suite /Source: pour comprendre le bombardement de Bouaké en cote d'ivoire.
Les mercenaires biélorusses escamotés
Chauffées à blanc par Blé Goudé, le «
général de la rue » qui s'est installé devant les caméras de la télévision nationale, des dizaines de milliers de personnes déferlent dans les rues d'Abidjan à la nouvelle de la destruction de leur aviation nationale. Posté sur le toit de son ambassade, Gildas Le Lidec avoue n'avoir jamais vu une foule aussi nombreuse. Le soir, des hélicoptères français tirent à balles réelles sur la foule qui tente de franchir les deux ponts sur la lagune pour attaquer le Bima et le quartier français. Les renforts venant de Bouaké n'arrivent à
Abidjan que le matin du 8 novembre après avoir forcé sur sa route plusieurs barrages, tuant sur leur passage plusieurs «
patriotes». Le même scénario se reproduit pour la colonne qui vient de l'ouest du pays.
Dans les jours suivants, un pont aérien permet l'évacuation de milliers de Français. Il y aura beaucoup de destructions matérielles, mais aucun mort, ni blessé sérieux parmi les expatriés, seulement trois cas de viol faisant l'objet d'une plainte. Sous d'autres cieux africains, de tels événements se seraient terminés dans un bain de sang. Côté ivoirien, on dénombre une soixantaine de victimes, pour la plupart civiles.
Pendant qu'Abidjan est à feu et à sang, les pilotes biélorusses et la dizaine de mécaniciens qui les accompagnent ont regagné Abidjan. Ils sont arrêtés par des gendarmes et remis pendant quatre jours à des officiers des forces spéciales de crainte que les pandores ne posent de mauvaises questions. Depuis, le compte-rendu de leurs auditions a été enseveli sous le secret-défense où elles reposent toujours.
A la fin de cette longue «
garde à vue », on les prie de prendre la poudre d'escampette. Direction, le Togo où Robert Montoya, un ex-gendarme élyséen sous Mitterrand, reconverti dans «
l'import-export », est chargé de les réceptionner. C'est lui qui a livré à Gbagbo les deux Sukhoï et leurs équipages, au vu et au su des militaires français stationnés à Lomé, la capitale togolaise. C'est donc un retour à l'envoyeur. Serviteur zélé, Montoya dépêche sa secrétaire récupérer au poste frontière le minibus et son contenu de Biélorusses. Mais François Boko, alors ministre de l'Intérieur du gouvernement togolais, ne l'entend pas de cette oreille. Il expliquera aux juges du TAP qu'il a tenté de réexpédier les mercenaires slaves aux autorités françaises qui, pendant dix jours, refuseront obstinément de les arrêter.
Michèle Alliot-Marie a affirmé que la France n'avait pas, à l'époque, d'informations suffisamment précises pour exiger de Boko qu'il garde prisonniers des mercenaires : «
Les analyses et les recoupements, nous ne les avons eus qu'après, explique benoîtement la ministre de la Défense de Chirac au juge chargé de l'enquête
, et ils n'ont conduit qu'à des présomptions que des pilotes pouvaient peut-être se trouver dans ce groupe. » Pourtant, le ministre de l'Intérieur togolais se souvient d'avoir remis les photocopies des passeports des deux pilotes au représentant local de la DGSE dès leur arrestation au poste frontière :
« Dix jours après, il a dit qu'il n'en voulait pas parce que Paris n'en voulait pas. » Pour les mercenaires slaves, c'est la fin de l'aventure ivoirienne. Ils sont embarqués dans un avion à destination de
Moscou et s'évanouiront dans la nature.
Pourquoi a-t-on laissé ainsi filer les auteurs de neuf homicides commis contre des ressortissants français? Les arguments avancés par Paris pour justifier ce pataquès judiciaire sont d'une affligeante pauvreté.
- La France ne connaissait pas l'identité des pilotes ? « L'équipage de l'avion Sukhoï n'a pas été identifié. Ses deux membres se sont enfuis », ose même répondre Michelle Alliot-Marie en réponse à une question d'un député UMP à l'Assemblée nationale fin 2004. Le dossier d'instruction regorge pourtant de photos et de films sur leur activité du 2 (date de leur arrivée) au 6 novembre sur l'aéroport de Yamoussoukro et dans le ciel ivoirien. Une vraie cinémathèque. Quelques témoignages : « Deux équipes ont été employées 24 heures sur 24 pour surveiller le tarmac dès l'arrivée des avions. Tout le personnel de type caucasien a été surveillé et photographié. Toutes les opérations aussi. Les équipages des Sukhoï ont été identifiés », affirme un militaire, Marc Beck, devant la juge. Un autre soldat, Xavier Alibaud, a établi neuf bulletins d'information sur l'activité des mercenaires à Yamoussoukro entre le 2 et le 6 novembre : «Ordre avait été donné de concentrer notre action de renseignement sur ces appareils, déclare-t-il. Cela devenait une priorité. Nous disposions de tout le matériel adéquat. Deux sous-dossiers vidéo contiennent les équipages à leur retour du bombardement du camp français. Je suis affirmatif sur ce point. Les avions n'étaient pas encore revenus à Yamoussoukro que nous savions déjà qu'ils avaient bombardé Bouaké.» Cette dernière remarque contredit les affirmations de certains membres de la hiérarchie militaire qui soutiennent avoir été informés avec retard de l'attaque du camp français. Or, la radio interne de l'opération Licorne a donné l'information en live.
- Le général Bentégeat a transmis l'ordre de détruire les Sukhoï mais «l'ordre n'a pas été donné d'aller récupérer les pilotes après qu'ils se sont posés », explique le colonel Destremau, patron du régiment bombardé. «Nous n'avons reçu aucune instruction pour récupérer les boîtes noires », ajoute-t-il. Dans une note adressée au commissaire Robin, patron de la brigade criminelle, Bentégeat écrit « qu'à sa connaissance, les Sukhoï n'avaient pas de boîtes noires. En tout cas, elles n'ont pas été récupérées ».
- La France n'avait pas de moyens légaux de les inculper, a soutenu Alliot-Marie. Paris disposait pourtant d'un triple arsenal pour les traduire en justice. D'abord la loi Pelchat, datant du 14 avril 2003, qui réprime l'activité des mercenaires. Ensuite, l'article 65 du code de justice militaire prévoyant que sont justiciables du tribunal aux Armées tous auteurs ou complices d'une infraction contre les forces armées françaises. Enfin, l'article 113-7 du code pénal indique que la loi pénale française est applicable à tout crime commis par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française. Quant à l'argument avancé un moment par Alliot-Marie de créer une crise diplomatique avec la Biélorussie, il touche le fond du ridicule.( suite )