Je pense à toi mon arrière-grand-père Jules. Ce qui va suivre je l'ai entendu de la bouche de quelqu'un qui t'a bien connu, c'est une histoire de mon enfance. Le village n'est pas grand certes, mais ce n'est pas un simple bourg non plus. Amou compte à un poil près depuis des siècles, une population quasi constante : 1500 habitants.
Il y a donc des rues, nombreuses, et des maisons, toutes en galets, nombreuses aussi. Tu as rythmé les heures claires du village autant que la cloche de l'église ne l'a fait. Tu étais forgeron et charron, un des premiers à l'oeuvre, hiver comme été. Allumer une forge n'était pas une mince affaire. Mettre en branle ensuite la lourde machine laborieuse. Dans le village on entendait sonner ton enclume. Tout le village entendait la voix métallique de ton lourd marteau. Tout le village, et c'est ce que l'on m'avait rapporté étant môme, t'entendait aussi péter dans ton atelier. C'était paraît-il quelque chose d'assez incroyable ! Jamais Amou n'a par la suite pu concevoir dans la chair, le sang, l'estomac, les tripes et l'anus de l'un de ses enfants, pareil son. C'était d'une puissance effroyable, c'était modulé parfois, certaines fois long comme un jour sans pain, harmonieux mais toujours redoutable. Jamais vulgaire ni malodorant.
Pets librement et volontairement dégagés à la face du village et du monde comme jamais plus on en entendit par la suite, après ta mort, dans le village. C'était les tiens mon arrière pépé et je veux leur rendre hommage aujourd'hui afin que l'on puisse encore imaginer leur son par la force évocatrice d'une pensée contemporaine. T'aurais jamais cru remmener tes fesses en 2011 pépé et bien c'est fait, je pense à toi à cause de ce petit livre qui me laisse bouche bée mais fesses libres. Rabiboché avec mes propres pets que je ne veux plus honteux et discrets, étouffés derrière la porte d'un ouatère fermée à triple tour , avalés au plus profond de la porcelaine d'un trône fut-il de chez Jacob & Delafon, mais que je veux aussi et avant tout "à l'air libre", en toute circonstance légitimes, décomplexés et fiers, clairs, sonores même s'ils n'ont rien de la redoutable efficacité qu'avaient les tiens... Voilà ce livre que je t'aurai volontiers offert en rigolant et avec un plaisir immense si nous avions été du même temps mon pépé :
En dépit d'une idée reçue, parmi les plus intolérables, péter est un art délicat. Si notre époque aime à "se lâcher", la pétomanie de haut vol obéit au canon le plus strict. Un homme du siècle des Lumières en a livré une description, une nomenclature et une hiérarchie définitives : Hurtaut, auteur de L'art de péter. Du "pet de demoiselle", sans odeur, à l'épais "pet de maçon", il en a exploré toutes les variations. Mieux, il y a une sociabilité du pet. Dans un salon, rien de tel qu'un léger vent pour couper le sifflet au fâcheux, confondre le grincheux et relancer une conversation languissante.
"... Il est honteux, lecteur, que, depuis le temps que vous pétez, vous ne sachiez pas encore comment vous le faites, et comment vous devez le faire. On s'imagine communément que les pets ne diffèrent que du petit au grand, et qu'au fond, ils sont tous de la même espèce : erreur grossière. Cette matière que je vous offre aujourd'hui, analysée avec toute l'exactitude possible, avait été extrêmement négligée jusqu'à présent ; non pas qu'on la jugeât indigne d'être maniée, mais parce qu'on ne l'estimait pas susceptible d'une certaine méthode et de nouvelles découvertes. On se trompait. Péter est un art, et, par conséquent, une chose utile à la vie, comme disent Lucien, Hermogène, Quintilien, etc. Il est en effet plus essentiel qu'on ne pense ordinairement de savoir péter à propos.
Un Pet qui, pour sortir, a fait un vain effort,
Dans les flancs déchirés reportant sa furie,
Souvent cause la mort.
D'un mortel constipé qui touche au sombre bord,
Un Pet à temps lâché, pourrait sauver la vie.
Enfin, on peut péter avec règle et avec goût, comme je vous le ferai sentir dans toute la suite de cet ouvrage. Je ne balance donc pas à faire part au public de mes recherches et de mes découvertes, sur un art dont on ne trouve rien de satisfaisant dans les plus amples dictionnaires ; et en effet, il n'y est pas question (chose incroyable) de la nomenclature même de cet art, dont je présente aujourd'hui les principes aux curieux.
Exorde théorique : Comme ainsi soit que Cicéron ait repris, répréhendé, admonesté, blâmé et vitupéré Panaetius, de s'emberner jusqu'au nez dans la matière sans la définir, et sans faire sentir à ses auditeurs ce dont il est question ; comme ainsi soit aussi que cet inimitable orateur ait dans le même Livre des offices, oublié aussitôt lui-même un conseil si sage, si prudent, si salutaire et si bien placé ; nous qui voulons éviter les reproches que nous pourrions nous attirer avec justice, en tombant dans le même défaut, et profiter de l'avis, des remontrances, des leçons et des fautes de l'orateur romain, nous n'attaquerons et ne traiterons pas méthodiquement du pet, qu'au préalable, nous n'en ayons donné une définition authentique et satisfaisante.
