Les journaux papiers tels que nous les connaissons encore, auront vraisemblablement beaucoup changé, voire disparu, d’ici 10 ans. Entre plans d’économie, charrettes de licenciements et recentrages, toute la « presse » sera réduite à portion congrue. ‘Le Monde’ n’est pas le seul concerné mais fournit un bon titre. Les symptômes ?
· Pour la première fois en 2007, plus d’Américains ont cherché l’information sur les sites internet que dans la presse écrite.
· La presse gratuite fait un tabac en Europe, et la France n’en est encore qu’au milieu du gué avec 22% de pénétration contre 50% en Espagne : elle est rapide à lire, ludique et décalée. « 20 minutes » est passé devant « Le Monde » en 2006 en termes d’audience.
· L’attrait pour les informations s’effrite, sauf lors des crises majeures, peut-être par individualisme grandissant, aussi parce nos sociétés sont plus « sûres » et que chacun a l’esprit libre pour ses loisirs particuliers (la presse magazine est en plein essor).
· Le net et la presse gratuite diffusent la culture du tout-gratuit en matière d’information. Après tout, un bien comme l’air ou l’eau, pourquoi le faire payer ?
· En 2006 en France, les 18-34 ans lisent très peu le journal et déclarent à 71% passer moins de temps devant la télé pour aller sur internet (Médiamétrie)
· La publicité déserte les pages imprimées, même en couleur, pour adopter internet, les moteurs de recherche et les réseaux de rencontres étant des supports mieux répartis que les journaux.
· L’éditeur du site nytimes.com (ex-New York Times papier) a calculé qu’il était plus rentable d’offrir la gratuité avec de la publicité que d’en faire un site payant.
· L’engouement écologique fait que le papier encré devient suspect, déchet à recycler, alors que l’écran plat dure des années et consomme beaucoup moins d’énergie. L’archivage des articles est plus facile sur le net que le monceau de paperolles classées en cartons qui encombraient il y a peu les couloirs et les réserves. Je ne suis plus abonné au Monde-papier depuis plus de 5 ans.
Le modèle du « journaliste » devra donc changer. Et à vitesse grand V, s’il ne veut pas devenir le sidérurgiste des années à venir. Fini le statut d’exception, la « signature » d’intellectuel-à-la-française. Seuls les groupes de média auront les moyens de financer une équipe de salariés bien formés pour faire des reportages, être envoyés spéciaux, offrir des réflexions de qualité. Les coûts seront partagés avec le net, la radio, la télé. Le reportage devra justifier d’un plan de financement, le journaliste devra écrire et tourner des vidéos, interroger des témoins et effectuer la recherche documentaire pour étoffer sa pensée. Les faits bruts ne suffiront plus – ils sont gratuits. L’idéologie ne rassemble déjà que des convaincus – de moins en moins. La seule valeur ajoutée sera dans la sélection des informations, leur vérification par recoupement, le recul propre au savoir maîtrisé, le décryptage : c’est un « nouveau » journalisme qui devrait voir le jour. Le seul qui, d’ailleurs, m’intéresse depuis des années.
Mais attention : la « marque » ne suffira pas. ‘Le Monde’ devenant monde.fr, ne sera pas investi sui generis d’une autorité quelconque. Il devra faire ses preuves, être confronté aux magazines de réflexion et à la presse étrangère sur le net. Les générations jeunes se moquent des vieilles « marques » et de nouvelles – parfaitement inconnues il y a quelques années – s’imposent sans problème : Yahoo, Google, Rue89, voire des blogs comme Versac…
Pour ma part, je capte les informations à la radio : 7 à 10 mn pour savoir l’essentiel, sans passer une heure à décortiquer le bavardage journalistique, le collage d’étiquettes partisanes et « l’engagement » moral ou politique de la signature :
· La presse française a ceci de particulier, par rapport à la presse anglosaxonne par exemple, de commencer l’article en remontant aux calendes grecques, pour ne livrer l’information du jour qu’en milieu de texte, voire à la fin. Ce travers est moins marqué aujourd’hui, mais il a découragé nombre de lecteurs, même lettrés, dont moi-même.
· La presse française prend trop souvent parti dans ses titres, ses chapô et ses introductions et conclusions, contrairement à la neutralité affichée d’autres presses européennes, soucieuses de présenter divers points de vue. Cette vision est colorée soit politiquement – de façon outrancièrement partisane - , soit socialement – avec ce moralisme de « bon ton » qui empoisonne nombre d’organes de presse tels ‘Le Point’, ‘Le Monde’ ou ‘Le Nouvel Observateur’. Paradoxalement, ce sont des journaux qui font de la dérision ouverte qui gagnent des lecteurs : ‘Le Canard Enchaîné’, ‘Marianne’.
