Après cette folle semaine, où la situation grecque a focalisé l'attention, nous sommes tous dans l'attente d'un dénouement a une crise interminable et insupportable dans ce qu'elle révèle de la fragilité de nos sociétés démocratiques.
Toute la semaine, on a entendu les dirigeants européens et les experts nous dire qu'il fallait faire ceci ou cela, pour retrouver ensuite "une situation normale", pour faire "revenir la croissance". Or, il est fort probable que cette crise mondiale, européenne et grecque continue, et pendant fort longtemps. Il est plausible de penser que la crise va durer et que nous ne retrouverons pas la croissance.
Pourquoi? Essentiellement parce que les "élites" qui nous gouvernent n'ont pas compris la nature des problèmes que nous rencontrons depuis 3 ans. Pour eux, il s'agit d'une crise économique classique qui a pris une ampleur inédite et qui a été aggravé par l'ampleur des déficits publics. Il suffit donc de régler les problèmes "techniques" que nous rencontrons pour reprendre le cours "normal" de l'histoire, le retour de la prospérité, de la croissance, d'une croissance mondialisée, élargie pour le bonheur des peuples.
Retrouver la croissance?
Le nez dans le guidon, nos experts et nos politiques considèrent la croissance comme la situation normale de nos sociétés modernes et démocratiques. Pourtant l'Histoire nous enseigne que les situations de croissance économique sont davantage l'exception que la règle dans l'évolution des sociétés humaines. Ils sont obsédés par l'espérance de retrouver le Graal de la croissance, cette méthode quasi-magique qui a permis à l'Europe pendant 30 ans, et aux pays émergents depuis dix ans, de connaître croissance de plus de 5% et plein emploi.
Cette situation singulière n'arrive qu'une fois quand une conjonction de facteurs se trouve réunis: stabilité politique et sociale, économie fortement exportatrice, territoires disponibles pour permettre l'expansion territoriale des activités humaines.
Cette dernière condition est très importante car elle explique pourquoi la "grande" croissance n'a lieu qu'une seule fois: quand l'urbanisation a eu lieu, le phénomène ne peut se reproduire.
L'obsession de nos dirigeants à retrouver ce graal explique leurs échecs renouvelées: on a cru, on croit encore que "la reprise" nous tend les bras, qu'il suffit de trouver les bons relais de croissance pour que tout redémarre comme avant: mais quel levier de croissance peut-on espèrer?
-une industrie novatrice dans de nouveaux domaines? Les pays émergents ont acquis suffisamment d'autonomie et de réactivité pour rapidement nous tailler des croupières
-l'émergence d'une société de la connaissance porteuse d'emplois et de richesses nouvelles? Le monde, l'Europe et la France voient le nombre de diplômés au chômage augmenter chaque année. Utile individuellement, le diplôme n'est pas suffisant pour créer l'emploi et la richesse.
-une nouvelle économie basée sur les services nouveaux à la personne? Utile, pour les personnes qui en ont besoin, ces services réclament de la richesse pour les financer mais ne vont pas en créer directement.
Faut-il désespérer? Non, car il reste un secteur de gisement de développement d'emplois et de richesses, un seul, sur lequel nous pouvons retrouver une situation singulière, c'est celui d'une économie "verte" totale, qui renouvelle l'ensemble des fondamentaux de nos organisations sociales. Passer à une société pleinement "durable" nécessite des modifications importantes des réseaux, de la circulation des flux, de l'usage des ressources qui vont réclamer des équipements nouveaux porteurs de nouvelles richesses. Ce foisonnement d'initiatives et de bouleversements, ce découplage multifactoriel avec l'ancienne économie est le véritable espoir de demain. Il faut nous détourner de l'ancien monde et aller vers un monde nouveau.
Nous n'en sommes pas encore là car les déficits publics sont venus plomber durablement l'espoir de nous en sortir.
Le boulet des déficits:
L'origine des déficits publics et privés dans nos vieilles sociétés occidentales provient de la croyance de nos élites en la croissance. Souvenons-nous, il y a seulement 2 ans, le gouvernement actuel (mais il aurait pu s'agir d'un gouvernement de gauche) lançait le grand emprunt sous les applaudissements de l'ensemble des experts. Les mêmes élites nous bassinent aujourd'hui avec "le piège de la dette".
Le recours à l'emprunt par les Etats, les entreprises et les particuliers a été vécu, il y a encore très peu de temps, comme un palliatif : "en attendant que cela aille mieux, pour se relancer", on emprunte. Avec l'idée que, plus tard, quand le soleil aura réapparu, on remboursera.
Nous n'avons rien remboursé car le soleil n'est pas revenu. Il n'est pas revenu car nous avons dépensé l'argent de la relance pour faire des choses qui n'ont rien amélioré, parce que nous avons utilisé cet argent pour des usages inutiles et désuets.
Revenons à la Grèce : depuis 20 ans, elle a acheté avec l'aide de l'Europe des aéroports, des autoroutes, des voitures et du pétrole. En quoi ces achats ont-ils apportées un surplus de richesse et de puissance économique à la Grèce? Ils ont apporté aux Grecs du confort et les attributs de la richesse mais n'ont pas développé et modifié, de manière profonde, l'économie du pays. La croissance des biens n'est pas la croissance des moyens de produire de la richesse.
J'ai pris l'exemple de la Grèce mais il pourrait s'agir aussi bien de l'Espagne ou de la France. Nous avons eu tous les mêmes politiques et nous sommes tous dans le même piège. Le paroxysme grec s'explique par des dépenses militaires trop importantes, une culture de la fuite fiscale et des politiques libérales de réduction des impôts qui ont plombé progressivement ce pays comme elles en ont aggravé la situation de bien d'autres.
Il faudra sortir du piège de la dette comme il faudra sortir de l'ancienne économie. Mais avec quel argent? Puisque les systèmes classiques de l'emprunt public et les outils fiscaux traditionnels sont dépassés, il va falloir innover et inventer de nouveaux outils.
Il va falloir "découpler" la fiscalité de la fiscalité traditionnelle. Concevoir une fiscalité découplée du budget de l'Etat qui permette le financement des éco-innovations nécessaires à un autre développement, une fiscalité qui ne se perd pas dans l'océan de l'Etat mais qui, étroitement ciblée, exclusivement au service de la relance utile de l'économie, auto-régulé permette de favoriser et de financer la nouvelle économie verte dont nous avons besoin. Ces contributions incitatives nouvelles seront au service du découplage de l'économie et des sociétés avec l'ancien monde dont nous devons sortir.
Conclusion: la Grèce n'est pas l'enfant terrible de l'Europe, celui qu'il faut bannir, punir et réformer. La Grèce est membre à part entière de la grande famille européenne, elle appartient à notre histoire commune.
Ses maux et ses travers sont les nôtres. La famille européenne doit prendre conscience que notre maison commune est dépassée, inadaptée à l'évolution de son environnement. Il faut reconstruire nos lieux de vie, sortir de l'économie du pétrole, du consumérisme à outrance pour construire un foyer durable, où la culture et l'éducation servent au développement des personnes et non au seul développement économique. Cette construction nécessite la sortie de l'ancienne économie, de l'ancienne fiscalité pour un découplage, un nouvel horizon sociétale, économique et fiscale.