Le dernier livre de Pascal Bruckner, Le fanatisme de l'Apocalypse, publié chez Grasset ici, porte un sous-titre qui en résume bien le propos : Sauver la Terre, punir l'Homme.
L'auteur distingue au moins deux écologies :
"L'une de raison, l'autre de divagation; l'une d'élargissement, l'autre de rétrécissement, l'une démocratique, l'autre totalitaire."
Son livre s'en prend à l'écologie de divagation, de rétrécissement, totalitaire.
La séduction du désastre
Ainsi l'écologie de divagation se complaît-elle dans la perspective d'un désastre inévitable, dont l'homme serait responsable, et le coupable tout trouvé. Il représenterait une terrible menace pour la Terre aux dépens de laquelle il vivrait. Ce n'est bien entendu pas affaire de démonstration - c'est indémontrable et indémontré - mais de foi.
Les adeptes de cette nouvelle religion nous promettent des calamités, toutes plus effroyables les unes que les autres. Pour y échapper, ils ne nous préconisent que des remèdes dérisoires, sans proportion avec les catastrophes prophétisées :
"Puisque nous sommes dépossédés de tout pouvoir face à la planète, nous allons monnayer cette
impuissance en petits gestes propitiatoires, monter les escaliers à pied, devenir végétariens, faire du vélo, qui nous donneront l'illusion d'agir."
Après avoir constaté sans surprise que "l'apogée du film d'horreur", dont les hommes sont d'autant plus friands qu'ils sont plus
civilisés, est "contemporain de l'émergence de l'écologie depuis trente ans", Pascal Bruckner souligne que l'état d'urgence est pour ces
civilisés d'autant plus jouissif que le drame frappe des contrées qui leur sont plus lointaines...
L'auteur n'est guère plus tendre avec ceux qui emploient le chantage aux générations futures :
"S'épuiser à imaginer les scénarios les plus délirants pour demain, infection bactérienne, bugs informatiques, guerres intersidérales, cataclysmes météorologiques ou nucléaires, chutes d'astéroïdes, tout immoler à cet ectoplasme conceptuel de "générations futures", c'est s'acheter une conscience à bas prix, fermer les yeux sur les scandales actuels."
Ou avec l'écologie radicale qui "ne tombe pas dans le piège du marxisme : promettre le paradis sur terre" :
"Elle se contente de dénoncer l'enfer de nos sociétés. N'étant liée par aucun calendrier précis, elle échappe à l'épreuve de la vérification. Les écosystèmes mettant des siècles à répondre aux dégradations qu'on leur inflige, nous ne serons plus là pour vérifier si elle a eu tort ou raison."
Les progressistes anti-progrès
Il y a un fatalisme du progrès :
"La fête du progrès ne s'arrête jamais, elle nous épargne la double impasse de l'angoisse, il n'y a pas de vide, et de la saturation car le désir est sans cesse relancé."
Seulement :
"Parce que nous l'avons disciplinée autant que ravagée, nous sommes devenus co-responsables de la nature : son sort se confond avec le nôtre."
Autant dire que l'homme, du fait de sa surpuissance, est maintenant responsable de tous les maux de l'Univers et dans le même temps :
"On prête à Dame Nature des intentions humaines, on en fait une entité douée de volitions, de sentiments. [...] A l'omnipotence supposée de l'homme répondrait la résistance farouche de la planète martyrisée. En mourant elle nous entraîne dans son agonie et en profite pour nous adresser une bonne leçon."
Après avoir prêté des intentions humaines à Dame Nature, il n'est pas surprenant de faire des êtres de nature des sujets de droit. Bruckner remarque que ce ne peut être que des droits dérivés, garantis par l'humanité, seule susceptible de les défendre, et pousse jusqu'au bout de l'absurde un tel raisonnement :
"Si la planète devient un sujet de droit, il faudra l'assigner en justice chaque fois qu'une avalanche, un glissement de terrain, un typhon détruisent non seulement des communautés humaines mais des espaces naturels protégés."...
Nous n'en sommes plus au temps de la "double bêtise, religieuse et scientiste" dont Gustave Flaubert avait dressé le portrait dans Madame Bovary, où le curé et l'apothicaire représentaient de faux adversaires, animés d'une même hargne, ô combien semblables. Maintenant "la science est en position d'accusée; elle a changé le monde, elle ne l'a pas guéri."
Le principe de précaution est devenu "le principe de suspicion et surtout le principe de conjuration" :
"L'envie d'éliminer toute incertitude se renforce de l'impossibilité d'y parvenir et dégénère en aversion au risque."
