« Sous un immense portrait du Christ peint par Antonello de Messina au XVe siècle, Sul concetto di volto nel figlio di Dio met en scène un vieil homme incontinent et son fils et mêle, avec une époustouflante beauté plastique, l’amour et la perte, le trivial et le sacré, en une polysémie qui laisse cours aux interprétations. » (Fabienne Darge – Le Monde 27 octobre 2011).
J’avais choisi ce spectacle dans mon abonnement au Théâtre de la Ville (Paris) parce que, d’une part, je n’avais jamais vu de mise en scène de Romeo Castellucci, et que, d’autre part, la souscription de cet abonnement coïncidait avec une exposition au Louvre (que je n’ai pas visitée) d’œuvres de Rembrandt représentant la figure du Christ. Le visage de Jésus était donc pendant plusieurs semaines très présent dans les couloirs du métro parisien.
Et, d’abord, le spectacle que j’ai vu récemment m’a déçu. Trop court peut-être, et me semblant ne poser que la protestation trop banale et trop fréquente pour être véritablement sensée : Dieu ne prend pas soin de nous. Les personnages de Romeo Castellucci ne se révoltent cependant pas, ils s’effacent derrière le portrait qui se déchire pour laisser apparaître la parole d’un psaume : « You are (not) my shepherd » – Tu (n’)es (pas) mon berger –. . Mais pourquoi ces mots lumineux sont-ils en anglais alors que tout le dialogue de la pièce est en italien ? Quelle soumission cela représente ? Je suis sorti de la salle avec ces questions.
Je savais que je n’en resterais pas là.
Le lendemain matin, d’autres pensées m’ont occupé. Ce qui est représenté sur la scène blanche, canapé blanc, lit blanc, est insoutenable. La déchéance de la vieillesse, l’amour filial jusqu’à recommencer trois fois la toilette du père, je ne pouvais pas garder les yeux fixés sur ces gestes. Alors, inévitablement, mon regard rencontrait, en s’élevant, celui du Christ peint. Et c’était bien moi, spectateur, qui étais observé. Et trois fois, c’est une répétition qui se retrouve souvent dans les textes sacrés (les trois tentations de Jésus dans le désert, les trois reniements de Pierre…) et c’est, selon certains, les trois états du temps (passé, présent et avenir). Et ce « You » qui s’éclaire derrière le portrait déchiré, n’est-ce pas moi, spectateur sous le regard du fils de Dieu ?
Je me suis dit aussi que le titre devait être porteur de sens : Sur le concept du visage du fils de Dieu. Il ne s’agissait donc pas de dénoncer la déchéance de l’homme, l’indifférence de Dieu, mais de comprendre ce qu’il y avait derrière le visage peint, c’est-à-dire, d’accéder à la parole. « Au commencement était le verbe », dit la Bible. Au commencement et à la fin : c’est la révélation, l’Apocalypse. Un éclair met un point final à la représentation.
Le titre et ce qui se déroule sur scène mènent mes pensées aux relations père – fils. Le fils de Dieu, ce Christ représenté ici, celui que l’église catholique affiche partout crucifié, celui dont la croix surmonte tous les édifices de cette église, celui dont les calvaires marquent les croisements de nos routes de campagne, autrement dit celui dont la représentation officielle est une forme de déchéance, ce fils de Dieu, au moment de mourir, élève une plainte vers son père : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? ». C’est finalement ce que montre aussi la scène entre le père atteint de dysenterie et le fils sur ce plateau dont la blancheur révèle mieux la souillure. Il n’est pas question de péché, même si le vieillard sanglote des excuses, mais bien plutôt de prendre soin de l’autre, d’être chacun à son tour le berger.