De l’art letton, je ne savais pas grand-chose, confondant un peu les trois pays baltes ; en fait, sur place, j’ai découvert que je connaissais déjà deux artistes lettons, deux seulement. D’abord Gustav Klucis, un des inventeurs du photomontage politique en 1919 avec La Cité Dynamique (ci-dessous). Le Musée des Beaux-arts de Riga lui consacre une salle entière, avec de nombreux collages sportifs sur les Spartakiades, mais aussi beaucoup de posters politiques très inspirés par le constructivisme, aux titres éloquents (Levons plus haut le drapeau rouge de Marx, Engels, Lénine et Staline) ; un autre dessin illustre le poème sur Lénine de Maïakovski. Tout ceci n’empêchera pas Klucis, revenu au réalisme socialiste classique après 1935, d’être fusillé en 1938 à 43 ans pour menées antisoviétiques. A l’occasion de l’exposition londonienne, j’avais montré son montage de mains sur une affiche électorale. Ce travail de montage entre abstraction et réel, entre graphisme et photographie, a encore aujourd’hui un impact fort, plus qu’un simple dessin ou une seule photo. Excellent film documentaire de Peter Krilov (Klucis: the deconstruction of an artist, 2008) dans la même salle.
Ensuite, en se promenant dans le Musée, au milieu de tous ces peintres de moi inconnus, quelques impressions fortes (belle collection graphique aussi, dont Sigismund Vidberg). D’abord une salle dédiée à Nicolas Roerich (1874-1947) et à son fils Svetoslav (1904-1993) montre des toiles aux couleurs crues, acides, proches des Nabis, sur des thèmes religieux ou historiques, avec parfois une influence orientale résultant de ses voyages en Inde (Pearl of Searching). Ce sont des tableaux assez étranges, méditatifs, qui font penser au New Age ou à des illustrations pieuses, mais qui ne sont pas dépourvus d’un certain charme un peu inquiétant.
Plus intéressant, me semble-t-il, est Janis Tidemanis (1897-1964) qui, ayant vécu en Belgique, semble avoir été influencé par Ensor, en particulier dans ses scènes de rue aux personnages sommairement représentés mais lumineux sur le fond sombre de la ville (ainsi Pelikanstraat à Anvers, 1938). Mais, de lui, c’est surtout cette grande toile qui attire l’attention, et son titre d’abord : Femmes Divorcées, 1934. Trois nus, une rousse et une blonde encadrant une femme aux cheveux noirs qui croise les bras et pose deux fleurs sur le pubis de ses amies. Les visages sont longs, les seins des obus, les cuisses massives, tout le canon de la beauté lettone. Le titre reste énigmatique, mais la toile est striée, grattée, avec un couteau ou le manche du pinceau, comme dans un combat du peintre avec sa toile. À côté, une sculpture de granit de Tedor Zalkaln (1936), torse d’une femme acéphale, sans bras , tordue en arrière par la souffrance ou le plaisir, bien typique de la sculpture lettone, assez massive et primitiviste (dont de nombreux exemplaires sont présentés dans le Musée, mais aussi devant l’Arsenal). Dans le cloître de la cathédrale, cette idole ancienne, grosse tête de pierre grimaçante dont on ne sait rien, semble l’ancêtre de la sculpture réaliste socialiste du pays.
L’autre artiste letton dont j’avais entendu parler est le groupe contemporain Famous Five, connu entre autres pour sa non-participation à la Biennale de Venise en 2003 : ils avaient prévu de donner leur sang pour nourrir les pigeons de la Place Saint-Marc, le gouvernement letton n’a pas apprécié et a coupé les fonds, et leur participation s’est alors réduite à une double page ‘clandestine’, titrée « Euphorie » dans le catalogue de la Biennale. Ce catalogue est exposé à la Bourse (bâtiment vaguement de style vénitien) dans la petite exposition consacrée aux Lettons à Venise (où j’ai aussi remarqué les Livres Vénitiens de Ilmar Blumberg), mais, sinon, je n’ai rien pu voir d’eux à Riga malgré mes recherches. C’est un signe, soit de mon inefficacité, soit de la faible présence de l’art contemporain à Riga. Je n’ai hélas pas vu ce centre d’art (mais ils vont montrer des vidéos lettones à Mains d’Oeuvre le 13 novembre). J’ai visité une demi-douzaine de galeries, toutes assez décevantes, trop décoratives, à l’exception de Birkenfeld, qui montrait, encore pour quelques jours, deux artistes … lituaniens (Vu de loin, la Lituanie semble davantage présente que les deux autres pays baltes sur la scène contemporaine).
Laisvilde Salciute (née en 1964) travaille sur la présence féminine dans le monde de l’art avec un humour acerbe, plaquant des aphorismes (« When God made man, she was only joking ») sous ses autoportraits provocants avec le masque de la Joconde, ou se mettant en scène avec Picasso, Dali, etc. Cette main élégante brandissant ce panneau féministe (à destination des amis de DSK) m’a beaucoup plu (et c’est bien mieux qu’Agnès Thurnauer…). Voir aussi sur son site sa série « Pornography ».
L’autre Lituanien présenté là est
Kestutis Grigaliunas (né en 1957) qui pixellise l’image comme un bélinographe, la décompose et en montre la structure même. Sans tomber dans une esthétique pop-art, il travaille sur la distance, la vision, la composition, dans une logique essentielle très photographique. Ci-contre, un hommage à Max Ernst, Duchamp et Man Ray, assez frappant.
La seule exposition d’art contemporain letton que j’ai vue était consacrée au textile (à l’Arsenal jusqu’au 20 novembre). La section historique y est très décorative, tapisseries figuratives et réalisme entre folklore et socialisme. Dans la partie contemporaine, dans l’ensemble assez basique, quelques artistes ressortent du lot, et d’abord Peter Sidar (né en 1948) qui a semé dans l’exposition des dizaines d’espadrilles tissées dans une matière entre textile et plastique (en ville, dans la vitrine d’un pub, il montre aussi un nu féminin et une ronde d’enfants faits de la même matière). C’est surtout l’impertinence du geste, de cette prolifération sauvage qui frappe ici (Marathon, 2009-2011).
Au milieu de tant de pièces assez banales et décoratives, j’ai toutefois remarqué cette composition en têtes d’épingle de Gundega Strautmane (née en 1978), Twitter (2010) représentant un rhizome de liens sociaux, comme une explosion florale, et, dans l’entrée, une tenture sombre suspendue de Atis Lucis (né en 1951), In the Darkness (1987), tissage transparent de fils de coton qui semblent être des cheveux noirs. Je n’ai sûrement pas tout vu pendant ce bref séjour, et je ne prétends pas faire un panorama complet de l’art letton ; j’aurais pu davantage parler des immeubles Jugendstil, mais ce n’est ni mon domaine, ni mon goût. Mais voilà un aperçu de ma visite, un peu décevante pour ce qui concerne l’art contemporain, plus enrichissante quant au XXème siècle. En attendant d’en découvrir davantage…
Photos de l'auteur (excepté les trois premières). D'autres liens seront ajoutés plus tard, quand j'aurai accès à une meilleure connexion.