L’économiste Florin Aftalion, professeur émérite à l’Essec (École supérieure des sciences économiques et commerciales) tire les leçons de l’accord européen sur l’avenir de la Grèce. Article publié dans « Le Figaro », le 30 octobre 2011.
La Grèce et l’euro viennent d’être sauvés. Pour la énième fois. Est-ce la dernière? Il est à craindre que non et que les chefs d’État réunis à Bruxelles le 26 octobre n’aient fait que reculer les échéances (tout en mettant en place des garde-fous qui rendront la prochaine crise de l’euro moins dévastatrice).
Dans l’immédiat, la Grèce a obtenu une aide supplémentaire de 30 milliards d’euros et un engagement de la part des banques d’accepter volontairement une réduction de leurs créances de 50%. L’endettement envers les organismes officiels, Fonds monétaire international ou Banque centrale européenne, lui, ne sera pas touché. De son côté, Athènes s’est engagée à se procurer 15 milliards d’euros au moyen de privatisations et à poursuivre le plan d’austérité en cours. De ces mesures, on attend la réduction de l’endettement de la Grèce à 120% de son PIB à l’horizon 2020 (alors qu’il est à plus de 160% aujourd’hui). Ce qui ouvrirait à ce pays la possibilité d’emprunter directement sur les marchés donc de s’affranchir de l’aide du reste de la zone euro.
Mais cette attente est-elle réaliste? La réduction d’une partie de sa dette soulagera évidemment le fardeau du gouvernement grec. Si, comme cela semble être le cas, l’allégement prévu des créances privées ne diminue que d’un quart de sa valeur le service de la dette grecque, la réponse est non. En 2012, par exemple, compte tenu de son déficit primaire (qui ne tient pas compte du service de la dette) le déficit total représentera encore 5 à 6% du PIB grec. Pour qu’il diminue de façon significative et se transforme même en surplus, une croissance vigoureuse sera nécessaire. Rappelons que celle-ci est négative depuis 2008 et qu’elle le restera en 2012.
Et c’est là que réside le problème fondamental de la Grèce (et des autres pays en crise dans la zone euro). La croissance de son économie doit être suffisante pour que les revenus de l’État (qui dépendent de la production) dépassent les dépenses publiques. La marge générée servirait alors à rembourser petit à petit une dette excessive elle-même cause de paiements d’intérêts insoutenables.
Les effets d’une récession
Or, sur la question de la croissance, il est difficile d’être optimiste. D’abord parce qu’un fort ralentissement économique, voire une récession, se dessine en Europe et que ses effets sur la Grèce seraient évidemment désastreux. Mais surtout parce que les structures de l’économie grecque la rendent incompatible avec le développement qui devrait être le sien.
Ainsi, la «protection» offerte par la loi à de nombreux métiers paralyse les initiatives et freine l’innovation. Ou encore, un service public pléthorique absorbe des ressources dont est privé le reste de l’économie. Sans oublier un vieillissement accéléré de la population qui rend la réforme du système des retraites urgentissime alors que les syndicats lui opposent toutes leurs forces. Ajoutons que des troubles sociaux violents éclatent à propos de toute tentative de réforme. Remarquons enfin que les exportations grecques reposent essentiellement sur deux secteurs: le tourisme et le fret maritime, dont on voit mal aujourd’hui les possibilités d’expansion. En ajoutant quelques produits industriels, les exportations grecques ne représentent au total que 7% de son PIB (le rapport le plus faible de toute la zone euro). Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer d’où pourrait provenir l’indispensable croissance.
Cependant, les revenus du gouvernement grec pourraient augmenter considérablement, même en l’absence de croissance, s’il parvenait à encaisser les impôts qui lui reviennent et qu’il a été jusqu’à présent dans l’incapacité de percevoir. Qu’il s’agisse des plus petits marchands jusqu’aux plus riches armateurs (qui sont, paraît-il, dispensés de tout impôt), en passant par les médecins, la fraude fiscale semble consubstantielle de la société grecque. Elle est liée à cette autre tare nationale qu’est une corruption généralisée dont on sait à quel point elle est difficile à éradiquer.
Sous la pression des instances européennes, les gouvernements grecs successifs auraient dû depuis longtemps résoudre les problèmes qui minent leur société et en particulier celui des déficits budgétaires récurrents. Au cours des années 1990, afin de préparer l’entrée de la Grèce dans l’euro trois plans d’austérité avaient été annoncés sans qu’ils soient suivis d’effets appréciables. Depuis le mois de mai 2010, lorsqu’a commencé la crise actuelle, le gouvernement Papandréou a encore adopté trois plans de rigueur. Comme les résultats annoncés ne sont toujours pas au rendez-vous, il convient de s’interroger: les plans d’austérité prescrits à la Grèce ont-ils été mal conçus ou mal exécutés?
De toute façon, une conclusion s’impose: la dette de ce pays provoquera tôt ou tard une nouvelle crise.
Florin Aftalion
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