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"Are you laughing, or are you crying?"

Publié le 04 novembre 2011 par Teazine

David Lynch  Crazy Clown Time 
Longtemps, j'ai cru que David Lynch était complètement surévalué et que les gens l'admiraient juste parce que ça fait bien de dire qu'on est fan de lui, alors qu'en vrai ces connards ne pigeaient que dalle à ses films qui de toute façon étaient volontairement incompréhensibles pour nous embêter. Et puis j'ai découvert Twin Peaks. Depuis le monsieur m'est beaucoup plus sympathique, même s'il y a encore pas mal de trucs qui m'énervent en lui, comme le fait que ses films me frustrent la plupart du temps ou encore qu'il a un délire un peu flippant sur la méditation transcendantale et la paix dans le monde. Le nouveau dada de Dada, c'est de sortir un disque. Enfin, ce n'est pas vraiment une soudaine lubie de sexagénaire, puisque ce n'est pas la première fois qu'il s'immisce dans la musique. Il a toujours su s'entourer pour ses BO, Angelo Badalamenti en tête (et si on fait abstraction de Rammstein dans Lost Highway) et il avait déjà fait quelques petits projets musicaux. Mais c'est bien la première fois qu'il se construit un studio et se targue de sortir un album solo qu'il écrit, joue et produit entièrement. L'affaire s'appelle Crazy Clown Time et contient pas moins de quatorze titres. 
Crazy Clown Time semble être le prolongement des expérimentations cinématographiques de Lynch,  il s'affranchit des règles de la musique pour créer un disque aux ambiances, styles et techniques variées.   On retrouve donc fatalement l'homme là où on l'attendait : dans des ambiances inquiétantes, glauques voire carrément malsaines, comme le perturbant "Crazy Clown Time" où une voix aigüe et torturée du réalisateur lui-même se mêle à des gémissements féminins et une batterie minimaliste. Le morceau serait du pur génie s'il n'était pas si long. Dans le genre chelou, "So Glad" est très fort aussi, avec de charmantes paroles qui font "I'm so glad you're gone / free in my house / free at last", "please don't come back", ok, pour la chanson d'amour on repassera. On reconnait également bien la patte de David Lynch dans ses titres bluesy déglingués, tels "I Know" et "The Night Bell Will Lightning" où l'on s'attend à voir Audrey Horne débarquer d'un moment à l'autre. Et si l'on ne trouve pas de Julee Cruise au casting, on a au moins Karen O, des Yeah Yeah Yeahs, qui pose sa voix sur la chevauchée (discrète, la chevauchée) inaugurale "Pinky's Dream", où la brune s'amuse sans en faire trop pour une fois.
"Crazy Clown Time" 

"Pinky's Dream" 

"The Night Bell Will Lightning"

Mais ce qui est intéressant dans cet album, c'est que David ne se contente pas de faire du lynchien (ce fameux adjectif qu'on nous ressort sans cesse pour ne pas se fouler) il lorgne aussi sur l'electronique et fait joujou avec. Des fois ça ne passe pas ("Strange and Unproductive Thinking" par exemple), mais d'autres, on lui découvre des talents cachés. "Good Day Today" fait partie de ses réussites, on dirait du Moby (mais c'est bien quand même) avec du vocoder qui dit qu'aujourd'hui est vraiment une bonne journée, chouette. Cela ferait une très bonne bande son pour un plan de voiture traversant la nuit (coucou Drive). Et ouais, Lynch fait de la dance. Il a même fait une chanson tellement accessible (pour lui) et entraînante qu'elle en serait presque putassière : "Stone's Gone Up", mélange bien dosé de beats et de guitares. Et pour varier toujours plus, on retrouve du trip hop dans "Noah's Ark", malheureusement un peu gâchée par des susurrements répétés et énervants.
"Good Day Today" 

Tout de même, David Lynch s'en sort drôlement bien dans l'histoire. L'ensemble a beau emprunter à beaucoup de styles différents, il arrive à avoir une certaine cohérence et la majorité des morceaux sont bons. Il a aussi réussi à surprendre alors qu'on s'attendait encore à une oeuvre où les adjectifs "lynchien" ou "bizarre" ressortiraient à tout bout de champ, or on a là un disque qui ne sombre pas dans la caricature, et qui pourra plaire à d'autres personnes que des fans de Lynch. Pour autant, ce n'est pas forcément le genre de titres que l'on écoutera indépendamment, comme ça, cela convient plus en musique d'ambiance. Comme une bande originale en fait. D'ailleurs, on a beau bien l'aimer comme ça, on préférerait quand même que le type reprenne sa caméra et donne un successeur à Inland Empire qui date, quand même, de 2007. 

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