Les bourses n’ont rien produit en dix ans. Les rendements des obligations sont au plus bas. Tour d’horizon des solutions proposées par les experts
En cette période de troubles sur les marchés, placer son argent est devenu un vrai casse-tête. Les bourses n’ont pratiquement rien rapporté sur dix ans, les rendements des obligations d’Etats réputés sûrs atteignent des niveaux extrêmement bas et les matières premières sortent d’un été noir. Même les comptes d’épargne – suivant les conditions obtenues – ne garantissent pas des taux d’intérêt suffisants pour couvrir les frais de gestion. Sans oublier que l’inflation, même à un niveau faible de 0,5%, rogne encore les rendements. Pour Thomas Härter, responsable de la stratégie de placement chez Swisscanto, «garder son argent en liquide n’est donc pas une bonne solution».
Malgré les craintes d’une nouvelle récession et la politique de taux bas des banques centrales qui rend la situation plus complexe, des solutions existent, assurent les experts. Tour d’horizon.
■ Les conseils de départ
Bien regarder les offres en matière de compte d’épargne et faire jouer la concurrence est déjà une première étape, explique Fabrizio Quirighetti, chef économiste chez Syz & Co. Des écarts importants peuvent exister. Par ailleurs, l’expert ajoute que l’on n’insiste jamais assez sur la diversification des classes d’actifs dans les portefeuilles.
■ Les actions, trop risquées?
Contrairement aux apparences, les actions n’ont pas été éliminées des recommandations de la plupart des experts. C’est même la contre-performance depuis janvier – -10,3% pour l’indice de référence suisse, -15,1% pour l’eurostoxx 50 et -3,7% pour le S & P 500 – qui incite nombre de stratèges à suggérer d’en profiter pour regonfler progressivement son portefeuille d’actions.
Bien sûr, ils préviennent qu’il faudra savoir garder ses nerfs et fermer les yeux dans les montagnes russes du court terme. «Un petit porteur ne doit pas essayer de jouer avec les rebonds du marché en cette période de forte volatilité», met en garde Fabrizio Quirighetti. Ce dernier recommande de privilégier des titres dits «défensifs», qui offrent une bonne visibilité sur la marche de leurs affaires et distribuent des dividendes intéressants (Nestlé, Roche), pour les conserver trois à cinq ans. Cela vaut pour les plus prudents: «Si je ne suis pas pressé, je préfère avoir l’action Swisscom, qui paie 4% ou 5% de dividende par an, plutôt que l’obligation Swisscom qui ne rapporte que 1% par an», ajoute-t-il.
Sébastien Gyger, responsable de la gestion de portefeuille pour la clientèle privée chez Lombard Odier, suggère de se concentrer sur les entreprises qui disposent d’une grande «flexibilité financière»: maîtrise des flux de trésorerie, peu de dette, faible dépendance aux dépenses gouvernementales et ayant des avantages compétitifs majeurs.
Malgré la crise qui sévit, c’est vers l’Europe que de nombreux regards se tournent, où les cours sont particulièrement bas puisqu’ils sont retournés au niveau de 1997. Ceux qui ont encore en travers de la gorge la chute vertigineuse d’UBS depuis 2007 seront peut-être échaudés par l’idée d’investir dans les actions bancaires. Mais ce sont aussi les titres les meilleur marché, soutient Thomas Härter.
■ Fuir les obligations?
Avec la politique des taux bas des banques centrales, «le coussin protecteur des obligations d’Etat n’est plus là», constate Sébastien Gyger. Le spécialiste a récemment réduit la part des obligations d’Etat, qui soit rapportent peu lorsqu’elles sont considérées comme sûres, soit portent le risque d’un endettement excessif du pays.
«Acheter un emprunt italien avec une maturité de moins de quatre ans (libellé en francs) rapporte 5,5% par an, contre 0,3% pour un emprunt de la confédération. Ce alors qu’il y a objectivement très peu de chances de voir l’Italie faire défaut dans ce laps de temps. C’est d’autant plus intéressant qu’on peut y entrer par petite tranche de 5000 francs», avance Fabrizio Quirighetti.
Les emprunts des entreprises attirent davantage: «Elles disposent des liquidités nécessaires à leur bon fonctionnement. Les marchés voient un risque de défaut élevé, que nous considérons comme exagéré», explique Frédéric Lamotte, responsable des investissements au Crédit Agricole Suisse. Il conseille d’en acheter et de les garder jusqu’à maturité, donc sans tenir compte de la valorisation quotidienne, pour profiter du versement d’un coupon ainsi que de rendements élevés. Nobel Biocare, par exemple, offre un coupon de 4% par année.
■ La solution de la pierre
Malgré les craintes d’une bulle immobilière en Suisse, la pierre reste très prisée, assure Sébastien Gyger. Mais il est peut-être trop tard: «Les taux de rendement actuels sont en dessous des moyennes historiques et l’on court le risque d’être touché en cas de retournement de marché», prévient-il.
■ L’or en question
Le métal jaune reste pour beaucoup un actif central. C’est d’ailleurs là que la progression a été fulgurante ces dernières années. Trop tard, trop cher pour y songer? «A moyen terme, l’inflation va ressurgir. L’injection de liquidité dans le système pour lutter contre la crise va nécessairement y conduire. Les lingots pourront donc constituer une protection», affirme François Savary, responsable des investissements de la banque Reyl.
D’autres sont plus nuancés. «L’or représente un investissement risqué: son prix peut rapidement fluctuer», prévient Thomas Härter. Pour lui, «inclure des matières premières – entre 5% et 15% – dans une stratégie d’investissement est toujours sensé». Mais à choisir, il conseille plutôt d’investir dans des entreprises qui produisent du pétrole ou de l’or plutôt que dans les matières premières directement.
■ S’éloigner du franc?
Il est difficile pour les petits investisseurs de spéculer sur les devises, prévient Fabrizio Quirighetti. Mais avoir une part d’euros et de dollars dans son portefeuille est toujours intéressant et l’exposition à ces monnaies peut se faire par le biais des actions. «Le dollar, surtout, car il est complètement sous-évalué et a tendance, à l’inverse de l’euro, à bien se comporter en période de crise», rappelle-t-il.
Thomas Härter suggère de s’intéresser à la couronne norvégienne. «Elle reste très bon marché, surtout par rapport au franc, alors que la situation financière du pays est au moins aussi bonne que celle de la Suisse. Mais contrairement à la nôtre, la taille de l’économie norvégienne est considérable par rapport à celle de son système financier. En cas d’aggravation de la crise de la dette en Europe, Oslo pourrait donc très bien sauver ses banques sans que l’économie du pays en soit trop affectée», argumente-t-il.
■ Les choix plus audacieux
Dans le contexte actuel, «il faut savoir modifier sa vision de l’investissement, notamment en tenant compte d’actifs encore inexistants il y a peu et qui se développent», explique François Savary. Pour lui, la dette émergente – aussi bien pour les emprunts d’Etats que de sociétés, notamment d’Asie – rentre dans cette catégorie même pour des petits investisseurs. Outre des finances publiques saines alors que les pays développés rivalisent de déficits astronomiques, l’exposition à cette région permettra de profiter de l’appréciation inévitable des monnaies de ces pays, assure-t-il.
Les fonds indiciels (ETF) peuvent aussi constituer une solution, mais l’expert met en garde: si l’offre est de plus en plus diversifiée et qu’elle permet d’investir dans des marchés plus difficiles d’accès, encore faut-il être sûr de la façon dont le produit est constitué.
(Mathilde Farine et Sebastien Dubas - LeTemps.ch - 17/10/2011)