Nicolas Sarkozy peut bien prétendre que le couple franco-allemande l’a emporté, l’Europe passe à l’heure allemande et non française. Et heureusement!
Un article de Jacques Garello, publié en collaboration avec l’Aleps.
Retour sur la nuit du 25 au 26 octobre au cours de laquelle s’était conclu l’accord européen de Bruxelles. Belle nuit ! Sainte nuit !L’Europe renaissait, l’euro survivait, le Parthénon n’était plus en ruines : nuit d’histoire !
Peuples acclamez vos sauveurs. Ils vous avaient arrachés aux griffes de la finance, à l’enfer des banques, aux flammes de la mondialisation. Les jours qui suivaient devaient être beaux et paisibles.
L’ode aux 27, aux 17, aux 20, aux 9, aux 8 est un psaume que je ne cesserai désormais de chanter. Et, fierté nationale, l’artisan de cette victoire sur les marchés n’était-il pas notre Président, en toute humilité ?
Je trouve cependant que cette nuit avait un fort accent germanique : heilige nacht ! L’angélique chancelière a abordé cette fameuse négociation avec en mains la feuille de route rédigée par le Bundestag. Quelle drôle d’idée pour un chef d’État d’aller consulter son Assemblée Nationale et prendre l’avis de ses députés, au demeurant éclairés par la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe ! En France, nous faisons plus simplement : les députés appartiennent au président, d’où le nom de « majorité présidentielle », et le Conseil Constitutionnel n’intervient que plusieurs mois plus tard, en général pour aller dans le sens voulu par l’Élysée.
Autre infirmité germanique : ces gens ont décidé de mettre un terme à la démagogie européenne. Les Allemands, quelle que soit leur opinion politique, sont attachés à leur (relative) prospérité. Ils ont même l’arrogance d’avoir le taux de chômage le plus faible depuis des années, et d’être les champions de l’exportation. Et ils font tout cela avec 10 points de dépenses publiques en moins qu’en Hexagonie. Il y a certainement quelque bizarrerie là-dessous.
Au fond, un esprit simpliste pourrait en conclure qu’au cours de cette nuit Merkel a mis l’Europe et l’euro à l’heure de Berlin, tandis que Sarkozy voulait la mettre à l’heure de Paris. Mais ce sont des choses à ne pas dire. Le politiquement correct veut qu’on continue à parler du « couple » franco-allemand, qui effacerait tous les autres élèves de la classe européenne : Italiens et Espagnols, les cancres, Anglais, Scandinaves et Bataves, les chahuteurs.
Il faut en réalité revenir du rêve à la réalité. Elle est moins souriante : la Grèce est en faillite, l’euro est en sursis, et l’Europe de Bruxelles est en échec.
La faillite grecque n’est pas douteuse, puisque la dette sera théoriquement effacée par la générosité des banques créancières et des États prêteurs. Les banques y perdront 50 % de l’argent engagé dans la dette souveraine grecque, et elles compenseront cette perte d’actifs par la diminution de crédits ou par l’apport en capital, ou les deux. Les banques françaises sont les plus engagées, devant les banques allemandes, et bien plus en retrait les banques anglaises. Prétendre qu’il n’y aura aucune séquelle pour les investissements et la croissance est un acte de foi, mais je suis incroyant. En fin de compte, ce sont bien les clients ou les contribuables français qui feront les sacrifices. Les a-t-on consultés ?
L’euro est en sursis. Les engagements pris dans le cadre du Fonds Européen de Stabilité Financière sont d’une extrême fragilité. On a modifié leur contenu. Alors que le FESF disposait au départ de 440 milliards (il n’en reste d’ailleurs plus que 350) pour les distribuer aux États en difficulté (dont les dettes globales sont à peu près six fois plus élevées), le nouveau pacte prévoit qu’il interviendra désormais en simple garantie : c’est une caution qui promet de rembourser 10, 20 ou 30 % des emprunts nouveaux que les États débiteurs pourraient placer sur les marchés financiers. Penser que lesdits marchés vont se laisser séduire par cette caution qui n’en est pas une, c’est réellement être optimiste. Mais dans l’immédiat, garantir 20 % au lieu de prêter 100 % apparaît comme une victoire, puisque soudainement les 350 milliards deviennent un peu plus d’un milliard d’euros. Au demeurant, la plupart des États adhérents au FESF sont obligés, pour apporter leur quote-part, de s’endetter davantage. C’est le jeu auquel on joue depuis plusieurs mois. Ceux qui ne peuvent plus payer reçoivent de l’argent de ceux qui n’en ont pas, mais ont encore la bonne fortune de pouvoir s’endetter à des taux « raisonnables ». Raisonnable aussi le gonflement de la dette des États secouristes, la France étant bien placée, raisonnable encore le service de la dette. Pendant combien de temps ce système de Madoff va-t-il fonctionner ? L’essentiel me semble être de pouvoir tenir jusqu’aux échéances électorales…
L’Europe de Bruxelles a montré aussi ses limites. Sans doute les « Européistes », partisans d’une intégration politique progressive mais totale, ont-ils salué la mise en place d’un genre de « contrôleur budgétaire » pour mettre fin aux dérapages des parlements et gouvernements nationaux. C’est un coup dur pour les souverainistes, mais ce sont les Allemands qui exigent que tout le monde désormais file droit, et retrouve les chemins de la compétitivité en assainissant les finances publiques (ce qu’en France on traduit immédiatement en hausses d’impôts, on a annoncé la refonte de la TVA à l’aube du nouveau jour européen). Mais parmi les 27, peu nombreux sont ceux qui veulent s’embarquer dans la galère européenne sans billet de retour. À l’usage, on retrouvera le non choix historique entre une Europe puissance (avec le gouvernement, la bureaucratie, la réglementation et les impôts qui vont de pair) et une Europe espace, où la libre circulation des produits, des entreprises, des capitaux et des hommes instaure une saine concurrence économique et une heureuse harmonie entre Européens de toutes nations. Il y aura donc d’autres nuits, d’autres sommets historiques, et d’autres échecs, tant que les États européens ne se seront pas décidés à abandonner leur présomption et à laisser faire la liberté.
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