1 novembre 2011
« Nous sommes les 99 % », clament les protestataires qui manifestent contre les excès des milieux financiers et des mieux nantis, qui représenteraient, eux, que 1 % de la population.
Mais que sait-on au juste au sujet des super-riches, au-delà de la chronique mondaine ? Robert Frank, journaliste au Wall Street Journal, vient tout juste de publier The High-Beta Rich : How the Manic Wealthy Will Take Us to the Next Boom, Bubble, and Bust, un livre étonnant sur cette élite et sur son impact sur l’économie et les finances publiques. Robert Frank a rencontré plus d’une centaine de millionnaires dans ce grand reportage sur ce que je serais tenté d’appeler la misère des riches.
Première constatation de l’auteur : des inégalités comme celles observées ces années-ci sont un phénomène plutôt récent. Entre 1943 et 1980, les revenus de 90 % de la population ont doublé alors que celui du groupe de 1 % au sommet de la pyramide n’augmentait que de 23 %.
Deuxième constatation : les riches ne sont plus ce qu’ils étaient. Jusqu’en 1982, les millionnaires étaient relativement peu nombreux aux États-Unis, les milliardaires rarissimes et la frange des plus riches était surtout composée d’héritiers de grande fortune et des propriétaires d’entreprises à succès, surtout présentes dans le pétrole et les fonds de placement. En 2007, il y avait plus de 5 millions de ménages américains qui déclaraient des revenus supérieurs à 10 millions de dollars, plus du double qu’en 1990. Le magazine Forbes recensait 400 milliardaires en 2007, contre 13 seulement en 1982. Cette année-là, cette frange de 1 % accaparait 9 % des revenus du pays; elle en accapare 22 % aujourd’hui.
Troisième constatation : la fortune de ces nouveaux riches est à la fois beaucoup plus grande et beaucoup plus fragile que celle des « anciens riches ». Dans l’espace de 18 mois en 2008 et 2009, les millionnaires américains ont perdu le tiers de leur fortune et 20 % d’entre eux ont dit adieu à leur statut de millionnaire. Au cours des trois dernières récessions, les revenus de ceux qui composent le fameux 1 % ont diminué deux fois plus en pourcentage que l’ensemble de la population. Pourquoi cette instabilité ? Parce que leur fortune dépend justement d’un système financier sujet aux chocs soudains, au krachs boursiers et aux bulles spéculatives.
Les revenus des patrons des 500 plus grandes entreprises américaines ont quadruplé pendant les années 1990, perdu 50 % de leur valeur au début des années 2000, ont rebondi de 50 % par la suite pour baisser de moitié à la fin de la dernière décennie. Les fluctuations de leur chèque de paie ressemble à des montagnes russes et la moitié de ces grands patrons se retrouvent sans emploi sur une période de cinq ans.
Pas étonnant, car leur succès et leur richesse sont tributaires du prix qu’ils obtiendront pour l’entreprise qu’ils ont créée, du prix de l’action de leur entreprise et des immenses rémunérations rendues possibles par l’octroi d’actions ou d’options d’achat d’actions. Enrichis par une bulle spéculative, ils se retrouvent ruinés lors de son éclatement. C’est un peu la réactualisation du proverbe voulant que celui qui vit par l’épée périra par l’épée.
Quatrième constatation : leur frénésie dépensière accentue les mouvements de l’économie. 5 % des Américains comptent pour 37 % des dépenses de consommation. Pour mettre les choses en perspective, ceux qui se retrouvent parmi le groupe de 80 % les moins payés comptent pour 39,5 % des dépenses de consommation. Quand on dit que les Américains n’achètent plus, on parle surtout des riches Américains.
Ceux qui disent que les riches ne dépensent plus une fois qu’ils ont tout acheté se trompent. Dans les années de vaches grasses, ils s’achètent des résidences luxueuses (ils détenaient 34 % de l’actif immobilier américain en 2007), des jets privés (qui sont passés de 7 176 à 17 199 entre 1995 et 2010), des yachts, des vêtements et des bijoux hors de prix. Quand le boni n’y est pas et que la valeur de l’action chute – les deux sont souvent liés – les revenus s’effondrent et ils coupent substantiellement leurs dépenses, ce qui accentue la récession. Et que dire de toutes ces maisons gigantesques qui ne trouvent pas preneurs ?
Cinquième constatation : leur fortune en dents de scie causent d’énormes problèmes aux collecteurs d’impôts. Pourquoi la Californie se retrouve-t-elle dans la dèche croyez-vous ? Parce que les revenus de l’État dépendent des « millionnaires sur papier ». En 2007, ceux qui faisaient partie du 1 % des plus riches Californiens gagnaient 25 % des revenus des citoyens de l’État et payaient 48 % des impôts sur le revenu. La crise financière, les revenus des super-riches qui baissent trois fois plus que ceux de l’ensemble des citoyens américains et l’éclatement de la bulle immobilière conduisent à un déficit budgétaire de 26 milliards de dollars.
Dan l’État de New York, le fameux 1 % de contribuables est responsable de 42 % des impôts sur le revenu et les employés des institutions financières comptent pour plus de 20 % de tous les salaires.
Leçon à retenir : trop compter sur les revenus des riches pour payer les dépenses de l’État peut jouer des tours quand la finance se met à déraper. Deuxième leçon : qui a dit que les riches ne payaient pas d’impôt ?
Sixième constatation : il y a encore une mobilité sociale. Les données du recensement américain indiquent que le tiers des ménages qui se trouvaient dans le premier quintile de revenus entre 2004 et 2007 ne s’y trouvaient plus alors que le tiers de ceux qui faisaient partis du quintile regroupant les plus pauvres font maintenant partie d’un groupe supérieur.
Nous ne sommes pas riches à vie, ni pauvres à vie non plus. Steve Jobs était pauvre en 1979 et extraordinairement riche à peine 10 ans plus tard.