergie entre les deux espaces économiques. F24 : Comment les États peuvent-ils concilier les contraintes inhérentes à leur appartenance à la zone euro et le maintien de stratégies politiques nationales ? J-L S. : La difficulté consiste à trouver un équilibre entre l’indépendance des États et l’interdépendance des pays de la zone euro. Chaque État garde sa souveraineté nationale, mais doit prendre en compte les conséquences des politiques intérieures sur les 26 autres. Les tensions seraient moins importantes si l’Europe était mieux préparée à un niveau national. Il faut que l’appareil démocratique national fonctionne bien pour que la gouvernance européenne puisse s’exercer. Sinon, il y aura toujours un hiatus entre les décisions prises à Bruxelles et les volontés des peuples. Il faut repenser les démocraties nationales dans un cadre transnational et aller vers une meilleure adaptation des démocraties nationales à la gouvernance européenne. F24 : Certains, dont José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, évoquent la crainte d’un repli national, voire nationaliste en Europe. Estimez-vous la situation critique à ce point ?J-L S. : Ce qui m’effraie, c’est que les opinions publiques se rigidifient et se jettent la pierre les unes les autres. Le Bild, un journal populaire allemand, a interpellé Angela Merkel, lui demandant de faire un référendum pour se débarrasser de la Grèce. Les Italiens estiment eux qu’ils sont mis sur la sellette à cause des Français. Ici, on dit que les Grecs sont paresseux. Là, que les Allemands sont rigides. Il y a en effet une véritable montée des tensions nationales. L’unité européenne n’est pas un acquis. C’est une construction quotidienne Mais nous les Européens, nous avons assez donné là dedans. Il faut se donner les moyens de rester dans un cadre normal de négociations. Et nous n’avons pas le choix : soit nous nous entendons et nous restons la première puissance commerciale au monde. Soit nous retombons dans la « tribalisation ». F24 : Dans le cadre de « Mouvement Européen- France », vous plaidez pour une Europe fédérale… Oui, nous estimons que le groupe doit s’imposer sur l’unité ; et pour se faire que certaines compétences soient dévolues aux États et d’autres à la fédération. On veut éviter que les États se déchirent.
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