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Charlie Hebdo, Castellucci, sale temps pour la liberté d’expression

Publié le 03 novembre 2011 par Savatier

Charlie Hebdo, Castellucci, sale temps pour la liberté d’expressionEntre l’incendie des locaux de Charlie Hebdo à l’occasion de la publication de son dernier numéro rebaptisé « Charia Hebdo » et les manifestations quotidiennes des intégristes chrétiens contre la pièce de Romeo Castellucci (incluant l’aspersion des spectateurs avec de l’huile de vidange, etc.), la liberté d’expression traverse une sérieuse zone de turbulences au pays de Voltaire. Elle ne pourra en sortir que lorsque sera réaffirmé haut et fort le caractère non négociable, dans une démocratie, de cette liberté. Ceux qui se croient offensés par la diffusion d’un message ou par une œuvre ont les moyens de faire valoir leurs droits : les tribunaux sont à leur disposition.

Cela, les intégristes religieux (quelle que soit la religion) le savent, et s’ils choisissent de s’exprimer par la violence, donc avec une visibilité maximum, c’est dans le cadre d’une stratégie bien connue, celle du test. Il s’agit pour eux  de tester la réaction de la société face à leur manière de manifester leur colère. Voilà pourquoi, devant ces actes, seule l’affirmation ferme des valeurs républicaines – liberté d’expression, laïcité – demeure efficace.

Car la moindre faille dans ce mur sera forcément interprétée comme un signe de faiblesse et exploitée par ces minorités activistes, qui ne manqueront pas de s’y engouffrer pour tenter d’imposer à tous leur vision du monde. Or, ces failles ne manquent pas. A titre d’exemple, les téléspectateurs ont pu être stupéfiés d’entendre, le 29 octobre dernier, dans l’émission On n’est pas couché, Michel Onfray (que j’ai toujours soutenu dans ces colonnes) critiquer Romeo Castellucci en affirmant : « C’est pas bien de provoquer les Chrétiens comme ça », remettant ainsi en cause le caractère intangible de la liberté d’expression. On peut ne pas aimer une œuvre (voir le cas de Piss Christ ici), on ne saurait toutefois faire grief à un artiste de l’avoir créée sans fournir involontairement des armes ou des arguments à ceux qui y répondent par la violence.

Ces deux affaires préoccupantes posent un réel problème démocratique. Mais, au moins, auront-elles une utilité, celle d’apporter un cinglant démenti aux bien-pensants et aux tenants de l’angélisme qui feignent d’ignorer ou minimisent la réalité et la capacité de nuisance des minorités intégristes religieuses dans notre pays. Il est d’ailleurs intéressant de constater que si, en France, les milieux intellectuels ont rejeté (avec raison car elle est sur bien des points erronée) la théorie géopolitique du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, celle-ci a été largement adoptée et aménagée par les religieux radicaux, toutes obédiences confondues – obédiences qui, en dépit de leur concurrence, pratiquent à la fois l’émulation et l’alliance objective lorsqu’elles servent leurs intérêts communs. Du pasteur intégriste américain Terry Jones brûlant un Coran en mars dernier à ceux qui s’en prennent aux spectateurs de la pièce de Castellucci et à ceux qui ont incendié les locaux de Charlie Hebdo, la démarche reste identique : lancer aux Etats de droit le défi permanent de leur radicalité. Cette démarche trahit aussi, même si cela peut sembler un paradoxe, la fragilité de leur foi. Car, comme le soulignait un magistrat de la Cour européenne des droits de l’homme dans une opinion dissidente lors d’une affaire de blasphème jugée en 1996 : « la puissance de ses convictions propres constitue la meilleure armure contre railleurs et blasphémateurs. »

Illustration : Roland Topor, Prisoners of Conscience, 1977 (affiche réalisée pour Amnesty International).


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