Le 23 octobre 2011 s'est achevée sur BBC1 une des séries qui aura le plus marqué ma sériephilie britannique : Spooks (MI-5). Après dix saisons de loyaux services, de morts brutales et de paranoïa intense, il était assurément temps de conclure. Non seulement la série n'avait plus la flamboyance sobre des débuts, mais ses recettes désormais trop bien connues avaient même fini par la rendre prévisible, un paradoxe pour une fiction qui avait pu s'enorgueillir d'avoir tant de fois donner le vertige à ses téléspectateur.
Comme un symbole parfaitement adéquat pour boucler un cycle, c'est avec la Russie que Spooks aura renoué pour sa dernière saison. Et si tout au long de ces six épisodes, elle se sera efforcée de proposer une redistribution des cartes, où la Russie ne serait plus ennemie, mais bien l'alliée, c'est pourtant sous le signe de la Guerre Froide, et d'un passé parfois douloureux qu'il faut assumer, qu'elle aura été placée.
Devant cette toile de fond russe, la saison a emprunté un schéma narratif assez proche de celui des précédentes : la construction d'un fil rouge prédominant qui conditionne l'ensemble, auquel se greffent quelques intrigues plus pressantes le temps d'un épisode. La série aura été globalement efficace dans ces deux domaines. Du côté de ces storylines indépendantes, elle aura proposé des intrigues toujours prenantes, globalement solides, dont le principal bémol fut un certain syndrome de déjà-vu. En effet, le parti pris dit "réaliste" ou du moins pessimiste qui fait la marque de fabrique de Spooks donne souvent au téléspectateur toutes les clés pour connaître la voie vers laquelle chacune de ces histoires s'oriente. Cependant, l'arrière goût teinté d'amertume que laissent certaines des conclusions les plus poignantes - le dénouement à Trafalgar Square par exemple - demeure une signature indélibile qui perpétue l'identité de la série.
Parallèlement, marquée par ce turn-over constant de son personnel, cette saison aura également diversement permis de mettre en valeur les personnages entourant le duo principal que forment Harry et Ruth. Comme une sorte d'hommage - volontaire ou non -, leurs histoires ne vont pas être sans réveiller des souvenirs du passé. La nouvelle chef de la section D, Erin Watts, n'aura pas démérité, sans que les scénaristes puissent explorer avec une réelle subtilité la question du carriérisme et du lien avec sa fille ; cette problématique n'étant pas sans rappeler la saison 3 et l'arrivée du couple Adam et Fiona. De son côté, Dimitri aura aussi eu droit à son épisode, avec un dilemme moral qui apparaît comme le faible écho des thèmes du mensonge et du relationnel centraux dans les premières saisons, notamment avec Tom. Pourtant, assez paradoxalement, ce sont ceux que les scénaristes n'auront pas véritablement cherché à faire briller qui s'en tireront le mieux. Présenté de manière excessivement antipathique, Callum aura été un des personnages qui se sera le plus efficacement détaché du carcan de "déjà vu" pour imposer son style au sein de la section D. Mais logiquement, c'est aussi par ses fins tragiques que cette saison 10 aura marqué. Dans une telle série, n'est-ce pas une sorte de consécration que de connaître cette mort brutale, "spooksienne" pourrait-on dire, qui laisse le téléspectateur sans voix ? Avant même le final, Spooks m'aura, une dernière fois, bluffé et fait frémir devant mon petit écran, avec la mort soudaine de Tariq.
Cependant, c'est l'exploration d'un autre personnage qui aura été au coeur de la saison : celle de Harry. La résurgence de lourds secrets de la Guerre Froide offre un nouvel éclairage sur cette figure de l'espion aux facettes multiples, qui est devenue au fil de la série l'âme de Spooks. Cette fois-ci, ce n'est pas aux secrets ou à la raison d'Etat que touche l'histoire, mais bien à l'intime du personnage. Plus que les sacrifices et la culpabilité inhérente qui y est rattachée, je dois avouer que c'est la résolution offerte par le dernier épisode, riche en révélations, qui permet à cette storyline d'acquérir sa vraie dimension. Abandonnant ses accents faussement soap pour révéler un jeu de manipulation insoupçonné, la chute finale est, en dépit d'une mise en scène un peu artificielle, celle qui a posteriori apporte une nouvelle perspective autrement plus intrigante à l'ensemble de la saison. C'est dans un pur parfum Spooks-ien que la série se referme donc, avec un ultime retournement digne de ses grandes heures.
