Institut Dupéteau

Publié le 28 février 2008 par Jlhuss


Sonde : instrument de navigation simplissime composé de deux parties : un plomb suifé pour recueillir des indices sur la nature du fond, un filin étalonné pour mesurer la profondeur de l’eau. Pendant des siècles, il a permis aux navigateurs d’éviter brisants et bancs de sables. L’apparition du sonar et autres engins électroniques l’a envoyé rejoindre, au musée des antiquités navales, les rostres des galères romaines et les astrolabes des conquistadors (enfin celles que Cortès ou Pizarre n’avaient pas laissé tomber à l’eau quand :« Penchés à l’avant des blanches caravelles,Ils regardaient monter, du fond de l’océan,Des étoiles nouvelles. » )

Mais si l’outil a disparu, l’opération est restée. Seule différence : on ne s’interroge plus aujourd’hui sur les secrets des océans, on prétend scruter les mystères du fonctionnement des sociétés humaines. Les boscos et gabiers de jadis, sont donc remplacés par des spécialistes connus sous le nom de sondeurs. Comme les phoques leurs colonies, les sondeurs et les sondeuses forment des troupeaux nommés « Instituts ». Ceux ci régentés, le plus souvent, par un mâle dominant appelé Directeur. De façon très exceptionnelle, ce rôle peut être tenu par une femelle. On parle alors de Directrice.

Semblables à leurs homologues pinnipèdes qui, selon les saisons, se nourrissent de harengs, de sardines, de maquereaux ou de morues, les sondeurs ont une alimentation variée. Les entreprises de grande distribution, les industriels soucieux d’innovation, les diverses agences gouvernementales et les collectivités locales peu confiantes en elles-mêmes en fournissent l’essentiel

Cependant, le plat préféré du sondeur reste l’homme politique (qui peut d’ailleurs être une femme) candidat à un quelconque mandat. En effet, capitaines plus ou moins courageux, la plupart des politiciens ont fini par se persuader qu’il leur était impossible de mener leur barque à bon port sans recourir aux sondages dont ils espèrent qu’ils leur permettront d’éviter l’écueil de l’impopularité ou les sables de l’indifférence (1).

La période des élections est donc, pour les sondeurs, ce qu’est la remontée des saumons pour les phoques de la baie de Vancouver : l’époque de l’abondance. Pas de jour où l’on n’apprenne que Monsieur X a perdu six points pendant que Madame Y en gagnait quatre à moins que ce ne soit le contraire. Ces informations, outre qu’elles entretiennent le suspense, permettent aux Directeurs et Directrices des Instituts de se livrer à de savantes interprétations et de prédire les résultats des votes avec un niveau de fiabilité que, de référendums en législatives, chacun est à même d’apprécier.

Ces entreprises, doivent être rentables puisqu’une de leurs managers (2) est aujourd’hui, à la tête du MEDEF. Elles ont pourtant un défaut commun : leur manque d’imagination. IFOP, IPSOS, COVIPOF, choisir systématiquement de se nommer d’après son sigle, ce n’est guère commercial. Une fois de plus, en décidant d’appeler leur principal institut de sondages Gallup d’après le patronyme de son fondateur, les Américains nous montrent la voie. N’hésitons pas à les suivre. J’ai d’ailleurs un nom à proposer. Il s’agit de celui du Capitaine Dupéteau, précurseur génial quoique méconnu en matières de statistiques et de prévisions. Ici je vois des sourcils se froncer : Dupéteau ! Mèkicéçuilà?

La réponse se trouve dans un des ouvrages si instructifs de Monsieur Alphonse Allais, le sympathique auteur de la Barbe et autres ouvrages mondialement connus. Laissons parler ce fin connaisseur de la population du Havre (Seine Inférieure) :

« J’ai bien connu le capitaine Dupéteau. Un vieux loup de mer qui pouvait prédire le temps de manière infaillible. Avant d’entreprendre, dans la campagne normande, une de ces excursions où j’ai accumulé les informations pour un futur ouvrage dont je tais le titre (crainte des plagiaires), je ne manquais jamais de l’interroger :- Quel temps fera-t-il si le vent vient d’amont, Père Dupéteau ?A quoi, le vieux marin répondait avec une rude franchise- Si y vient d’amont, y pourrait ben pleuvoir.- Et s’il vient d’aval, Père Dupéteau- Si y vient d’aval, ce s’rait point signe de sec. » (3)

Amont : cinquante pour cent ! Aval : cinquante pour cent. Marge d’erreur : zéro ! Qu’attend la SOFRES pour changer de nom ?

Chambolle

(1) Je sais parfaitement que ces métaphores sont usées jusqu’à la corde et même au-delà, mais je ne résiste pas à rendre cet hommage à Monsieur de Cléron-Tonaille.

(2) Ce terme, neutre en grammaire, est plus facile à utiliser ici que « patron » dont l’accord aurait posé un problème insoluble.

(3) Je cite de mémoire, donc très approximativement.