C'était un jour de mai de l'an 1990. Une jeune femme désespérée faisait face à une déchirure totale, à la solitude, au dénuement, et traversait une des pires crises de sa vie. Suicidaire, chaque nuit était un combat face aux démons qui lui demandaient de traverser la mince frontière entre notre monde et cet espace invisible peuplé de fantômes où la tentation de trouver enfin le repos de l'âme tourbillonnait en spirales étouffantes. Une nuit de crise comme une autre, en apparence, où l'instinct de survie fait surface. Un drap arraché servira de support à des doigts malhabiles qui écrasent la peinture et la mélange à de la terre sablonneuse griffée au jardin au milieu de la nuit. Haletante et en larmes je peins pour la première fois de ma vie un visage surgi du néant au milieu de fleurs printanières, je sculpte dans la matière un regard vert et calme qui semble prendre vie et les lèvres murmurent :
"Et Gaïa ouvrait ses paupières au ventre secret de la terre..."
Je ne sais pas qui est Gaïa, je l'apprendrai plus tard, au hasard d'une lecture...le nom sacré de la Terre-Mère.
Ce jour là une porte s'est ouverte et je suis sortie de l'enfer. Mon regard s'est ouvert sur mon espace secret, mon inconnu non exploré, mon autre rive. C'est ainsi que l'artiste est née en moi, une certaine nuit de mai 1990.
Ghislaine Segal