L’euphorie boursière du 27 octobre n’aura duré qu’une journée. Dès le lendemain, c’était la douche froide. Les marchés financiers dévoilaient le peu de confiance que leur inspirait l’accord européen en exigeant un taux d’intérêt de 6,06 % pour les obligations d’Etat italiennes nouvellement émises. Trois jours plus tard, la douche devenait glacée avec l’annonce de l’organisation d’un référendum en Grèce sur l’acceptation ou non du nouvel accord européen. Rien n’effraie plus les marchés financiers que la démocratie.
Chercher à « rassurer » les marchés, cela ne marche pas. Les opérateurs financiers ont de plus en plus conscience que la politique de transfert des dettes privées – notamment celles des banques – aux dettes publiques, pour faire payer l’addition aux salariats européens, se heurte à quatre limites indépassables et cela les affole.
Une limite quantitative, d’abord. L’effet levier censé démultiplier la puissance de feu du Fonds européen de stabilité financière (FESF) ne rassure pas vraiment les marchés : si ce Fonds garantit 25 % de leurs créances, qui garantira les 75 % restant ?
Une limite économique, ensuite. Les plans d’austérité imposés à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal les enfoncent dans la récession. L’austérité généralisée à toute l’Union européenne généralisera la récession et rendra illusoire tout recul des dettes publiques.
Une limite politique, ensuite. La démocratie politique, même confinée par les institutions européennes, finit toujours par resurgir : annonce d’un référendum grec, vote du Parlement allemand, décision du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, votes des parlements finlandais ou slovaque…
Une limite sociale, enfin. La Grèce est paralysée par les grèves. La généralisation des plans d’austérité à toute l’Europe ne pourra que généraliser la lutte contre ces plans. Les mobilisations syndicales grecques, espagnoles, portugaises, italiennes, celles des « indignés », n’en sont que les prémisses.
Chercher à « rassurer » les marchés n’est pas souhaitable. Même s’il était possible de rassurer les marchés, ce ne serait pas souhaitable tant le prix à payer serait exorbitant.
Le coût social tout d’abord. Nul ne voit la fin du chômage et de la misère dans les pays sous le joug de plans d’austérité destinés à réduire les déficits publics pour rassurer la finance.
Le coût démocratique, ensuite. La mise sous tutelle permanente de la Grèce par la trop fameuse troïka est inacceptable. « La gouvernance européenne », le « fédéralisme » vidé de tout contenu démocratique, la « règle d’or » que veulent nous imposer les dirigeants européens signifieraient un nouveau recul, considérable, de la démocratie politique en Europe.
Briser la capacité de nuire des marchés financiers est la seule voie réaliste. La domination de l’Union européenne par les marchés financiers a été construite patiemment par les traités européens, notamment par trois articles. L’article 63 instaure la libre circulation des capitaux, laissant ainsi l’UE sans protection contre la spéculation des capitaux venus du monde entier. L’article 121 § 1 interdit à la Banque centrale européenne de prêter aux Etats-membres et d’acquérir directement des titres de la dette publique de ces Etats. L’article 125 §1 interdit à l’Union de prêter à un Etat-membre ou à un Etat-membre de prêter à un autre Etat-membre. En l’absence de tout budget fédéral européen digne de ce nom, un Etat n’a donc plus d’autre solution que de faire appel aux marchés financiers lorsqu’il lui est nécessaire d’emprunter.
Voilà la source de la toute-puissance des marchés financiers. Ce n’est qu’une construction politique. Il est donc possible d’y mettre fin en abrogeant ces trois articles et d’avancer avec audace, en s’appuyant sur la mobilisation des peuples européens, dans une toute autre direction : celle de la construction d’une Union européenne réellement fédérale et démocratique.
Et si on essayait la démocratie ? L’annonce d’un référendum grec sème la panique dans la finance dont la domination serait réduite à néant si tous les peuples européens choisissaient de décider souverainement, comme le droit international les y autorise, de rembourser ou d’annuler leurs dettes publiques. Pour y parvenir, un gouvernement de gauche devrait décréter un moratoire de la dette publique et organiser un audit public de cette dette, suivi d’un référendum afin de décider quelle part de la part de la dette est légitime et quelle part ne l’est pas. La part de la dette qui trouve son origine dans la baisse des impôts des riches et des sociétés ou dans le financement sans contrôle des banques pourrait tout à fait, par exemple, être considérée comme illégitime. La dette légitime serait remboursée, la dette illégitime ne le serait pas.
« Au lieu de rassurer les marchés, essayons la démocratie » – LeMonde.fr.