La chaine Al Jazera semble monter en épingle la malencontreuse déclaration faite par l’ancienne correspondante de l’hebdomadaire Jeune Afrique à Tunis, Souhir Belhassen, qui aurait, sur le plateau d’une chaine de télévision étrangère, appelé les autorités Françaises à être plus vigilants quant au respect des droits de l’Homme, dans les pays du Sud de la Méditerranée. Je trouve personnellement que la position de Souhir Belhassen n’est pas forcément sienne et qu’elle est en fait celle d’une certaine opposition tunisienne traditionnelle, qui a souvent tendance à traiter des droits de l’Homme, en termes d’importation en notre pays, de valeurs morales qui font partie d’un mode de penser spécifiquement occidental, et qui sont souvent sans incidences pratiques, sauf celle de servir d’alibi à l’ingérence étrangère.
C’est en effet, le recours à ces valeurs « universelles » , qui, à titre d’exemple, a servi de caution morale à Madame Mitterrand lorsque elle s’était permise de débarquer en Kurdistan Irakien, pour encourager les séparatistes à lutter, de l’intérieur, contre le régime de Saddam, assiégé depuis la fin de la Première Guerre du Golfe. C’est aussi, au nom de ces mêmes valeurs que l’opposition, aussi bien celle dite démocratique que celle islamiste, avait harcelé, à partir de l’Étranger, le régime de Bourguiba.
Mais, par ailleurs, les réactions contre cette utilisation de la question des droits de l’homme par nos opposants à l’Étranger me semblent aussi blâmables et peut-être plus dangereuses. Ce qui se passe, aujourd’hui en notre pays, après la victoire d’Ennahdha et l’annonce de son accès imminent à la direction des Affaires de l’Etat, surtout lorsque je vois les troupes du nouveau parti au pouvoir en Tunisie, accuser Souhir Belhassen de « traîtrise », me rappelle l’un des derniers discours de Ben Ali d’avant le 17 Décembre 2010 et dans lequel celui-ci considérait comme traître à la nation toute personne qui nuirait, auprès des médias étrangers, aux intérêts supérieurs de la Tunisie.
Le 28 Octobre dernier, j’avais conclu un article, intitulé « La Libye toujours l’alibi » que j’ai publié sur ce même blog, par la désignation de la mauvaise foi fondamentale qui fait couvrir les interventions forcément intéressées des Grandes Puissances dans les pays du Sud de la Méditerranée, par le souci de défense des droits de l’Homme et des raisons dites humanitaires. Position qui m’avait valu des critiques qui m’accusaient d’être lâche laissant sous entendre que celle-ci était la conséquence de ma peur de la « montée de l’intégrisme islamiste ». Le lecteur pourra lire dans les commentaires, un texte écrit par un visiteur anonyme qui témoigne de la violence verbale qui caractérise les faux dialogues politiques qui s’instaurent, depuis la Révolution, aussi bien sur les chaines satellitaires que sur Internet.
Voici donc ce que j’écrivais, il y a plus d’une semaine, dans un article consacré à la Libye, et dans lequel, j’appelais à plus de « calme » dans notre évaluation du danger que représenterait la présence d’anciens d’Afghanistan à la tête des combattants qui ont, avec l’aide de l’OTAN, abattu le régime de Kadhafi.
« Curieuse position que celle de la France de Sarkozy et de Jupé, qui tout en cautionnant, avant même les élections, et dès les premiers mois de la Révolution , la possible arrivée au pouvoir des islamistes nahdhaouis, se permet de préciser qu’elle demeure vigilante au respect des Droits de l’Homme et de la sauvegarde des acquis de la femme en Tunisie.
Les Afghans libyens, encadrés par des Qataris servent, comme Kadhafi auparavant, d’alibi à l’ingérence « humanitaire », dans un pays qui, pour tracer les grandes lignes de son avenir n’a pas besoin de la vigilance, pour le moins intéressée des grandes puissances.
Quant à la Tunisie, la démocratie qui y a été amorcée dans des conditions politiques satisfaisantes augure de la capacité des Tunisiennes et des Tunisiens de faire face à leur destinée avec courage, détermination et respect de la règle du jeu démocratique, en toute lucidité et sans panique aucune. Ils n’ont donc pas besoin d’être sécurisés par les déclarations des officiels français quant à l’aboutissement démocratique de la Révolution qui ne fait que commencer.
Contrairement aux attentes des Grandes Puissances qui souhaitent que nos révolutions se limitent à des changements de pouvoir, l’espoir de l’opposition démocratique tunisienne pourraient s’inscrire dans la durée et prétendre à faire accéder la Révolution tunisienne au statut d’innovation historique qu’elle mérite.