Les Éditions Flammarion viennent de publier, en collection « Mille et une pages », l’œuvre poétique complète de Tristan Tzara. Présentation de ce livre ici
I
dimanche lourd couvercle sur le bouillonnement du sang
hebdomadaire poids accroupi sur ses muscles
tombé à l’intérieur de soi-même retrouvé
les cloches sonnent sans raison et nous aussi
sonnez cloches sans raison et nous aussi
nous nous réjouirons au bruit des chaînes
que nous ferons sonner en nous avec les cloches
*
quel est ce langage qui nous fouette nous sursautons dans la lumière
nos nerfs sont des fouets entre les mains du temps
et le doute vient avec une seule aile incolore
se vissant se comprimant s’écrasant en nous
comme le papier froissé de l’emballage défait
cadeau d’un autre âge aux glissements des poissons d’amertume
Tristan Tzara, « L’homme approximatif », in Poésies complètes, coll. Mille et une pages, Flammarion, 2011, p. 423
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III
c’est de l’immense solitude du brin de paille
abandonné aux lèvres voraces des champs
que je déduirai le feu à couture de nacre
les ancres de nuit aux ailes agricoles aux tresses de sarment
les aloès rouillés les murs mis à vif des défilés d’hommes et de grêlons
fours branlants où le pain est de pierre et la paix des fougères s’émiette
ce sont les grillons d’anis et d’ombre
d’une certaine transparence à voix étroite
du toucher des objets blafards
d’une peau douce à la longue haleine
d’une envolée de bijoux sans lendemain ni plumes
d’un jour foncé d’un bois de pigeons
d’une fenêtre froide comme d’une chevelure sans feuilles
on guette la poutre de soleil
le silence n’a pas encore atteint la structure intime de l’ombre de cristal
les pans de rocher aux crinières d’eau pâle
le sommeil sectionne les êtres vivants par coupes verticales les unes sont noires les autres de mer
le roi des vagues n’a pas encore séché sa dernière larme
Tristan Tzara, « Midis gagnés », in Poésies complètes, coll. Mille et une pages, Flammarion, 2011, p. 972
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IV
la nuit gratte à la porte
ronge l’impossible songe
et l’éclat de l’oranger
sous la lampe tu déchiffres
les déchirements anciens
les blessures parallèles
tu échappes à la mémoire
des bras souples de marée
à l’orée de la peur bleue
les sentiers mouvants des pieuvres
or la nuit amie fidèle
dans le même sac pour rire
plie les choses et le temps
toute la terre
à ton sein
V
ni les yeux ne savent que dire
ni les pas mener à bien
l’aventure de poussière
le soleil fou dans les vignes
si de toutes les démarches
tu choisis la plus fragile
dégrafée au col neigeux
l’aube noire aux chevilles
c’est sous d’anciennes herbes
que par des chemins de chèvres
perce une voie imaginaire
où la mer au feu se mêle
VI
Mers – aux portes de vos battements
j’ai saisi le flux des ailes
à l’instant de transparence
craintes – enchaîné aux pattes molles
le rocher au flanc vidé
j’ai suivi vos lisses pentes
mais les valses de nos temps
résolus au fort des choses
retentissent par le monde
tissent au moulin des larmes
la voie libre
plénitude des foules amples
pour avoir bu à vos sources
j’ai cru voir aller ensemble
le soleil et l’avenir
Tristan Tzara, « Phases », in Poésies complètes, coll. Mille et une pages, Flammarion, 2011, p. 1254 à 1256
Tristan Tzara dans Poezibao :
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