Facebook et TV
Extraordinaire et révolutionnaire ce qui s’est passé jeudi 3 novembre 2011 en Italie à la télé et sur le Web. L’orchestrateur : Michele Santoro, conducteur parmi les plus aimés du public, littéralement expulsé de la télévision publique à cause de ses dénonciations des abus du gouvernement Berlusconi, lors de sa populaire émission « Anno Zero ». Il y a quelques mois, ce journaliste cathodique a lancé l’idée d’une émission indépendante de toute chaîne de télévision, allant jusqu’à demander 10 euros à chaque supporter pour en soutenir le coût initial. 100.000 personnes ont répondu à l’appel. Service public (Servizio Pubblico) a été transmise via le digital terrestre, Sky, Rainews 24, mais aussi sur Facebook et sur les sites Web italiens d’information les plus visités, La Repubblica e il Fatto Quotidiano. Berlusconi a un quasi-monopole sur la télévision italienne, mais il a toujours boycotté Internet, qui en Italie est parmi les moins développés d’Europe, au niveau du Portugal. L’émission a été une sorte de forum, auquel ont participé de protagonistes de la société italienne les plus variés : Diego Della Valle, l’industriel créateur des chaussures Geox, des jeunes filles au chômage ou en précarité, une fameuse journaliste anti berlusconienne et un autre pro berlusconien, et bien d’autres.
Et Facebook? Le conducteur a demandé aux 3 millions et demi des téléspectateurs, d’exprimer leur avis sur deux questions successivement : la première, quant à l’opportunité du maintien du gouvernement Berlusconi (96 % ont indiqué qu’il doit abdiquer, pardon, démissionner, immédiatement). La deuxième concernait l’opportunité d’élever l’âge du départ à la retraite à 67 ans (elle est à 65). La réponse a été négative à plus de 80 %. Dans les deux cas, plus de 100 000 personnes ont répondu à l’appel, un chiffre énorme si l’on considère l’État atrophique du Web en Italie et le pourcentage exigu de la population qui se connecte (les connexions à haut débit sont encore minoritaires).
Facebook outil de démocratie populaire et directe? Véhicule référendaire efficace, à cout zéro et immédiat? Réelle avancée démocratique? Oui, d’une certaine manière, ce réseau social favorise l’expression de l’opinion populaire, et donc renforce la participation du peuple aux décisions politiques, qui est l’essence de la démocratie.
D’un autre côté, le caractère immédiat de Facebook le rend susceptible de véhiculer de jugements affectés par superficialité et émotivité. Prenons l’exemple de la deuxième question posée via Facebook jeudi dernier, concernant les retraites. Un examen plus attentif et compétent de cette question devrait faire reconnaître la nécessité de réduire tant soit peu le montant des retraites des plus nantis, et surtout les pensions d’ancienneté italiennes, qui permettent de devenir retraité à 40 ans. Cela entraîne des coûts insoutenables pour un État dont la population est statistiquement la plus âgée du monde.
Parfois, la médiation des élus, du Parlement, est indispensable à un fonctionnement harmonieux et savant de la démocratie. Supposons qu’il y ait un attentat terroriste particulièrement odieux et sanglant, pour lequel les services secrets d’un pays arabe serait soupçonnés. En posant la question sur Facebook, s’il est opportun de déclarer la guerre à ce pays, la vague émotionnelle de l’indignation populaire, attisée par des images écoeurantes, pourrait susciter une avalanche de réponses positives. Sauf à découvrir plus tard, comme dans les cas de l’Irak par rapport aux attentats du11 septembre, que le pays victime de l’agression militaire inutile, criminelle et coûteuse, n’a rien à voir avec l’attentat. La CIA ou d’autres services secrets pourraient donc utiliser Facebook pour susciter un consensus populaire avalisant des agressions militaires aux conséquences imprévisibles.
Facebook puissant forum d’expression démocratique, canal de la naissante démocratie numérique? Oui, mais…