J’imagine bien la scène, brainstorming de campagne électorale à Paris. “Qu’est-ce qu’on va proposer pour les transports ? Il faut trouver quelque chose qui plaise à nos électeurs et qui nous différencie. Un truc dont les médias aient envie de parler, et qui nous mette clairement en avant par rapport aux autres“. Exercice difficile dans une ville qui a certainement une des densités d’équipement de transports en commun les plus élevées du monde, et où les améliorations ne relèvent pas de l’exercice municipal, mais bien des syndicats et entreprises de transports, le STIF et la RATP, sur lesquels les moyens d’intervention de la municipalité parisienne s’ils ne sont pas nuls, sont malgré tout assez limités. Et où la marge de manœuvre est d’ailleurs elle particulièrement réduite, tant on arrive aujourd’hui, de ligne 13 en RER A à une véritable impasse de saturation, faute de plan ambitieux à l’échelle métropolitaine des enjeux.
Alors la communication, le fantasme et l’idéologie prennent le pas sur la raison, et cela donne le grand n’importe quoi que l’on voit fleurir dans les pages des médias ces derniers jours. Pendant que Françoise de Panafieu, candidate UMP à la mairie, veut supprimer les murets des couloirs de bus, le maire de Paris et candidat à une seconde mandature Bertrand Delanoë sort l’arme Autolib’ et Denis Baupin, son adjoint au transports et candidats Vert à la mairie, dégaine le tramway des gares. Autolib’, nous est présenté par 20minutes dans son édition d’hier comme « le projet phare du programme de Bertrand Delanoë ». 200 à 250 € par mois pour une utilisation sur une distance de 0 à 100 kilomètres. Pour éviter de recommencer la bévue de Vélib’, Autolib’ pourrait être implantées à un kilomètre au-delà du périphérique, mais ce n’est pas sûr car cela pourrait inciter les banlieusards à venir en voiture à Paris… Un effet d’annonce souligné par le chiffre de 100 km, 100 km pour un parisien intra-muros ça paraît mener loin, et très au-delà d’une distance de Vélib’. Mais c’est quoi 100 km à l’échelle de l’agglomération ? Le périphérique en fait déjà 33 et aller du centre de Paris à Ikéa à Evry et retour 70 km. A 250 euros, ça fait cher les étagères Billy ;-) Bref, un projet pas mûr, mais un effet d’annonce garanti avec force vues d’artistes d’Autolib’ aux couleurs fuchsia. Côté Baupin, on ressort le tramway des gares, auquel le Parisien consacre un article ce même mardi 26 février. Un tramway des gares pourquoi faire ? « Ce tramway pourrait transporter jusqu’à 250.000 voyageurs chaque jour… là où les lignes de bus comme la 91 commencent à saturer. » Décidément, Denis Baupin est un être de surface qui ignore obstinément le métro et ses souterrains. Et il faut reconnaître que Françoise de Panafieu a raison lorsqu’elle dit qu’il faut faire mieux « notamment en réorientant la politique sur les transports en sous-sol ». C’est la même remarque que fait le géographe Guy Burgel dans son dernier livre Paris meurt-il * : « en faisant porter son effort sur les réseaux de surface (tramway) ou protégé (autobus dans leurs couloirs), la Ville s’attaque à la partie la plus visible et la moins significative de l’iceberg de la mobilité parisienne avec des chances d’infléchissements significatifs très minces. » **Et que le tramway des gares doublonne et même triplonne les réseaux de métro déjà existants, ce n’est pas le problème de Denis Baupin qui déclare au vu du coût du projet estimé entre 500 et 550 millions d’euros, qu’il s’agit « d’une goutte d’eau dans le budget d’investissement estimé à 9 milliards ». Une goutte d’eau équivalente au montant annoncé pour le désenclavement par les transports du plan banlieue de Sarkozy/Amara. Les enclavés de Clichy-sous-bois et d’ailleurs apprécieront la goutte d’eau de Denis Baupin.