Il faut pourtant se réconcilier avec la science "en mettant, au niveau de tous, les savoirs les plus ardus, en promouvant un commerce intelligent entre savants et profanes, en rendant aux opinions publiques le goût de l'innovation. Et surtout en brisant le mythe de sa toute-puissance qui en a fait depuis trois siècles le substitut de la foi ".
Ce n'est pas ce que l'on fait. Au contraire :
"On combat la raison en singeant la rationalité : recours aux modélisations informatiques, invocation du savant comme figure de l'autorité, croyance dans les grandeurs de la statistique comme si le nombre était la traduction mathématique de la vérité."
Pascal Bruckner parle le langage de la raison :
"L'alternative n'est pas entre une nature intacte qui cicatrise lentement de l'effraction humaine et un productivisme ravageur qui forge, perce, défigure mais entre un état de régression et un développement lucidement assumé avec ses risques et ses bénéfices."
La grande régression ascétique
L'état de régression est justement la voie choisie par les fanatiques de l'Apocalypse. Selon eux, le consommateur est un prédateur et un éternel insatisfait. Il faut qu'il s'amende, "en adoptant une conduite d'un grand dépouillement" :
"Puisque avoir, c'est être moins, avoir moins signifiera être plus ! Merveilleuse acrobatie : il faut se dépouiller volontairement pour s'enrichir spirituellement. De la soustraction comme amplification !"
A l"enrichissez-vous" de François Guizot ils répondent par un "appauvrissez-vous" qu'il faudrait apprendre des Africains, ces détenteurs d'"une longue tradition de dénuement", "pour nous défaire de nos mauvaises habitudes" :
"Heureux les démunis qui n'ont pas de domestiques à surveiller (ou à trousser), de maisons à entretenir, d'impôts à payer, de fortune à gérer. Professeurs de débine, voilà à quoi sont réduits les peuples subsahariens."
L'austérité n'a pas attendu la crise de la dette pour trouver ses prêcheurs, qui disent :
"Fini le ski, le surf, le free-ride, la luge, rangez vos spatules, remisez vos bâtons, fini également le quad et les sports motorisés au bord de la mer. Il faut tout arrêter. Du vélo et du bio, sinon rien. Vous jouissiez hier ? Maintenant expiez !"
Textes à l'appui Bruckner nous montre que ces fanatiques en viennent à sacraliser leurs détritus fertlisants, à vouloir ne pas laisser de traces, à faire "l'éloge du négatif" :
"Seul compte ce qu'on ne fait pas, la grandeur de l'homme tout entière dans l'évitement et non dans l'accomplissement."
Le mythe de l'âge d'or, inséparable du mythe environnementaliste de "la "pureté" écologique des peuples premiers", est de retour :
"La défense passionnée des sociétés inaugurales n'est jamais qu'un moyen de nous juger à travers elles."
Pascal Bruckner s'étonne qu'"au lieu de s'indigner de la pauvreté, on s'offusque des aises dont nous jouissons" et se fait l'ardent défenseur du bien-être :
"Le confort permet de se construire sans dilapider ses forces, sans avoir à se chauffer, à se batttre pour quérir sa pitance, chasser le gibier, coudre ses habits. Grâce à lui, nous consacrons notre vie à autre chose que la simple survie où voudrait nous enfermer toute une école de la fustigation."
A l'opposé de ceux qui disent qu'il n'y a pas d'autre issue que "l'auto-extinction du genre humain", Bruckner termine sur une note optimiste :
"Le remède est dans le mal (Jean Starobinski), dans cette civilisation industrielle honnie, cette science qui effraie, cette crise qui n'en finit pas, cette mondialisation qui nous dépasse : seul un surcroît de recherches, une explosion de créativité, un saut technologique inédit pourront nous sauver. C'est à repousser les frontières de l'impossible qu'il faut travailler, en encourageant les initiatives les plus folles, les idées les plus époustouflantes. Il faut transformer la raréfaction des ressources en richesse des inventions."
L'internaute aura compris par la lecture des citations extraites de ce livre qu'il est un bon antidote au fanatisme écologiste. Lequel pourrait bien prendre une forme totalitaire, avec ses commissaires politiques du carbone, si le pouvoir lui était un jour donné.
Sans qu'ils n'aient eu besoin de lire le livre de Bruckner, les citoyens suisses, qui ont voté pour les Verts libéraux au détriment des Verts tout court, c'est-à-dire de gauche, n'ont-ils pas pris conscience qu'à tout prendre il était préférable de voter pour les moins fanatiques ?
Francis Richard