Pour donner un exemple on peut lire un mythe des plus connus : l'histoire de Sedna maitresse des animaux marins telle que l'expose la chaman AUA à Knut Rasmussen. Ce mythe, domine la mythologie et le système rituel des Inuit de l'Arctique central et oriental]. Il comporte, deux grands épisodes : l'origine des diverses races humaines, et celle des mammifères marins. Si Sedna est le nom retenu depuis Boas, le personnage est nommé de plusieurs façons selon ses fonctions dans le mythe. UINIGUMASUITTUQ (« celle qui ne voulait pas se marier»), devenue KANNAALUK («la grande d''en bas ») ou encore NULIAJUK (« la grande épouse»). Il a donné lieu à de nombreuses analyses. Privée de sa progéniture et de ses deux conjoints successifs, elle est devenue la maîtresse des mammifères marins et la garante des règles matrimoniales et sexuelles. Exclue des taches domestiques et de la vie familiale, elle veille au respect des êtres assurant la reproduction de la vie humaine et la production du gibier..Elle perdrait son pouvoir à la lumière. C'est pourquoi, ses prescriptions et ses prohibitions sont les plus strictes durant la nuit hivernale. Leur application commence a l'équinoxe d'automne et s'achève à l'équinoxe de printemps.
« C'est la Reine des animaux marins, dont l'empire est sous les eaux, qu'ils redoutent le plus. C'est elle qui provoque tous les conflits de l'existence. Que de fois ai-je entendu parler d'elle au Groenland !
« « Que sais-tu de la Mère des animaux marins? » Demandai-je à Aua. Aua redresse la taille. Ses mains s'agitent continuellement et d'une voix finement nuancée et dont le rythme nous tient tous en haleine, il se met à nous entretenir des vérités fondamentales. « II y avait une fois une jeune fille qui ne voulait pas se marier. Elle vivait dans la maison de son père et éconduisait tous les hommes qui venaient la voir. Un jour, tandis que son père était à la chasse, un homme, dans un caïque, accosta devant sa maison et cria : « Que celle qui ne veut pas d'époux sorte de chez elle ! » C'est de moi qu'il s'agit, pensa la jeune fille, et elle, qui s'était refusée à tous les prétendants, alla, sans mot dire, chercher son petit sac fait du tissu qui entoure les reins du morse et monta dans le caïque, auprès de l'étranger. Il était installé tout en haut du siège et avait des lunettes sur le nez. Elle s'assit dans le caïque et ils prirent le large. Au bout d'un moment il aborda devant un îlot de glace, débarqua seul, et se mit à se moquer d'elle : «Comprends-tu à présent que j'étais assis sur un escabeau? Vois-tu m'es yeux maintenant? » Et la jeune fille s'aperçut alors que ses yeux étaient rouges et laids et qu'il y avait devant elle un petit homme ; il lui avait paru grand quand il était sur l'escabeau. Elle fondit en larmes, mais l'homme la railla de plus belle. C'était un oiseau des tempêtes sous forme humaine.
Il l'amena ensuite vers sa demeure et là elle vécu1 dans sa tente qui était faite de peaux de jeunes phoques, brillant au soleil.
— Montre-moi donc tes chères petites mains ! |
Mais, railleur, le père répondit :
—- Est-il possible que tu aies une femme aux petites, mains? Tu n'es qu'un escabeau, tu n'es qu'une paire de: lunettes !
L'oiseau se fâcha et vola par-dessus le bateau. Il battit si fort des ailes qu'une tempête s'éleva. La mer se dressa furieuse, et la barque prit eau.
A nouveau l'oiseau s'écria :
— Rien que ses petites mains. Il faut me laisser voir ses petites mains !
Mais personne ne répondit.