Mais derrière ces projets plus symboliques qu’autre chose, se cachent prises de position et messages à l’intention des électeurs. Avec Autolib’, Bertrand Delanoë fait passer le message que contrairement à ce que l’on aurait pu penser au terme de sa première mandature et de l’action de son adjoint Vert aux transports, il n’a rien contre l’automobile, pour peu que son utilisation soit sage et raisonnée. La voiture de Delanoë ne pollue pas, elle est électrique. Elle n’encombre pas puisqu’elle est partagée. Mais elle est avant tout une voiture et ça le différencie de Denis Baupin. Quant à Denis Baupin, puisque Delanoë s’affiche en campagne dans le tram des maréchaux lui volant son jouet, le Vert parisien marque sa différence en ressortant une étude réalisée par la RATP en 2005 et reprend un longueur d’avance sur le thème du tramway, dont il a pu mesurer la popularité, en particulier dans les médias, malgré les années gêne occasionnée par les travaux. Quant à Françoise de Panafieu, en passant sous terre, elle se différencie des deux autres accrochés au soleil des circulations douces d’un Paris apaisé, détruisant symboliquement leur image à travers le muret des couloir de bus, tel un transfert dérisoire.
Pourtant, il y a des mesures qui pourraient être prises pour améliorer les transports dans Paris intra-muros. Mais il s’agit de mesures qui demandent un courage politique autrement plus grand que d’affronter le mécontentement des travaux du tram des maréchaux. Il s’agit en effet d’investir dans les transports en dehors de Paris intra-muros, car toute amélioration des transports de banlieue à banlieue a un effet immédiat sur les transports saturés de Paris intra-muros. Les différents candidats l’ont bien compris, qui soutiennent tous dans leurs discours le projet de métro de rocade en banlieue. Mais de là à aller jusqu’au bout du raisonnement et décréter que des investissements en matière de transports seront affectés à Paris extra-muros, il a y a un pas à franchir beaucoup trop grand pour une campagne électorale. Il est à ce titre intéressant de noter que parmi les trois promesses non tenues en terme de transports figure la construction de parking relais dans l’agglomération parisienne, comme le présente 20minutes. Evidemment, poser devant un parking, surtout s’il est souterrain, c’est moins glamour que devant des voitures fuchsia ou dans un joli tram. Bref l’exercice obligé consistant à remplir le chapitre transport du programme électoral de Paris intra-muros montre encore une fois que ce n’est pas la bonne échelle pour répondre au problème majeur de la Ville, et que rien ne peut être sérieusement envisagé si ce n’est à l’échelle de l’agglomération et que pour finir, faute d’un Grand-Paris, on continuera à proposer de louer des Autolib’ fuchsia, d’aller en tramways d’une gare à l’autre et de détruire les murets des couloirs de bus…
Jean-Paul Chapon
* Guy Burgel, Paris meurt-il ? Perrin Je reviendrai bientôt sur le livre de Guy Burgel, mais pour les parisiens intra comme extra muros, c’est un livre qu’il faut absolument lire avant les élections municipales et cantonales du 9 mars prochain !
** Citation complète de Guy Burgel
“Une politique de la mobilité ne se gagne pas sur la limitation, mais sur la quantité et la qualité de l’offre. Pour ne parler que des déplacements dans Paris, le constat est amer. En 2000, les modes de transports en site propre y assuraient plus de la moitié des trajets motorisés (29% pour le métro, 23% pour le RER). Les transports de surface se partageaient le reste avec une suprématie incontestable de la voiture particulière (41%) et une part très faible attirbuée aux autobus (4%). Force est donc de constater qu’en faisant porter son effort sur les réseaux de surface (tramway) ou protégé (autobus dans leurs couloirs), la Ville s’attaque à la partie la plus visible et la moins significative de l’iceberg de la mobilité parisienne avec des chances d’infléchissement significatif très minces.”
La photo du couloir de bus provient du blogue Bloc-notes qui me pardonnera cet emprunt ;-)
La carte du tramway des gares est extraite du Parisien (26-02-2008) et Autolib est l’illustration de une de 20 minutes version papier (26-02-2008)