Des pets proprement dits : Le pet, que [...], les Latins nomment, crepitus ventris, l'ancien Saxon, purten ou furten, le haut Allemand, Fartzen, et l'Anglais, fart, est un composé de vents qui sortent tantôt avec bruit, et tantôt sourdement et sans en faire. Il y a néanmoins des auteurs assez bornés et même assez téméraires pour soutenir avec absurdité, arrogance et opiniâtreté, malgré Calepino et tous les autres dictionnaires faits ou à faire, que le mot pet, proprement pris, c'est-à-dire dans son sens naturel, ne doit s'entendre que de celui qu'on lâche avec bruit; et ils se fondent sur ce vers d'Horace qui ne suffit point pour donner l'idée complète du pet. Nam disposa sonat quantum Vesica pepedi. (Sat. 8) ("J'ai pété avec autant de tintamarre qu'en pourrait faire une vessie bien soufflée.") Mais qui ne sent pas qu'Horace, dans ce vers, a pris le mot pedere, péter, dans un sens générique ? Et qu'était-il besoin, pour faire entendre que le mot pedere signifie un son clair, qu'il se restreignît à expliquer l'espèce du pet qui éclate en sortant ?
Saint-Évremond, cet agréable philosophe, avait une idée du pet bien différente de celle qu'en a prise le vulgaire : selon lui, c'était un soupir ; et il disait un jour à la maîtresse devant laquelle il avait fait un pet :
Mon coeur, outré de déplaisirs,
Était si gros de ses soupirs,
Voyant votre humeur si farouche,
Que l'un d'eux se voyant réduit
À n'oser sortir par la bouche,
Sortit par un autre conduit.
Le pet est donc, en général, un vent renfermé dans le bas-ventre, causé, comme les médecins le prétendent, par le débordement d'une pituite attiédie, qu'une chaleur faible a atténuée et détachée sans la dissoudre; ou produite, selon les paysans et le vulgaire, par l'usage de quelques ingrédients venteux ou d'aliments de même nature. On peut encore le définir comme un air comprimé, qui, cherchant à s'échapper, parcourt les parties internes du corps, et sort enfin avec précipitation quand il trouve une issue que la bienséance empêche de nommer.
Mais nous ne cachons rien ici; cet être se manifeste par l'anus, soit par un éclat, soit sans éclat : tantôt la nature le chasse sans efforts, et tantôt l'on invoque le secours de l'art, qui, à l'aide de cette même nature, lui procure une naissance aisée, cause de la délectation, souvent même de la volupté. C'est ce qui a donné lieu au proverbe, que "Pour vivre sain et longuement, il faut donner à son cul vent".
Mais revenons à notre définition, et prouvons qu'elle est conforme aux règles les plus saines de la philosophie, parce qu'elle renferme le genre, la matière et la différence (quià nempè constat genere, materiâ et differentiâ). Elle renferme toutes les causes et les espèces; nous le verrons par ordre; comme elle est constante par le genre, il n'y a point de doute qu'elle ne le soit aussi par sa cause éloignée, qui est celle qui engendre les vents, savoir la pituite, et les aliments mal atténués. Discutons ceci avec fondement, avant de fourrer le nez dans les espèces.
Nous disons donc que la matière du pet est attiédie et légèrement atténuée. Car de même qu'il ne pleut jamais dans les pays les plus chauds, ni dans les plus froids, la trop grande chaleur absorbant dans ces premiers climats toutes formes de fumées et de vapeurs, et l'excessive gelée empêchant dans les autres l'exhalation des fumées; comme au contraire il pleut dans les régions moyennes et tempérées (comme l'ont très bien observé Bodin, Scaliger et Cardan), de même aussi lorsque la chaleur est excessive, non seulement elle broie et atténue les aliments, mais elle dissout et consume toutes les vapeurs, ce que le froid ne saurait faire, et c'est ce qui l'empêche de produire la moindre fumée. Le contraire arrive lorsque la chaleur est douce et tempérée. Sa faiblesse l'empêche de cuire parfaitement les aliments et, ne les atténuant que légèrement, la pituite du ventricule et des intestins peut exciter beaucoup de vents qui deviennent plus énergiques en proportion de la ventosité des aliments, lesquels, mis en fermentation par la chaleur médiocre, procurent des fumées fort épaisses et tourbillonnantes. On sent cela nettement par la comparaison du printemps et de l'automne, avec l'été et l'hiver, et par l'art de la distillation au feu médiocre.