Une dernière fois l'oiseau tournoya autour de la nef, puis il la survola. A ce moment, un coup de vent si dur partit de ses ailes que la barque faillit chavirer. Pris de peur, le père jeta sa fille par-dessus bord. Mais elle se cramponna à la barque. Alors il lui trancha l'extrémité des doigts. Quand les phalanges tombèrent, des phoques montèrent à la surface et entourèrent la barque. Mais la jeune femme ne lâchait pas prise. Alors il lui coupa deux autres phalanges. Cette fois, ce furent des phoques barbus et des morses qui surgirent. A la fin, n'ayant plus de mains, la malheureuse disparut sous l'eau et descendit au fond de la mer où elle est devenue la reine des animaux marins. Nous l'appelons Takanalukarnaluk (la femme des profondeurs).
que celle-ci se venge sur les hommes en surveillant étroitement les animaux chassés par eux, le père, allongé sur sa couche, punit toutes les âmes humaines qui ont péché dans cette vie. Il faut qu'elles soient purifiées au fond de la mer avant d'être admises au pays des morts.
— Le pays des morts, mais où est-il donc? Où vont les hommes, quand ils meurent? demandai-je.
— Quand les hommes meurent, leurs âmes quittent la terre. Il y a deux endroits où elles peuvent aller. Les unes vont au ciel. Ce sont les Uvdlormiut, peuple de la lumière. L'Orient est leur séjour. Les autres descendent sous la mer où il y a une étroite langue de terre entourée d'eau. On les appelle Qimiujarmiut, peuple de l'étroite arête. On est bien ici comme là. On y trouve toujours de la nourriture en abondance.
Seuls vont au pays de la lumière, les hommes qui se sont noyés en mer ou qui ont succombé à un meurtre. C'est le pays des hommes joyeux et heureux. Il est vaste et l'on y rencontre beaucoup de rennes. On joue toute la journée à la balle ; on fait du football avec le crâne d'un morse tout en riant, plaisantant et chantant. Les gens du pays de la lumière sont de si habiles joueurs, que le crâne retombe toujours sur les défenses. Ce sont des âmes jouant avec le crâne de phoque .que nous voyons de la terre sous forme d'aurore boréale. »Knut Rasmussen Op Cité
les mythes et croyances ne prennent sens comme n'aura de sens la médiation chamanique, que si on les met en perspective avec les grandes contradictions, ou les paradoxes de la vie humaine, »métaphysique », sociale ou comme celles qu'ils rencontrent dans leur pratique quotidienne.
« Le savoir des chasseurs-cueilleurs dépend de la connexion la plus intime possible avec le monde et ses créatures.La possibilité de la transformation est une métaphore du savoir total : le chasseur et sa proie se rapprochent au point qu'ils franchissent cette frontière, et que l'un peut devenir l'autre. Cette intimité procure une connaissance complète. Pouvoir se déplacer avec précision sur terre semble requérir une liberté de pensée parallèle - une absence de contrainte, une disposition à éprouver différents états d'esprit, de l'humour à la transe et à l'ivresse. Une fluidité des frontières, une perméabilité des limites, peut être vue comme utile et normale.
Les récits des chasseurs-cueilleurs révèlent tout un ensemble d'esprits qui influencent les événements et sont eux-mêmes susceptibles d'être influencés.Ces esprits sont flexibles et d'un caractère ambigu. Les créatures surnaturelles qui ont entrepris de fabriquer et de maintenir le monde tel qu'il est sont des farceurs autant que des dieux. Dans les mythes et les histoires de ce monde, il n'y a pas de limite catégorique entre le bien et le mal, l'enjoué et le sérieux. Il y a donc une instabilité des qualités morales, qui répond à l'instabilité de l'identité.
