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Un texte de José LE MOIGNE .

Par Ananda

LA DAME DE WORMS

Worms n’est pas la plus connue des petites villes de la vallée du Rhin. Certains parleront de son vin, d’autres se souviendront qu’elle possède la synagogue la plus ancienne d’Europe ou que Martin Luther y fut mis au ban de l’empire, mais bien peu évoqueront Frau Welt — la Dame du monde — dont l’étrange statue orne la cathédrale à double chœur,  telle que la chroniqua, vers 1260, un poète du nom de Konrad von Würzberg. Il n’y a rien là de vraiment étonnant. Julien, lui-même, quoique fervent médiéviste, l’aurait sans doute à jamais ignorée s’il ne l’avait trouvée, coincée entre La cantilène de Sainte Eulalie et une étude sur L’art funéraire dans le nord du Hainaut, dans un traité savant qu’il venait d’acquérir. 

   N’est-ce pas, ce n’est pas de savoir que son unique représentation se trouve sur une des façades de la cathédrale de Worms qui vous la rendra plus proche ? Aussi, sans remords, écoutons la légende telle que Julien la racontait.

   Imaginez un gentil damoiseau, droit sorti du Roman de la rose, dont la seule préoccupation est la recherche de la gloire et des plaisirs du monde. Un jour, alors qu’il se trouve dans sa chambre où il a passé la journée à lire des histoires d’amour, il est surpris par l’arrivée soudaine de la plus belle dame du monde. Son apparence est à ce point rayonnante que la pièce entière s’en trouve illuminée. Elle dit qu’on l’appelle Welt, le monde au féminin, et qu’elle est celle à qui le damoiseau s’est de longtemps voué. Amour courtois oblige, le moment est venu de lui offrir la récompense que sa constance lui a fait mériter : la vision de son dos. Or, ce côté de son corps, que le damoiseau s’attendait à découvrir parfait, est couvert de serpent, de vers, de crapauds et de vipères qui lui dévorent la chair et la rongent jusqu’aux os. De plus, le tout répand une odeur épouvantable et, au moment où elle disparaît, son visage l’instant d’avant si rayonnant, est couleur de cendre, hideux et grimaçant 

  Pour couronner le tout, des allées luxuriantes du beau jardin d’amour d’où montaient tout à l’heure les plus suaves des parfums, flotte à présent un infect remugle qui, outre la roseraie, corrompt jusqu’aux parterres semés de marguerites.

   Le damoiseau sur-le-champ invoque Saint Michel, chie dans ses chausses bicolores, emmêle ses poulaines dans sa fiévreuse hâte, puis file incontinent remettre ses péchés dans le plus proche des monastères.

   Sa décision est prise. Il va renoncer au monde, prendre la croix, et se mettre au service du Christ.

   Peut-être ainsi sauvera-t-il son âme.

José Le Moigne


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