Les chasseurs ont une relation avec leurs animaux; et la base de cette relation, c'est que les uns dépendent des autres. Les chasseurs-cueilleurs ont des relations similaires avec la terre elle-même. On ne peut pas toujours tracer une ligne nette entre l'animé et l'inanimé. De manière générale, échouer à prendre soin de la terre, c'est encourir un risque moral qui comporte un danger spirituel. Cela met encore en jeu des réalités spirituelles, et la relation entre les êtres humains et les esprits de ces lieux où hommes et esprits cohabitent. Ces lieux ne peuvent être contrôlés, et doivent rester intacts. Hugues Brody.Op.Cite
Dans l'exemple suivant r une grand mère veut venger son petit fils (les orphelins étaient les souffre douleurs du groupe) en suscitant une métamorphose, source bientôt de catastrophe..
Le petit garçon se transforma en bébé phoque. Il suivit les instructions de sa grand-mère et peu de temps après, il fit surface près des kayaks d'un groupe de chasseurs. Dès qu'ils l'aperçurent, les hommes essayèrent sans succès de le harponner. Une poursuite s'engagea et lorsque le bébé phoque parvint au large, il agita en l'air son bras et sa main gauches en criant très fort: «Ungaa! Ungaa!
Un vent violent se mit aussitôt à souffler sur la mer. Les vagues étaient si hautes que les chasseurs ne pouvaient plus avancer. La panique s'empara des hommes qui tentaient en vain de regagner la terre ferme. Un après l'autre, les kayaks chavirèrent et tous se noyèrent. "
« Le ciel est un vaste pays avec beaucoup de trous Les trous nous les appelons étoiles. Des hommes y habitent et quand ils versent quelque chose à terre, cela passe à travers les étoiles et nous avons alors de la pluie ou de la neige. Dans le pays céleste habitent les esprits des hommes et des animaux après leur mort...
« Les esprits des hommes et des animaux sont transportés sur la terre par la lune. Quand la lune n'apparaît pas au ciel, c'est qu'elle est en route vers la terre avec les âmes. Après la mort on peut devenir autre chose que ce que l'on était pendant la vie. Un esprit d'homme peut se transformer en celui de n'importe quelle espèce d'animal. Pinga veille sur la vie des animaux et il ne lui est pas agréable que l'on en tue un trop grand nombre. Rien ne doit se perdre. Quand on a mis un renne à mort, il faut recouvrir son sang et ses entrailles. Ah la vie est éternelle. Mais jamais on ne sait sous quelle forme on renaîtra »CITE PAR KNUT RASMUSSEN.
L'Inuk ressent profondément la présence de cette Nature animée et changeante, parsemée et ponctuée de signe à décrypter ; l'incessante métamorphose d'un univers spatio-temporel en perpétuel devenir, dont l'homme n'est qu'une parcelle, et un instant fugace: il va donc s'efforcer de décrypter, par tous ses organes sensoriels aiguisés, le langage occulte de ce monde primordial et dynamique, régi par un ordre caché que l'on se doit de respecter.A plus forte raison, la personne possédant un savoir magique peut déchiffrer ce système interconnecté et mystérieux, voir au-delà des apparences pour atteindre le savoir profond : vérité transmise de maître à disciple, d'esprit à esprit dans le cadre du chamanisme.
« Le rythme des tambours recourt à des nombres simples, d une numérotation sacrée : 3, 5, 7, 9. Les danseurs font revivre par leurs gestes les forces vives.
Le respect est teinté de crainte. Les danseurs qui se relayent sont gantés par respect pour les ombres, les esprits de la chasse. Ils s'avancent en s'inclinant, de côté, à droite, à gauche, regardant le grand large, la main en visière. Les femmes baissent les yeux. D'abord, les participants se font face, sans bouger, le buste droit, les pieds rivés au sol, genoux fléchis, les avant-bras dressés en suppliant, paumes tournées vers le ciel. Puis les mains sont tournées vers le public en offrande ; ils les superposent, la main droite au-dessus de la gauche et la dépassant légèrement. Le spectacle se précipite en se bousculant. D'autres acteurs masqués interviennent. Un torse humain devient une queue de baleine. Derrière, un homme renard avec un nez en bec d oiseau se dédouble et ses mains tiennent lieu d'oreilles de géant. Un autre le suit avec un nez en forme de queue de baleine. Dissimulés sous leur masque de bois rouge ocre aux fortes pommettes, les danseurs sont censés se métamorphoser : la moitié du visage est tordue, une langue rouge pend sur le menton. Du chant mélodique, on est passé aux appels joyeux. Le battement des tambours est plus lent, assourdi. Les cinq batteurs frappent au centre des membranes ; le rythme est devenu solennel, presque pompeux. On reprend souffle ensemble. Ces hommes et ces femmes continuent à chercher à se dégager des tensions qui les oppressent dans le huis clos quotidien.
