3h30. Une insomnie... C'est le moment de prendre des trains à travers la plaine... Plus de livres, moins de bibliophiles....
Avec le net, le bibliophile est passé d'une situation de sous offre, relative à son isolement, à une situation où l'offre est devenue pléthorique. On trouve de tout d'un feuillet d'une bible de Gutenberg (65000$) aux livres les plus courant. L'offre est presque trop importante d'ailleurs, on peut s'y perdre. Tous les ouvrages qui étaient discrètement rangés sur les rayons des libraires du monde entier, souvent dans l'anonymat, sont aujourd'hui exposés à la vue de tous. Dans le même temps, le nombre de bibliophiles diminuerait: plus de livres disponibles, moins de bibliophiles... et donc une concurrence entre professionnels significativement accrue et la nécessité pour chaque libraire d'émerger, de se faire une place au soleil, de séduire et de fidéliser les bibliophiles qui comptent. Mais plus de livres disponibles signifie aussi une réduction quasiment mathématique des ventes pour chacun de ces professionnels qui se partagent un gâteau qui rétrécit (les bibliophiles, miam), alors que la vitrine de la boulangerie est de plus en plus riche en douceurs. Plus de livres disponibles, moins d'acheteurs...Ce nouveau paradigme bouleverse également le rapport au prix: au delà de l'évidente tendance à comparer les prix qui font de vialibri ou addall les premiers assistants à l'achat pour le bibliophile (en ligne, en salle des ventes ou même en boutique - je l'ai vu, je l'ai fait), l'offre accrue exerce également une pression plus grande sur le vendeur, et devient un argument pour l'acheteur. Plus de livres, moins d'acheteurs... Là où hier l'acheteur n'avait généralement le choix qu'entre un nombre réduit d'exemplaires disponibles, il a aujourd'hui la possibilité de comparer les prix à exemplaire égal ou presque, voire de se laisser tenter par bien d'autres ouvrages. Aux libraires de s'adapter, et de saisir l'acheteur quand il se présente. A l'acheteur la possibilité nouvelle de négocier, et ce d'autant plus que les inventaires des libraires semblent soumis à une faible rotation (que ne compense pas forcément la surexposition), inversement proportionnelle à la pression qui s'exerce sur eux. Ceux parmi ces derniers qui ont compris que dans ce nouvel écosystème c'est le nombre de ventes et non le nombre de livres en vente qui compte, auront probablement les meilleures chances de sourire demain. Cela passe aussi par l'acceptation de ce transfert de pouvoir vers l'acheteur, avec lequel les libraires doivent composer. La négociation entre certainement dans une ère nouvelle. Dans le même temps, le rôle du libraire évolue: il n'est plus forcément cet éducateur auprès duquel l'amateur venait se former, découvrir, puis acheter. De moins en moins. On connaît des bibliophiles qui n'ont jamais mis un pied dans une libraire. Avec l'explosion de la librairie en ligne, de fait impersonnelle, le rôle du libraire se réduit, et de plus en plus c'est le négoce qui semble primer: dénicher, bien acheter, bien documenter certes, bien vendre (ou vendre vite?). Pour le bibliophile, s'il peut être tentant d'échapper parfois au passage obligé qu'a longtemps été le libraire (j'allais presque écrire "à l'ancienne"), dans sa boutique, passionné certes, mais souvent l'oeil suspicieux face à l'impudent...le danger de se perdre est grand. L'amateur nouveau se forme souvent tout seul, poussé, stimulé par l'hyper-offre et l'hyper-compétitivité.... il est en permanence, et surtout au début, soumis au risque d'acheter moins cher plutôt que d'acheter mieux.... Ebay incarne bien cette nouvelle donne; beaucoup d'aspirants bibliophiles, peu d'élus finalement. Avec le recul, on devrait s'inquiéter du fait que cette rupture du lien didactique pourrait encore réduire à terme le nombre de bibliophiles: l'amateur autodidacte redescendra un jour sur terre, quitte à être dégoûté à jamais de la bibliophilie (j'en ai croisé) quand il prendra conscience que ces ouvrages achetés moins chers, incomplets, abîmés, etc. deviennent en fait avec le temps à la fois impossibles à vendre et ne correspondent plus à son exigence et l'évolution de son goût. Alors que celui qui aura su bien acheter tôt, naturellement doué (Pibi, si tu nous écoutes...), éduqué, qui par un libraire, qui par des lectures, qui par un blog, ne pourra que trouver une satisfaction grandissante. Et il me semble que ce sont ces amateurs qui sont les plus intéressants pour les libraires, et pas seulement sur le plan économique... L'ère du bibliophile autodidacte, celle du nouveau libraire, la nécessité pour les deux de se retrouver sur le prix (d'être ouvert à la négociation, par goût ou par nécessité pour le libraire, avec discernement pour l'amateur), complexe, compliqué pour certains, voire blasphématoire... mais prometteur au fond... Non?H