· La presse française adore « l’éditorial », qui agit comme un drapeau pour rassembler les partisans mobilisés, dans cette espèce de guerre civile permanente qu’est la soi-disant « démocratie » à la française. Vieux reste de la Ligue catholique, vieux reste du stalinisme triomphant, vieux reste du gauchisme moral des années post-68 ? Rien n’est plus ringard et agaçant que cette moraline qui sans cesse enduit n’importe quel article, sur n’importe quelle information : “voyez comme je suis de gauche ! l’Universel parle par ma bouche ! je pense comme vous !”. Que l’air paraît plus vif, moins pollué, dans la presse anglaise ou allemande ! Ou sur le net…
Lorsqu’il m’arrive d’ouvrir un ‘Monde’-papier, ma pratique est la suivante :
· Je zappe tout de suite la page de garde, sans aucun intérêt à mes yeux : les gros titres sont orientés, le dessin humoristique souvent confus, la photo couleur racoleuse.
· Je ne lis jamais l’éditorial en colonne de gauche
· Mais j’apprécie souvent l’Analyse page 2, que je lis toujours, plus rarement la Chronique en bas de page
· Les 8 à 10 pages suivantes des rubriques International, Europe et France ne font l’objet que d’un survol ; il est rare que la radio n’ait pas déjà donné l’essentiel, le texte des articles n’étant (pas toujours) qu’un délayage avec plein de conditionnels et de supputations sans utilité. Le blabla sur ce que disent les politiciens étant particulièrement sans consistance : la radio suffit bien !
· Par intérêt professionnel, je regarde plus attentivement les pages Economie, mais elles m’apportent peu, le tout étant trop souvent évalué à l’aune de « l’Etat ». Les textes les plus incisifs, offrant un « éclairage » documenté et argumenté sont anglosaxons, repris de Breakingviews… un site en ligne !
· Enfin arrivent les pages Décryptage, qui sont à mon avis le seul intérêt du journal avec les pages Enquête.
· Les pages Débats sont très inégales, à se demander s’il y a une ligne éditoriale ou si le « naming » est la seule. Comme si une signature « d’autorité » suffisait à l’intérêt du contenu !
· Le Livre du jour est souvent pertinent. La page du Médiateur n’intéresse que ceux qui sont attachés sentimentalement à leur vieux quotidien. Les Rectificatifs partent d’une bonne intention mais laissent la désagréable impression que le courant est mal maîtrisé, l’info mal contrôlée, le jugement trop hâtif.
· Toutes les rubriques antiques sont zappées aussitôt :
o Le Courrier des lecteurs n’a pas la réactivité ni la qualité qu’on trouve sur internet.
o Les Disparitions sont plus pour les archives que pour une lecture au fil du quotidien.
o Le Carnet ne ravit que les quelques germanopratins ou les grandes familles de la bourgeoisie de province – le Ghetto Français en bref - je ne le regarde jamais.
· Culture et Vous est inégal, beaucoup d’hyper-contemporain et de snobisme ‘ministère de la Culture’, il faut aimer. Les critiques cinéma-arts-théâtre survalorisent souvent la moindre production d’un pays exotique ou les états d’âme intellos franco-français, sans que jamais le public ne les suive… D’autres sont plus humbles, il y a des découvertes qui donnent envie. Le « Et Vous » (très développé dans le Financial Times) a un aspect pratique séduisant.
· Je regarde parfois la carte Météo, je ferai peut-être un jour les mots croisés. N’ayant pas la télé, la page Ecrans ne retient pas mon regard. Ni la rubrique Sports : mieux vaut la télé pour qui se passionne. Mais il paraît que c’est une demande…
· En revanche, l’analyse de dernière page est souvent de bonne qualité. Eric Le Boucher présente par exemple l’économie de façon originale. Il y a de bons journalistes, au Monde. Le Billet, qui peut être vif et drôle, serait nettement mieux en première page, au lieu du fatras actuel.
Ce n’est bien sûr que mon propre regard et ma propre pratique ; mais elle en dit beaucoup sur ce qui m’intéresse dans un journal : l’analyse, le recul, la profondeur, l’humour. Le reste ne fait qu’encombrer la vue et les mains.
“Cours, camarade ! Le Vieux Monde est derrière toi !”
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 02 mars à 13:56
Très bon titre. C'est le problème principal des archivistes, les supports numériques de l'information ayant une durée de vie très courte. Actuellement seule technique accessible et durable c'est la gravure au laser de l'information dans des blocs de verre. Sinon dans deux mille ans, ils retrouveront les pyramides et penseront que notre civilisation c'est volatilisée avec les batisseurs de cathédrale... Thierry