Magazine Journal intime

Exit

Par Eric Mccomber
Un membre très proche de ma famille me téléphone. Il n'était pas au courant des événements que je m'apprête à tenir à Montréal. Je lui donne les dates en lui disant de voir sur mon blogue pour les coordonnées. Il ne connaissait pas Roule, Rosie… 
— Tape ericmccomber.com.
J'entre dans un café que j'ai fréquenté trois fois par semaine pendant vingt ans. La tenancière fait « allô. » Je vais m'asseoir au fond. Lorsqu'elle vient me porter ma tasse, elle se gratte la tempe, « t'étais tu en vacances ? ».
— Non, j'habite en France, pis avant, j'ai vécu dans ma tente, à vélo… dinz'Europes.
— Ah ouain. Me semblait que ch't'avais pas vu depuis une couple de semaines… 
— Quatre ans et deux mois.
— Je t'apporte le menu ?
Partout où porte mon regard, partout où je tends l'oreille, gronde le message, tonitruant comme le fracas d'un torrent, le tonnerre de silence qui estompe les soi-disants rapports humains. Je m'en suis un peu fait croire, on dirait, encore, et malgré les longues montées solitaires dans les Alpes ou les Carpates, malgré les jours initiatiques à Bialowiesza, malgré les semaines à méditer en blues ouvert au sommet de la Dune, malgré les pluies, les grêles, les neiges, les casses, les crevaisons, les coups de mou, les décrochages, les jours-sans, les glorieuses, les vols, les vents, les cols, les accidents déterminants, les coups de chance, les crépuscules kaléidoscopiques, les amitiés inouïes, les aurores enchanteresses, les baisers furieux, les adieux minables, les retrouvailles incendiaires, les bassesses meurtrières, malgré les eaux sous les ponts, les trotteuses usées, les pieds ensablés, les mains crevassées, les stries des éraflures, les crevasses des enflures, le halo des éblouissements, le poids des éboulements, le râle des enroulements… Malgré la caresse du bleu, la fraîcheur du noir, la brûlure du rouge et les délices du vert, je dois encore remettre sur le métier cette plaie vieille de la nuit des gamètes et tenter une nouvelle fois d'intégrer cette notion prodigieusement indigeste, mise en mots par Ionesco avec tant d'éloquence : À quoi bon tout ?
Seule arme contre cette affreuse angoisse, ce gros chasseur balafré d'Hemingway, qui nous prévenait dès les années trente : La première chose, c'est durer.© Éric McComber

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