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La 7e édition du festival Strasbourg-Méditerranée, du 26 novembre au 10 décembre, offre une belle occasion de s’interroger sur les différentes formes d’exils. Elle donne toute sa vitalité à un débat public incontournable.
La Méditerranée est une réalité paradoxale : elle est là depuis toujours et pourtant à venir encore. Et dans cette tension entre l’histoire singulière des nations qui la constituent et l’émergence progressive d’une affirmation identitaire commune, se construit un territoire appelé à jouer un rôle géopolitique considérable. Si la Méditerranée politique n’existe pas, si les pays de l’aire Méditerranée économique et juridique rencontrent des problèmes croissants dans leur désir d’intégration à l’espace européen, la Méditerranée culturelle et artistique est des plus visibles : circulation des artistes et des oeuvres, coopérations transnationales entre structures, manifestations artistiques innombrables. Imaginez la Méditerranée à Strasbourg : les berges de l’Ill transformées en grève, les pigeons en mouettes, les footballeurs en maîtres nageurs… C’est, au final, le défi de la réflexion – et du dépaysement – proposé par le festival Strasbourg-Méditerranée. Depuis 1999, il orchestre dans différents lieux culturels un programme ambitieux de théâtre, de concerts, de projections, de rencontres et de débats : « Le festival est venu agréger tous ses acteurs, toutes ses actions, pour leur donner un espace commun, plus de force et de visibilité. Une vision politique, dès lors, qui a fini par se structurer au fil des éditions », indique Salah Oudahar, directeur artistique du festival. Car, abordé ici par la musique, la danse, le débat, des expositions, Exils – titre et thématique de cette septième édition – s’entend évidemment aussi comme une lecture et interprétation du monde contemporain, dans ses plus douloureuses contradictions, ses plus violentes fractures. « L’exil sous toutes ses formes, c’est un vaste et important sujet, et une gageure ambitieuse que de le poser. Nous avons suggéré aux différents acteurs de creuser plusieurs pistes : la question des femmes en exil, les apports de l’immigration, mais aussi la question de l’exil et des droits de l’homme », continue Salah Oudahar. « Nous avons généré des initiatives dans les quartiers de la ville et suscité des partenariats entre les structures afin de renforcer ces actions culturelles et artistiques. Le projet de plusieurs centres socioculturels pour la prochaine édition en est un bon exemple. Nous avons renforcé notre ancrage dans la cité grâce à notre maillage », poursuit Muharren Koç, président de Stras-Med. L’événement régional a gagné en popularité, attirant jusqu’à 25 000 personnes lors de la dernière édition, en 2009, venues pour se retrouver, découvrir et témoigner des liens culturels et sociaux qui unissent l’Alsace avec le Bassin méditerranéen. De fait, Stras-Med est le seul festival alsacien du genre à proposer matière à réflexion et moments de fête. Un milieu associatif extrêmement dense, un réseau d’acteurs locaux et régionaux très riches, des institutions culturelles, des comédiens, des chercheurs, des écrivains, des universitaires… irriguent sa programmation.
Le vernissage de l’exposition « Images d’Algérie, de Pierre Bourdieu » et un circuit d’ouverture animé parla fanfare GraïL’oli ouvriront le festival. Suivront près de 96 spectacles – de Sevval Sam à Zebda en passant par Titi Robin, Trio Joubran, Kamel el Harrachi,la Cie Figure Projectde Latif Laâbissi et Sophiatou Kossoko, Nouara Naghouche, Cahina Bari, Farouk Mardam-Bey, Elias Sanbar – et une grande table ronde autour du printemps arabe. Autre temps fort, toute une série d’hommages rendus à différentes personnalités, dont l’action fut déterminante dans le champ de la création et de la réflexion : les oeuvres de Pierre Bourdieu, Mahmoud Darwich, Nazîm Hikmet, Erri De Luca, Yannis Ritsos ou encore Abdellatif Laâbi transcendent le temps et incarnent l’idée de l’engagement dans la vie publique. Et Strasbourg-Méditerranée élargit son champ de vision, multiplie les échanges et les regards, en ayant à l’esprit ce que curiosité et dialogue toujours nous donnent à comprendre : que les malentendus culturels peuvent s’avérer productifs lorsqu’on les considère comme autant d’éléments d’une réflexion qui mutualise et les différences et les points communs. Vision à laquelle les artistes, précisément, ne cessent de nous inciter, et d’enrichir.
Joël Isselé
Festival Strasbourg-Méditerranée, du 26 novembre au 10 décembre, en différents lieux de Strasbourg et sa région.
Tél. 03 88 75 51 17