Ce ressenti est d'autant plus fort que tout en concluant le fil rouge, ce dernier épisode nous offre également son lot de drame qui prend au dépourvu, paraissant à la fois évitable et presque logique. Je l'ai dit pour Tariq, et je le redis pour Ruth, mais il est des sorties qui, dans Spooks, sont presque inhérentes à l'esprit de la série. Tout au long de la saison, les scénaristes auront éclairé ce lien, particulier, qui existe entre Ruth et Harry. Entre jeux d'espion et échanges tout en retenue, absorbés par leur job, ils seront restés là l'un pour l'autre jusqu'au bout. Si la fidélité de Ruth à Harry, en dépit de son nouveau travail loin de la section D, lui aura été fatale, elle correspond pleinement au personnage. Le rêve d'une vie ensemble, à la campagne, loin de ces préoccupations géopolitiques, était inaccessible. Si inconsciemment, le téléspectateur pouvait espérer que cette porte de sortie ne se referme pas, alors que chacun semblait désormais prêt à l'emprunter, la relation de Ruth et de Harry était trop intimement liée à ce qu'ils sont, à leur travail, pour envisager cette utopie.
Après quinze jours, il m'est toujours difficile d'apprécier cette dernière saison avec suffisamment de recul. Spooks aura vécu pleinement ses dix années au cours desquelles je ne regrette pas un seul instant de l'avoir accompagné. Elle a considérablement évolué et muté depuis ses débuts, en 2002, jusqu'à cette conclusion en 2011, suivant, en un sens, le cycle de ses protagonistes principaux. Il y a d'abord eu Tom, le mensonge et les rapports difficiles entre vie privée et vie professionnelle ; Adam, d'une arrivée à la James Bond jusqu'à l'abîme de la dépression ; Ros, son flegme, son humour froid, et cette volonté chevillée au corps ; enfin, Lucas et cette douloureuse réadaptation au quotidien après tant d'années dans les geôles russes. A posteriori, à mes yeux nostalgiques, Tom Quinn restera sans aucun doute celui qui personnifiera toujours cette série (son apparition cameo à la fin du dernier épisode étant à ce titre parfaite), et cela autant pour son interprète, que pour l'état d'esprit qui marqua ces premières saisons. Mais une des forces de Spooks aura été de savoir toujours nous impliquer au côté de personnages qu'elle n'aura jamais ménagés.
Bilan : C'est avec beaucoup de soulagement que je peux écrire que Spooks aura été fidèle à elle-même jusqu'au bout. C'est par un épisode de haute volée, concluant avec une justesse presque inattendue, la saison comme la série, qu'elle a tiré sa révérence. Il a offert tout ce que l'on pouvait légitimement attendre. Un ultime retournement de situation, avec une manipulation d'une ampleur insoupçonnée qui éclaire sous un nouveau jour tant de choses. Un drame dans la lignée de l'esprit de la série. Et, surtout des dernières minutes parfaites. Un au revoir d'une sobriété bienvenue qui représente parfaitement la série, tandis que s'égrène sous les yeux de Harry et du téléspectateur tous ces noms d'agents trop tôt disparus. Le quotidien de la section D se poursuit malgré tout, inébranlable...
Au terme de cette dernière review, j'ai juste envie de remercier Spooks, pour ce thriller prenant qu'elle nous aura proposé, pour toutes ces émotions si intenses qu'elle nous aura fait vivre. Chapeau donc pour l'ensemble de son oeuvre, elle restera pour moi, et pour longtemps je pense, l'incarnation de la série moderne d'espionnage !
NOTE : 7/10
La bande-annonce de la saison :