Des différences du pet, notamment du pet et du rot, et démonstration totale de la définition du pet. Nous avons dit plus haut que le pet sort par l'anus. C'est en quoi il diffère du rot, ou "rapport espagnol". Celui-ci, quoique formé de la même matière, mais dans l'estomac, s'échappe par en haut, à cause du voisinage de l'issue, ou de la dureté et réplétion du ventre, ou de quelques autres obstacles qui ne lui permettent pas de prendre les voies inférieures. Selon nos formalités, le rot va de pair avec le pet, quoique, selon quelques-uns, il soit plus odieux que le pet même : mais n'a-t-on point vu, à la Cour de Louis-le-Grand, un Ambassadeur, au milieu de la splendeur et de la magnificence qu'étalait à ses yeux étonnés cet auguste Monarque, lâcher un rot des plus mâles, et assurer que, dans son pays, le rot faisait partie de la noble gravité qui y régnait ? On ne doit donc pas conclure plus défavorablement contre l'un que contre l'autre ; et que le vent sorte par en haut ou par en bas, il y a parité, et il ne doit rester aucun scrupule là-dessus. En effet, nous lisons dans Furetière, tome 2 de son Dictionnaire universel, que, dans le Comté de Suffolk, un vassal devait faire devant le Roi, tous les jours de Noël, un saut, un rot et un pet.
Mais il ne faut pas mettre le rot dans la classe des vents colliquatifs, ni dans celle du murmure et du gazouillement du ventre, qui sont aussi des vents du même genre, et qui, grondant dans les intestins, tardent à se manifester et sont comme le prologue d'une comédie ou les avant-coureurs d'une tempête prochaine. Les filles et les femmes, qui se serrent étroitement pour se dégager la taille, y sont particulièrement sujettes. Dans elles, selon Fernel, l'intestin que les médecins appellent cæcum, est si flatueux et si distendu, que les vents qu'il contient ne font pas un moindre combat dans la capacité du ventre, que n'en faisaient autrefois ceux qu'Éole retenait dans les cavernes de ses montagnes d'Éolie; en sorte qu'on pourrait, à leur faveur, entreprendre un voyage de long cours sur mer, ou au moins faire tourner des moulins à vent.
Il ne nous reste plus ici pour la preuve complète de notre définition, qu'à parler de la cause finale du pet, qui, tantôt est la santé du corps désirée par la nature, et tantôt une délectation ou un plaisir procuré par l'art; mais nous remettons à en traiter avec les effets. Voyez le chapitre qui en parle. Cependant nous observons que nous n'admettons point, et que nous désavouons, toute fin contraire au bon goût et à la santé, de pareils abus ne pouvant trouver place poliment et honnêtement au nombre des fins raisonnables et délectables.
Des divisions du pet : Après avoir expliqué la nature et la cause du pet, il nous reste à procéder à sa juste division, et à examiner ses espèces différentes, pour les définir ensuite relativement à leurs affections.
Il s'élève ici naturellement une question : la voici. Comment faire, dira-t-on, la juste division d'un pet ? C'est un incrédule qui parle. Faut-il le mesurer à l'aune, au pied, à la pinte, au boisseau ? Car, quae sunt eadem uni tertio, sunt eadem inter se. Non: et voici la solution qu'en a donnée un excellent chimiste; rien même de plus facile et de plus naturel. Enfoncez, dit-il, votre nez dans l'anus ; la cloison du nez divisant l'anus également, vos narines formeront les bassins de la balance dont votre nez servira alors. Si vous sentez de la pesanteur en mesurant le pet qui sortira, ce sera un signe qu'il faudra le prendre au poids, s'il est dur, à l'aune ou au pied, s'il est liquide, à la pinte, s'il est grumeleux, au boisseau, etc. Mais si vous le trouvez trop petit pour faire l'expérience, faites comme les gentilshommes verriers : soufflez au moule tant qu'il vous plaira, je veux dire, jusqu'à ce qu'il ait acquis un volume raisonnable. Mais parlons sérieusement. Les grimauds de grammaire divisent les lettres en voyelles et en consonnes ; ces Messieurs effleurent ordinairement la matière : mais nous qui faisons profession de la faire sentir et goûter telle qu'elle est, nous divisons les pets en vocaux, et en muets, ou vesses proprement dites.
Les pets vocaux sont naturellement appelés pétards, du mot péter, relativement aux espèces différentes des sons qu'ils produisent, comme si le bas-ventre était rempli de pétards. Consultez là-dessus Willichius Jodochus dans ses Thèses du pétard. Or, le pétard est un éclat bruyant, engendré par des vapeurs sèches. Il est grand ou petit, selon la variété de ses causes ou de ses circonstances. Le grand pétard est plénivocal, ou vocal, par excellence ; et le petit s'appelle semivocal. "
Ce texte est extrait de "L'art de péter" de Pierre-Thomas-Nicolas Hurtaut (érudit du XVIIIème siècle). Copyright Payot. Paru le 4 octobre 2006.
http://www.lexpress.fr/culture/livre/l-art-de-peter_811548.html