Dernièrement, je me suis rendue à l'Opéra National de Lorraine pour assister à la soirée "Stravinsky".
Au programme : Mariage, de Tero Saarinen, et Noces, de Ginette Laurin.L'ambiance de l'opéra, cet écrin rouge et or à l'ambiance feutrée, m'est familière. Depuis que je suis petite, mes parents m'y emmènent régulièrement, si bien que je suis une habituée et une passionné de l'atmosphère de divin enchantement qui y règne, l'orchestre qui s'échauffe, le carillon qui appelle les spectateurs... Par ailleurs, ayant l'avantage d'avoir eu maintes fois accès aux coulisses, je connais également la palpitation toute particulière qui règne parmi les artistes qui, pétris de trac, s'apprêtent à entrer en scène, et à entamer leur propre mise à nue.
C'est donc dans cette relative familiarité que j'ai pu redécouvrir Mariage.
Pour être tout à fait franche, j'affectionne particulièrement la version graphique qu'en a faite Bronislava Nijinska et ai, en revanche, bien du mal avec le chorégraphe finlandais. Sa gestuelle n'est pas une danse qui me transcende particulièrement. Non pas que je sois réfractaire à toute forme d'art contemporain (je crois bien l'avoir prouvé précédemment), mais les mouvements qu'il offre ne sont pas toujours ceux qui me touchent le plus. J'aime les lents aléas du corps, les ondulations languissantes, tout comme les hachures des bras, des jambes, des sauts.
Toutefois, j'avoue que ce ballet-ci est, à tout prendre, celui qui m'indiffère le moins parmi ceux qu'il a composés. Déjà, la présence du chœur sur scène est une idée intéressante et, pour avoir pu examiner de près les longs costumes noirs des choristes, il est nécessaire de signaler que ces habits ouvragés confèrent une saveur particulière à la pièce.
L'atmosphère est oppressante, empreinte de froideur qu'attise la relative étrangeté de Noces, superbe litanie d'un Igor Stravinsky au sommet de son art. En effet, le ballet en lui-même n'est que récit des affres d'un mariage forcé en Russie. Les danseurs expriment par leurs corps transis les peines cruelles d'un devoir, d'un manque d'amour qui doit pourtant les étreindre leur vie durant. La toute fin de la représentation, le malheureux couple, contraint et forcé à la fois par les parents et les marieurs implacables ainsi que par les invités des Noces tout de blanc vêtus, marche avec difficulté collé l'un à l'autre, se supportant mutuellement. La mariée porte une couronne argentée, rappel de celle des mariages orthodoxes , tandis que son nouvel époux est vêtu d'une mante, également pouvant être rapproché des parures de mariages anciennes.
La mariée face à son destin...
Toutefois, en ce qui concerne le Sacre du Printemps...
Je serais bien plus intraitable.
Plus d'une centaine de versions de Sacre (dont je reparlerai très prochainement), a vu le jour. C'est en quelque sorte un parcours, un point obligé pour tout chorégraphe souhaitant asseoir ou assouvir une envie de position dominante au sein du monde de la danse.
Mais je crois que c'est avant tout un immense défi, qui requiert humilité, entente avec les danseurs, travail acharné, remise en question, et surtout, créativité et immense maturité.
Lorsque l'on contemple les versions superbes, obsédantes, qui en ont été faites (l'originale, celle de Bausch et de Béjart), on se rend compte qu'il s'agit d'innover tout en respectant l'ardeur divine et extatique qui lui a été conférée.
Or, je n'ai rien perçu de tel dans la version de la canadienne Ginette Laurin.
Nul Élu ni Élue, mais quelques figures récurrentes, une communautés faite d'entités distinctes, particulières, qui tout à tour effectuent leurs propres enchaînements... et une cellule centrale : le couple. Mais, mais, mais... la tension sexuelle n'est pas présente, bien trop vulgarisée par des strings, des sous-vêtement de couleur chair, puis des vêtement lamés dorés (l'érotisme, c'est avant tout l'art de la suggestion !) qui font office de costumes. Les scènes d'orgies ou d'unions n'ont pas, à mon sens, un côté sensuel ni déroutant ; elles n'ont pas de crudité, pas plus que de pudeur ; elles sont "tièdes". Ni glaciales, ni brûlantes.
Le décor, esthétiquement joli, est tourné vers l'élévation, ce qui est à mon humble avis un contre-sens par rapport aux prémices de ce qu'est ce sacre : la Divinité n'est pas forcément toujours synonyme d'élévation, mais bien parfois de férocité et de retour à la Terre. La danse est quant à elle une ébauche, et a pour goût l'inachevé, de l'adoration d'un Soleil hypothétique, de la fécondité... Quelques rappels à l'œuvre de Nijinski sont à signaler, avec reprises de postures traditionnelles du chorégraphe.
Saluons tout de même la performance des danseurs, qui ont su habiter l'espace, et inoculer une énergie propre à la partition musicale qui, sinon, dévorerait littéralement la danse. Il faut également féliciter le chœur ainsi que les musiciens et le chef d'orchestre de la soirée, Tito Muñoz.
Certes, cette position et ce point de vue qui sont les miens sont purement contestables.Je juge néanmoins en tant que spectatrice ayant déjà des référents en la matière, et je ressors de la soirée avec une impression d'inachevé, d'inaccompli.
L'extase n'a pas été pleine. Néanmoins, reste l'émotion, et le plaisir, reste le charme, là où j'aurais aimé voir une libation. Ce n'est qu'un potentiel, quoi que... peut-être que l'accomplissement aurait été synonyme de dissolution d'une passion...?