"Dans cet utérus théâtral, le groupe accouche d un autre lui-même. L'univers n'est plus séparé entre vivants et morts, humains et animaux. Terre/mer, sec/humide, froid/chaud, clair/nuit, nord/sud, est/ouest. Dans l'intimité de leurs pensées les plus secrètes, les hommes et les femmes osent parler avec ces forces et avec des marques de soumission, solliciter l'infinie bienveillance…..»JEAN MALAURIE.L'APPEL DU NORD
Je n'évoque ici que le chamanisme inuit : pour l'ensemble de la question on peut se référer à mes autres articles : http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/chamanisme/
Toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs, et bien d'autres cultures tribales, sont dites chamaniques.
Le terme vient de « chaman », un mot des peuples Tungus de Sibérie qui désigne une personne douée du pouvoir de passer du monde humain à celui des esprits, et de voyager sous une forme désincarnée. L'anthropologie applique le terme de «chamanisme » à des systèmes de croyance où la possession et les voyages spirituels sont d'une importance centrale. Il y a de multiples versions de cette forme de vie spirituelle et religieuse, et chacune importe l'idée de possession spirituelle dans son propre domaine social et économique. Le trait essentiel et distinctif du chamanisme des chasseurs-cueilleurs est cependant un mélange de flexibilité, d'une part, et d'autre part d'un fort attachement à un territoire spécifique.
Le chamanisme est présent dans un monde sans certitudes matérielles. Dans ces conditions, le respect pour ce monde importe autant que le savoir lui-même. Les esprits doivent être apaisés, leur pouvoir de nuire minimisé. Il n'y a pas de limite à ce que le monde peut contenir, ni aux façons dont l'inconnu peut se révéler. Tous doivent être extrêmement attentifs, prudents, utiliser toutes leurs facultés pour être conscient de la terre et de ce qu'elle peut receler. Et il s'agit d'un pays spécifique, d'un territoire ; le pouvoir du chamanisme réside dans une région particulière, il n'est pas un moyen de comprendre ou d'influencer le monde dans son ensemble.
Chez les inuit, Le chamane appelé Angagok (angakuq) était aussi qualifié de tunghalik, «celui qui a des esprits», Innombrables, ces esprits, souvent hiérarchisés, possédaient chacun un pouvoir spécifique. « Domestiqués » par le chamane, ils lui permettaient de communiquer avec les « êtres essentiels, les «grands tuunrat», et tous les esprits peuplant les différents niveaux de l'univers. En 1914, un missionnaire anglican dans le sud de la terre de Baffin, avait dressé une liste de 347 esprits auxiliaires chamaniques. Ce grand nombre reflétait la diversité des rapports que les Inuit établissaient avec l'invisible. Il témoigne aussi du pouvoir créateur des chamanes, ainsi que de leurs relations de rivalité, chacun prétendant avoir des esprits originaux.
Meilleur connaisseur du « monde-autre » inuit, le chamane savait voir et affronter esprits, spectres, créatures monstrueuses, nains, géants et chimères de toutes sortes.
On lui demandait donc de réduire toutes les infortunes.
D'une grande théâtralité, les séances chamaniques étaient tenues à l'occasion des rituels hivernaux dans une maison commune .D'autres se déroulaient tout au long de l'année quand survenaient des intempéries prolongées. Durant ces dernières, le chamane séjournait la tête penchée dans une position fœtale, autour d'étroits orifices creusés dans la glace pour pouvoir, disait-on, atteindre la terre des morts.
Lors des séances hivernales, les participants desserraient leurs habits et les lumières étaient éteintes. Le chaman opérait parfois derrière un rideau, où on lui prêtait des exploits extraordinaires. On le disait entouré d'une aura. Des battements de tambour et des chants manifestaient les esprits, et il arrivait qu'un dialogue s'instaurât entre le chaman et l'assistance.