Tergiverser, c'est refuser les absolus. Les gens ont leurs croyances, mais ils ne les proclament pas comme les seules croyances possibles. La confiance d'un peuple en son territoire vient de sa compréhension, et de sa foi en les esprits qui l'habitent. Leurs histoires sur ce lieu font partie de ce qui le rend leur, et disent la façon d'en user. D'autres endroits ont d'autres histoires, réclament d'autres savoirs, et sont influencés par des esprits inconnus d'eux. C'est ce qui rend risqué un changement de territoire ; il n'y a qu'une terre possible
Cette possibilité, toujours présente, de transformation est à la fois l'opposé et l'équivalent du contrôle. Plutôt que de chercher à changer le monde, les chasseurs-cueilleurs le connaissent. Ils en prennent soin, lui témoignent du respect et veillent à son bien-être. Tous les chasseurs-cueilleurs avaient des règles sur la façon de traiter les animaux qu'ils chassaient et les plantes qu'ils récoltaient - des règles établies dans le but de témoigner et de perpétuer la bonne volonté. Ceci donnait lieu à des récoltes sélectives et à des formes de gestion des populations d'animaux sauvages » Hugues Brody.Op.Cite(c'est moi qui souligne ici)
Conséquence de l'indistinction primitive, règnent l'imprécision et le chevauchement des frontières, entre les mondes masculin et féminin, humain et animal, le monde des vivants et celui des morts, le monde des humains ordinaires et celui des grands esprits, le monde visible et le monde invisible.
Un trait distinctif de l'inuktitut est l'emploi des mots qui signifient « peut-être », avec différents affixes qui indiquent divers degrés de vraisemblance. Beaucoup de gens, surtout les anciens, atténuent presque toujours leurs déclarations d'un certain degré de prudence. « Irez-vous à la chasse demain ? » « Si le temps est convenable, si les choses vont bien, c'est possible. » Un ancien de ma connaissance ajoutait souvent «si je suis encore vivant» à toute déclaration quant à ses projets.
Le savoir qui dénote la relation des chasseurs-cueilleurs à leurs territoires est un mélange complexe de réel et de surnaturel. Certains faits sont du domaine des choses, certains autres du domaine des esprits. Et le mur qui sépare ces deux formes d'entités n'est pas compact. Les gens peuvent passer du naturel au surnaturel, les esprits venir dans le domaine des hommes. Cette démarcation entre physique et métaphysique est perméable, tout comme la frontière entre l'homme et l'animal. Ainsi les limites du monde humain sont-elles poreuses. Cette perméabilité est la façon de voir et de comprendre le monde qui forme la base du chamanisme. Hugues Brody.Op.Cite
Au cœur des contradictions et des ambigüités du langage et du mythe on trouve la figure de Sila très difficile à définir.
Sila, notion énigmatique, a découragé la plupart de ceux qui ont voulu l'étudier. Elle signifie à la fois l'univers, ce qui enveloppe, ce qui est le plus extérieur et aussi ce qu'il y a de plus intérieur à l'humain, la raison, l'intelligence.
Je pense avoir résolu l'apparente contradiction qui oppose les deux sens du terme sila — intelligence et atmosphère — en montrant qu'il fallait les appréhender à différentes échelles de grandeur : l'échelle infra-humaine (celle des nains), l'échelle humaine et l'échelle supra-humaine (celle des géants), auxquelles ils s'appliquent.
Le passage ou la traversée du monde des vivants vers celui des êtres non-humains, des animaux et des défunts est assez courant puisque tout individu a la possibilité de le faire en rêve. Le nom, composante qui demeure éternellement parmi les vivants, lie les défunts à ceux-ci.la chamane HILA décrit ainsi la complexité de l'individu
L'enfant reçoit plusieurs identités dans une même individualité.
"Les chasseurs ont une relation avec leurs animaux; et la base de cette relation, c'est que les uns dépendent des autres. Les chasseurs-cueilleurs ont des relations similaires avec la terre elle-même. On ne peut pas toujours tracer une ligne nette entre l'animé et l'inanimé. De manière générale, échouer à prendre soin de la terre, c'est encourir un risque moral qui comporte un danger spirituel. Cela met encore en jeu des réalités spirituelles, et la relation entre les êtres humains et les esprits de ces lieux où hommes et esprits cohabitent. Ces lieux ne peuvent être contrôlés, et doivent rester intacts. "Hugues Brody.Op.Cite
«
i