"Je me souviens que la pièce principale de la maison d'Hilla pouvait recevoir environ une quinzaine de personnes. Celles-ci se disposaient en cercle ; tout autour, sur les murs, étaient accrochés une multitude d'objets considérés comme des protections aptes à chasser les mauvais esprits. Il y avait là des peaux d'animaux, de lièvre, d'ours, de phoque, de renne... Chacune avait des spécificités considérées magiques. Par exemple, chez les phoques et les rennes, Hilla avait surtout récupéré les grosses touffes de poils blancs situées au bas de la gorge de l'animal. Elle agissait de manière identique sur les peaux d'ours blanc qui parfois étaient tachées de noir. Sur les murs étaient accrochés les crânes blanchis de ces animaux ; tout cela conférait à la pièce une espèce de fantasmagorie qu'il est difficile de décrire. Le décor comprenait également une multitude de petits ossements d'animaux, parfois taillés ou sculptés. Ce qui m'impressionnait le plus, c'était le rostre du narval ; chez Hilla, il y en avait partout, ils étaient aussi accrochés aux murs. Tous les Inuit croient très fort à la puissance magique contenue dans les grandes dents de ces cétacés. Nos sculpteurs découpent cet ivoire pour en faire ce que l'on appelle des tupilek, qui sont des statuettes porteuses de grande magie. Je te reparlerai de cela un peu plus tard. ....
"Le sol de la pièce où cela se déroulait était couvert de peaux d'ours. Le silence s'installait dès qu'Hilla faisait son apparition. À chacune des séances vécues en sa présence, j'ai toujours été impressionnée par son apparence, elle portait toujours la même robe ample, cousue avec différents morceaux de peaux d'animaux ; en fait, tous ceux qui peuplent notre nature. Sur toute la surface de cette robe étaient accrochés de petites statuettes en os, des dents d'ours, des morceaux d'ivoire de narval et quelques morceaux de ruban. Ces objets n'ont pas une fonction décorative. Ce sont, en réalité, des amulettes protectrices nécessaires pour la conjuration. Sur son visage, avec la suie des lampes, chaque fois elle dessinait des traits fins qui, au départ de son nez, convergeaient vers le front, vers les joues, vers le menton. Ses cheveux étaient noués au-dessus de sa tête. Son crâne était ceint d'une courroie qui lui permettait de retenir haut son chignon. Dans une main, elle tenait le krida, ce grand tambour plat de forme circulaire, en peau de phoque tendue, qu'elle mouillait avant chaque séance afin qu'il rende un son plus beau et plus
Elle parlait en disant :
«Amalo, amalo (eh bien, voilà)» ou bien «Amasse, amasse (quel plaisir d'être ensemble). »
Après cette entrée en matière, Hilla prenait place au milieu du demi-cercle. Elle alternait les dialogues récités d'une voix généralement monocorde, et les manipulations du krida avec une dextérité extraordinaire. Parfois, elle poussait des cris effrayants accompagnés de rires démoniaques. Comme Hilla cultivait aussi des talents de ventriloque, elle proférait des paroles qui, selon les tonalités, semblaient venir du haut de son corps, ou des profondeurs de la nature. Les spectateurs, captivés, ne perdaient pas un seul de ses gestes, pas une seule de ses paroles. Ils attendaient avec impatience le moment où Hilla allait raconter une légende.. …
Après un temps qui nous paraissait très long, elle ralentissait enfin la cadence, reprenant son souffle normal. À ce moment très précis, nous savions tous qu'elle était entrée en contact avec les esprits. La séance se terminait par des gémissements plaintifs, les participants étaient alors assurés que, dans les jours suivants, de nombreuses guérisons interviendraient.
… Chez nous, il y a une plante appelée kupalarssuit kafé, le café du bruant des neiges. Cette appellation bizarre s'explique par le fait que le bruant des neiges se régale des graines de cette plante. Quant à nous, nous la faisons torréfier, avant de la faire bouillir dans l'eau ; cette préparation nous donne une sorte de café. Personnellement, je faisais griller les petits grains tout en respirant la fumée qu'ils dégageaient. Peu à peu, cela me permettait d'être envahie par ce que nous appelons «l'âme du souffle». Cette manifestation immatérielle me conduisait facilement vers les états de transe légère. J'accentuais ces passages vers d'autres mondes en buvant de grandes quantités d'infusions très chargées de kajaussat, le Ledum palustre, appelé plus communément «le thé du Labrador».
À ce moment de ma vie, je ne me rendais pas tellement compte que je progressais dans la connaissance des pouvoirs merveilleux et que je pénétrais de plus en plus au cœur des mystères des dieux et de la nature. J'étais encore trop sous l'influence d'Hilla qui me parlait de tout ce qui m'arrivait, de tout ce que je ressentais. Elle me guidait et ne manquait pas de me prodiguer de nombreux conseils, tout en essayant de corriger les erreurs que je pouvais commettre "